« Non à la relance atomique voulue par Macron » Mathilde Panot

Par Mathilde Panot (*)  |   |  1008  mots
(Crédits : Mathieu Génon)
OPINION. Alors que le projet de loi d’accélération du nucléaire est sur le point d’être débattu dans l’hémicycle, Mathilde Panot, présidente du groupe et les cinq députés LFI-NUPES chefs de file sur ce texte : Christophe Bex, Aymeric Caron, Maxime Laisney, Aurélie Trouvé et Anne Stambach-Terrenoir, dénoncent un texte à rebours de la nécessaire bifurcation écologique.

Il y a un mois, le Parlement a adopté la loi sur les énergies renouvelables censée accélérer leur déploiement : une loi sans aucune ambition, un « deux poids deux mesures » flagrant avec le projet de loi d'accélération du nucléaire soumis à l'Assemblée nationale.

Les communes obtiennent ainsi un droit de véto face aux éoliennes, mais pas contre l'implantation de nouveaux réacteurs nucléaires. Les énergies renouvelables ne se voient allouer aucun objectif chiffré de développement dans le texte de loi, quand celui sur le nucléaire propose de pulvériser le plafond de 50% de nucléaire dans le mix électrique fixé par la Loi de programmation pluriannuelle de l'énergie de 2019.

La méthode est déjà définie, depuis le discours de Belfort du candidat Macron de février 2022 : la construction de 14 nouveaux réacteurs, et même 9 supplémentaires, doublée de la prolongation des réacteurs existants au-delà de 40 ans - leur durée de vie initialement prévue.

Le 3 février, le Président a réuni un Conseil de Politique Nucléaire pour amorcer la machine. Mais l'Élysée va un peu vite en besogne, car, du point de vue du droit, l'affaire est loin d'être conclue. D'abord, le débat public sur l'opportunité de la construction de nouveaux EPR n'est pas terminé, alors que c'est une obligation légale. La révision du mix énergétique exige en outre le vote d'une nouvelle Loi de programmation énergétique, prévue seulement au second semestre 2023. Enfin, le présent projet de loi pour l'accélération du développement du nucléaire a certes été adopté au Sénat, mais l'Assemblée nationale n'a toujours rien décidé.

La résurrection de l'atome est donc bien un passage en force, qui s'incarne notamment dans la dissolution annoncée de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et l'incorporation de ses missions d'expertise dans l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Ce système de réglementation dual, qui sépare l'expertise du contrôle, fait la force du modèle français. Cette fusion, dont l'Élysée affirme dans le communiqué du 3 février qu'elle accélèrera la transition énergétique, préfigure un revirement majeur dans notre doctrine de sûreté, dont les implications ne sont absolument pas mesurées, encore moins discutées.

Le choix de massifier la production électronucléaire fait largement l'impasse sur l'amont et l'aval du nucléaire : l'approvisionnement en uranium et la gestion des déchets. Contrairement à la fable entretenue sur la « souveraineté » que nous procurerait l'atome, il faut redire que l'uranium ne pousse pas dans nos jardins. Les 7.000 tonnes consommées en France chaque année viennent du Niger, du Canada, du Kazakhstan et d'Ouzbékistan. Quant à l'uranium soi-disant « recyclé », il nous revient... de Russie. La situation est aussi extrêmement critique concernant les déchets, puisque les capacités actuelles d'entreposage et de stockage atteignent leurs limites, obligeant à de dangereux paris sur un avenir qui se compte en centaines, voire en centaines de milliers d'années à travers le projet d'enfouissement à Bure. Évidemment, de nouvelles centrales produiront de nouveaux déchets, pour lesquels nous n'avons aujourd'hui aucune solution. Qui peut assurer qu'il en existera davantage dans 50 ou dans 100 ans ? Sommes-nous fondés à imposer des choix technologiques aussi lourds de conséquences pour les générations à venir ?

Cet acharnement se fera en outre avec une débauche d'argent, sans doute public, de plus de 100 milliards d'euros... au bas mot. Sans aucune démonstration, aujourd'hui, que les technologies retenues sont opérationnelles, fiables, encore moins performantes : Flamanville a déjà 12 ans de retard et son coût approche les 20 milliards d'euros pour un budget initial de 3,5 milliards. Le Président de l'ASN, de plus, le rappelait l'année dernière :

« Un accident nucléaire est toujours possible et ceux qui prétendraient le contraire prennent une grande responsabilité. ».

Un rappel opportun à la veille du funeste « anniversaire » de la catastrophe de Fukushima.

Le nucléaire est hors de prix, risqué et dépassé. Il n'est en rien garant de notre souveraineté, et il léguera un héritage empoisonné à nos enfants. Sa vulnérabilité face aux aléas naturels s'est dévoilée au Japon en 2011, et les conséquences du dérèglement climatique exacerbent encore les risques.

Au demeurant, c'est aussi une chimère face à l'urgence climatique. Il ne suffira pas de le marteler « décarboné » pour tordre le réel. C'est en 2030 que nous devrons avoir réduit nos émissions de GES de 55%, et en 2050 que nous devrons atteindre la neutralité carbone. Or, dans le calendrier de développement proposé, aucun nouveau réacteur ne sera opérationnel avant 15 ans ! Que penser de responsables politiques qui sont prêts à nous faire perdre un temps que nous n'avons déjà plus ? Les énergies renouvelables permettent déjà à certains pays d'Europe de couvrir l'essentiel de leur demande en électricité.

Nous ne pouvons pas faire l'économie d'un grand débat, préalable obligé à tous les autres : celui sur la bifurcation de nos modes de vie et de consommation, vers une société de la protection, du partage et de la sobriété. Les centrales existantes ne s'arrêteront certes pas du jour au lendemain. Mais c'est aujourd'hui que nous devons planifier la sortie du nucléaire. Des scénarios très sérieux existent (RTE, Ademe, Negawatt) pour un mix énergétique 100% renouvelables ; le rôle des parlementaires devrait être, à cette heure, de tracer le chemin pour y arriver.

Emmanuel Macron, dont on a bien compris qu'il entend marquer l'histoire de son nom, pourrait y parvenir en accompagnant cette bifurcation, plutôt qu'en imposant le fait du prince.

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(*) Signataires : Mathilde Panot, présidente du groupe LFI-Nupes à l'Assemblée nationale ; Christophe Bex, Aymeric Caron, Maxime Laisney, Aurelié Trouvé, Anne Stambach-Terrenoir, chefs de file LFI-Nupes sur le PJL relatif à l'accélération construction de nouvelles installations nucléaires et fonctionnement des installations existantes.