Obligation de rénover les bâtiments tertiaires  : une opportunité stratégique pour les dirigeants

Par Marie-Sylvie Bertail  |   |  796  mots
(Crédits : DR)
OPINION. En France, le secteur immobilier est le plus consommateur d'énergie et le deuxième plus émetteur de gaz à effet de serre. Alors que la nécessité de décarboner notre économie se fait toujours plus prégnante, le décret tertiaire contraint à agir en ce sens. Plutôt que se soumettre à contre-cœur, les dirigeants doivent l'inscrire au cœur de leur stratégie, de façon à s'assurer différenciation, pérennité, et amorcer un changement de trajectoire pour leur entreprise. Par Marie-Sylvie Bertail, Directrice Générale GreenFlex

Un enjeu stratégique et financier négligé. Finance verte, reporting ESG, taxonomie européenne... les contraintes extra-financières qui pèsent sur les dirigeants se multiplient. Investisseurs, consommateurs et société civile attendent des entreprises qu'elles redoublent d'efforts pour montrer « patte verte ». Passée sous les radars jusque-là, l'obligation de rénovation énergétique telle que définie par le « décret tertiaire » rejoint cette liste croissante d'engagements nécessaires de la part des directions générales et financières. Largement soutenue par le plan de relance, elle est marquée d'une forte volonté politique.

Cette réglementation fixe des objectifs ambitieux pour diminuer les consommations énergétiques des bâtiments tertiaires d'ici 2050, et ainsi participer à la stratégie nationale bas carbone. Centre-commerciaux, entrepôts, supermarchés, bureaux, zones de restauration... toutes les surfaces à usage tertiaire supérieures à 1 000 m2 sont concernées.

Le décret tertiaire, ou « dispositif Eco-énergie tertiaire », arrive à un moment où les usages de ces bâtiments sont chamboulés : explosion du drive et de la livraison dans la distribution, développement massif du télétravail, reconversion de bureaux en logements... Au-delà des aspects technique et réglementaire, il offre aux dirigeants un puissant levier de transformation et de différenciation, à condition de s'en emparer pour l'inscrire au cœur des stratégies, et ce dès maintenant.

Le décret tertiaire, créateur de valeurs

Entrer dans la logique d'efficacité énergétique requise par le décret tertiaire, c'est d'abord gagner en performance. Réduire les factures d'énergie fait naturellement baisser les charges. Moderniser ses espaces et ses équipements rend plus compétitif et améliore l'expérience vécue par les occupants. Confort, température, éclairage, autoconsommation énergétique... Demain, les nouveaux concepts de magasins ou de bureaux reposeront sur ces fondements exigés tant par les usagers que par le décret tertiaire. En plus de fournir une vision globale sur l'état du parc, ses consommations et émissions de CO2, cette obligation permet ainsi d'accroître la « valeur verte » d'un patrimoine immobilier. A l'inverse, les bâtiments à la traîne verront leurs taux de rotation et d'inoccupation grimper en flèche, et se déprécieront.

Les sanctions prévues en cas de non-conformité - faible amende et principe de « name and shame » - peuvent sembler dérisoires. Les impacts, positifs ou négatifs, sur la réputation et l'attractivité le sont beaucoup moins. Alors que les parties prenantes revoient leurs critères d'estime des entreprises et collectivités, ne rien faire devient le plus coûteux et le plus risqué. Rendre ses bâtiments performants sur le plan énergétique est une occasion supplémentaire d'incarner l'exemplarité de sa démarche RSE. Les chefs de file se verront préférés par leurs clients, leurs employés actuels et leurs futures recrues.

De nouveaux investissements à anticiper

L'efficacité énergétique franchit un cap avec le décret tertiaire. Jusqu'à présent, il suffisait d'actions simples et peu onéreuses pour gagner les 5 à 10 % d'économies d'énergie attendues par la direction. On changeait les ampoules, optimisait les réglages, revoyait les usages. Le décret tertiaire change la donne car il exige des remplacements d'équipements et des travaux de rénovation massifs, donc des investissements majeurs.

Le gouvernement vient de décaler la première échéance de remontée des données énergétiques à septembre 2022. Ce report laisse aux directions générales et financières une nouvelle chance d'anticiper ce virage, avec trois enjeux majeurs :

  • Obtenir une image complète des travaux à réaliser, les inscrire dans une stratégie énergétique et patrimoniale globale, et définir un plan d'actions sur plusieurs années afin d'assurer leur efficacité ;
  • Prévoir l'effort financier associé, l'échelonner et trouver les meilleures sources de financement, adaptées à des projets énergétiques et permettant de conserver ses ratios ;
  • Identifier et réunir les multiples expertises indispensables pour orchestrer ce chantier qui nécessite des compétences environnementales, financières et digitales, ainsi qu'une coordination au niveau de la direction générale.

L'obligation de « faire », imposée par le décret tertiaire, est une innovation notable dans les politiques publiques, observée avec intérêt partout en Europe. Elle pourrait ensuite se développer dans d'autres pays et d'autres segments de marché. En France, la Convention Citoyenne pour le Climat a d'ailleurs recommandé une obligation de rénovation pour les logements. A l'heure où Etats, ministres et multinationales sont attaqués en justice pour l'insuffisance de leurs actions climatiques, tout porte à croire que le décret tertiaire n'est qu'une première étape avant d'autres obligations aux exigences élevées. Les dirigeants doivent maximiser la création de valeurs à partir de ce nouveau paradigme.