Modération des loyers : pourquoi la loi ALUR est inefficace

Par Nicolas Framont et Hugo Hanry  |   |  1227  mots
La loi ALUR, un dispositif inefficace et timoré contre l'augmentation constante des loyers. Par Nicolas Framont, chercheur en sociologie, Paris IV et Hugo Hanry, conseiller national, Parti de gauche

Depuis vingt ans, la part des revenus consacrée au logement en France a considérablement augmenté. Ce sont les ménages les plus modestes qui sont d'abord touchés par cette évolution : alors qu'en 1988, les 20% les moins aisés habitant dans le parc privé consacraient 20% de leur revenu au règlement du loyer, cette part dépasse les 30% en 2006. Il en est de même pour les classes moyennes, dont le taux d'effort a augmenté de 5 points sur la même période. Désormais, près d'un ménage sur cinq dépense plus de 40% de son revenu pour son logement !

Cette hausse des dépenses de logement a des incidences économiques, puisque le pouvoir d'achat des Français est compressé, mais aussi sociales. Ainsi, selon une étude du CREDOC, lorsque l'on consacre plus de 20% de ses revenus à régler son loyer, on réduit en moyenne de 27 euros ses dépenses de santé et de 90€ son budget alimentation. Dans une société qui prône le mérite et l'effort, est-il acceptable qu'un salarié soit contraint de verser le quart, parfois le tiers de son salaire à une tierce personne ?

 Des effets préoccupants sur les territoires

En outre, les effets de la hausse des loyers sur le territoire sont préoccupants : les grandes villes sont devenues inabordables pour les catégories moyennes et populaires. L'embourgeoisement des villes chasse les plus modestes toujours plus loin, ce qui engendre un allongement des trajets domicile-travail, avec les conséquences écologiques que les derniers épisodes de pollution aux particules ont rappelé et aggrave la ségrégation géographique.

Une loi inapplicable, frileuse et conditionnée

Pour remédier à cette situation, le gouvernement travaille depuis deux ans à une loi d'encadrement des loyers expérimentée à partir de cet été. Est-ce un dispositif à la hauteur des enjeux ? Clairement pas. Inapplicable, frileuse et conditionnée, cette loi n'est qu'une énième mesure cosmétique qui passe à côté du problème :

Tout d'abord, elle n'atténuera pas la ségrégation. Cette pseudo maîtrise des loyers se base sur une cartographie réalisée par l'OLAP sur laquelle ont été fixés des loyers médians au m2 majorés de 20% dans Paris intra-muros. Ce coup d'essai ne s'appliquant qu'à la capitale, il exercera mécaniquement une pression immobilière dans les communes limitrophes. Les Franciliens devront donc se loger toujours plus loin en Ile-de-France.

 La bonne volonté des propriétaires...

Ensuite, seuls les nouveaux locataires entrant dans un logement à partir du 1er août 2015 et ceux qui renouvellent leur bail après cette date sont concernés par cette mesure. De plus, la baisse des loyers est loin d'être automatique. Ainsi, le propriétaire peut justifier le maintien d'un loyer élevé s'il considère qu'une caractéristique particulière fait sortir son logement de l'ordinaire (balcon, terrasse, vue imprenable sur l'antenne de la Tour Eiffel). Les critères sont flous, indéfinis et laissent donc libre cours à l'imagination des propriétaires pour demander ce complément de loyer.

Finalement, cette loi se base quasi uniquement sur leur bonne volonté. En effet, dans une ville où la concurrence pour trouver un logement est rude, comment imaginer qu'un locataire puisse oser négocier une baisse du loyer dès le dépôt de son dossier ? La seule tactique possible pour le locataire serait donc d'accepter de louer le logement trop cher puis, sous trois mois, faire une réclamation à la commission paritaire de conciliation des loyers en préfecture pour obtenir la baisse du loyer. Il faudra donc être un opiniâtre stratège pour espérer bénéficier des avantages de la loi...

Pour le plus grand bonheur des lobbies de l'immobilier

Comment en est-on arrivé à une loi aussi indigente ?

En 2013, la ministre du logement Cécile Duflot proposait une loi d'encadrement des loyers concernant l'ensemble du territoire. Aussitôt, la Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM), puissant lobby des agences et des constructeurs, a entravé le processus de collecte d'information préalable à la loi en suspendant l'envoi d'informations aux observatoires des loyers, mis en place dans les grandes villes. Peu après, la ministre était accablée par les fédérations de constructeurs pour avoir provoqué, par sa loi non encore appliquée, la baisse des constructions de logement en France. Démissionnaire, Cécile Duflot n'a pu qu'assister de loin au savant détricotage de sa loi par le premier ministre Manuel Valls. Celui-ci n'a eu de cesse de rassurer promoteurs et constructeurs, arguant de l'impérieuse nécessité de tout faire pour soutenir la croissance, y compris abandonner cette promesse de François Hollande.

Il faut dire que l'envolée des loyers a fait le bonheur de ceux pour qui le gouvernement socialiste travaille en réalité depuis son arrivée au pouvoir : les classes supérieures dont le patrimoine, notamment immobilier, ne cesse de se valoriser depuis des années. Celui des ménages assujettis à l'ISF a ainsi augmenté de 8,2% entre 2013 et 2014 ! Plutôt que de réduire cette manne immobilière en encadrant les loyers, la nouvelle ministre du logement, Sylvia Pinel, a choisi de l'augmenter, au plus grand bonheur des lobbies de l'immobilier. Sa loi, déjà en vigueur, offrent aux propriétaires de biens locatifs de juteuses défiscalisation, prétendument pour augmenter l'offre de logement, alors même que cette même loi favorise les locations à l'intérieur du cercle familial.

Le gouvernement a résolument choisi de soutenir les propriétaires au détriment des locataires, alors même que la santé économique des premiers est au plus haut. Cette politique clientéliste, perméable aux lobbies, a donc logiquement réduit la défense des locataires à la coquille vide qu'est désormais la loi d'encadrement des loyers. Que serait-il pourtant possible de faire pour aller plus loin ?

Pour une loi contraignante

L'offre de logement relevant environ à 70% du secteur privé, même une politique volontariste de construction et de baisse des loyers dans le public ne toucherait qu'une petite partie de la population. Pour obtenir une baisse réelle dans l'ensemble du parc locatif, il n'y a donc qu'une seule solution efficace : une loi contraignante de baisse des loyers, d'au moins 20%, la fixation d'un plafond de loyer par type de bien locatif et d'un loyer médian par zone géographique, sans majoration. Par conséquent, il est nécessaire de mener une réévaluation nationale des biens locatifs pour redéfinir une valeur d'usage réelle selon le type de bien.

Toutes ces mesures ne peuvent être efficaces sans une action étatique planifiée à tous les niveaux du processus locatif. Cette planification devra comprendre la création d'un « pôle public du logement » qui aura pour tâche de piloter une politique de municipalisation des sols, la mise sous tutelle des agences immobilières ainsi qu'une commission de contrôle des prix des loyers. Pour éviter une bureaucratisation excessive de ces instances, associations d'habitants, syndicats et citoyens devront avoir un pouvoir de contrôle de ce pôle public du logement.

Ce type de politique contraignante est le seul qui permette de sortir du délire actuel et du flou complet qui préside à la répartition d'une ressource aussi essentielle que le logement, d'un point de vue tant social, qu'écologique et moral.