Ne pas confondre relocalisations « ricardiennes » et « schumpetériennes »

Par Par El Mouhoub Mouhoud, président de l'Université Paris Dauphine - PSL  |   |  623  mots
(Crédits : POOL New)
La 9ème édition du Printemps de l'économie, décalé à l'automne, se tient cette semaine. Partenaire de cet événement annuel destiné à vulgariser l'économie pour tous les public, La Tribune publie une série de tribunes autour du thème choisi pour 2021 : les bifurcations du monde post-Covid. Suivez ici le live et le replay video de la session animée par La Tribune mercredi 13 octobre avec El Mouhoub Mouhoud, président de l'Université Paris Dauphine - PSL sur le thème : récupérer des avantages comparatifs par l'innovation.

La relocalisation dont on parle beaucoup depuis la crise sanitaire n'est pas un phénomène nouveau. Elle exprime simplement l'idée qu'une entreprise qui a délocalisé ses processus de production pour bénéficier des écarts de coûts (par unité produite) peut aussi faire machine arrière. Et donc revenir produire dans son pays d'origine ou dans des territoires se trouvant à proximité des marchés qu'elle dessert. Mais la relocalisation peut aussi refléter un phénomène plus large de reconquête des avantages comparatifs des pays dans certains secteurs grâce à l'innovation technologique de procédés (robotisation, par exemple) ou de produits (nouveaux matériaux textiles, par exemple).

Il faut en fait distinguer deux types d'avantages comparatifs : les avantages longs et les avantages courts. Un pays disposant de ressources spécifiques permettant la fabrication d'un groupe de produits dispose d'un avantage long sur ses compétences mais d'avantages comparatifs courts sur les variétés de produits issus de ces compétences. Théoriquement, les pays innovateurs peuvent récupérer des avantages antérieurement perdus par rapport aux pays retardataires imitateurs. Dans la lignée des théories néo-technologiques du commerce international, certains modèles de croissance endogène des années 1990 ont pu montrer l'existence de ces phénomènes de récupération des avantages comparatifs.

Imaginons deux pays à capacités technologiques différentes représentant le Nord développé et le Sud en rattrapage. Les producteurs du Sud peuvent imiter les produits découverts par le pays du Nord et les producteurs du Nord peuvent innover dans la fabrication de ces mêmes produits. Le pays innovateur accomplit ainsi des efforts d'innovation pour récupérer la production et donc la rapatrier, car il possède les compétences initiales et les activités de R&D. L'activité d'imitation du pays du Sud, parce qu'elle requière des ressources, est donc coûteuse. Ce qui exclut alors l'hypothèse traditionnelle d'une diffusion automatique des connaissances dans le monde. Parallèlement, les politiques de subvention à la recherche dans le pays du Nord augmentent le montant des ressources consacrées à cette activité et donc la probabilité d'innover.

Ces va-et-vient potentiels vont à l'encontre de la théorie du cycle du produit de Raymond Vernon, qui suppose une perte définitive du pays innovateur sur le produit imité et délocalisé. Ces récupérations d'avantages comparatifs s'expliquent par l'existence d'avantages longs et cumulatifs des pays innovateurs sur les blocs de compétences ayant permis l'invention et la production du produit qui connaîtra ensuite un processus de banalisation par imitation. L'avantage de localisation du produit se modifie en fonction du cycle d'innovation-imitation mais l'avantage long sur les compétences permet des retours des avantages comparatifs sur les produits. Le cycle du produit ne constitue en fait qu'un moment dans la dynamique d'évolution des connaissances technologiques issues d'un secteur donné.

D'où l'existence de deux types de relocalisations. La première, les relocalisations de retour dites « ricardiennes » liées à l'inversion des différences de coûts de production par unité produite entre les pays grâce, par exemple, à la robotisation par exemple. Ces relocalisations ne sont pas forcément pérennes. La seconde, les relocalisations «schumpetériennes » ou de développement compétitif liées à l'innovation de produits dans les territoires et autorisant une nouvelle dynamique de croissance. Ces dernières, plus pérennes, sont à privilégier.

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