"Paradise Papers" : et si la France devenait un paradis fiscal ?

Par Rémi Martial  |   |  1116  mots
Rémi Martial, économiste, maire de Lèves, conseiller départemental d'Eure-et-Loir.
Qu'y a-t-il d'immoral à vouloir payer le moins d'impôts possible ? Et à l'inverse, en quoi est-il moral de vouloir imposer à des contribuables de payer le plus possible d'impôts ? Par Rémi Martial, économiste, maire de Lèves, conseiller départemental d'Eure-et-Loir.

Face à un système fiscal qui s'essouffle de trop taxer les plus hauts revenus, nous pourrions modifier en profondeur notre philosophie en la matière afin d'attirer les investisseurs et de redorer notre économie, tout en respectant la propriété privée et le secret fiscal. Et si, d'enfer fiscal, la France avait intérêt à devenir un paradis fiscal ?

"Le Monde" vient de publier les résultats d'une enquête internationale, fruit d'un an de travail en collaboration avec une centaine de médias, révélant des documents confidentiels émanant essentiellement d'Appleby, « prestigieux cabinet d'avocats au service des fortunes cachées », selon le quotidien. Un peu plus d'un an après le scandale des « Panama Papers » et la chute de Mossack Fonseca, le sujet de l'évasion fiscale pointe à nouveau le bout de son nez. Les commentaires forcément condamnatoires ne se sont pas fait attendre, jetant en pâture un certain nombre de citoyens et d'entreprises.

Renforcer la législation fiscale : une fausse bonne idée

Une précision liminaire - et fondamentale - doit ici être posée. Il est important de distinguer ce qui relève de la fraude fiscale, pratique illégale et qu'il est légitime de vouloir sanctionner, et ce qui relève de l'optimisation fiscale, manœuvre tout à fait légale quant à elle. L'évasion fiscale peut définir l'une comme l'autre. Le Monde rappelle d'ailleurs que les « Paradise Papers » se situent majoritairement dans le champ de l'optimisation légale qui, exercée à titre privé ou professionnel, vise à réduire son niveau de prélèvements obligatoires. En un sens, l'irrespect de la propriété privée et du secret fiscal est bien plus condamnable que la pratique de l'optimisation fiscale.

Où se situe, par conséquent, le problème en l'espèce ? Selon le quotidien, les paradis fiscaux « coûtent aujourd'hui 20 milliards d'euros à la France ». Une remarque qui s'inscrit dans un mode de réflexion très franco-français, consistant à penser que tout impôt non payé devient une recette perdue pour l'État. Comme si ce dernier était automatiquement propriétaire de l'argent des citoyens et des entreprises. Après tout, qu'y a-t-il d'immoral à vouloir payer le moins d'impôts possible ? Et à l'inverse, en quoi est-il moral de vouloir imposer à des contribuables de payer le plus possible d'impôts ?

Comment l'enseignement de l'économie formate les esprits

L'argument est bien connu : une fois cette manne « égarée » pour l'État, c'est le financement des sacrosaints services publics qui se retrouve amputé injustement, et la solidarité nationale qui est mise à mal. C'est oublier un peu vite qu'en dehors de l'État-providence, d'autres formes de solidarité existent, et que ce dernier est à bout de souffle, devenu aussi coûteux qu'inefficace. Nous sommes dans une impasse, la situation nous impose d'inventer un nouveau modèle. Mais, à voir comment l'économie est enseignée en France depuis des décennies, on comprend mieux pourquoi la conscience collective n'en attend toujours que de l'État, dans un esprit collectif d'irresponsabilité.

Une grande partie des acteurs publics appelle au renforcement des sanctions contre l'évasion fiscale. Sanctionnons les méchants riches, plutôt que de comprendre leurs comportements et plutôt que de vouloir traiter le mal à la racine. Une ineptie économique partagée par une partie de la classe politique, à gauche comme à droite, dont les réactions aux « Paradise Papers » étaient attendues. « Après cet énième scandale fiscal, renforçons pour de bon la loi, et demandons à l'Europe d'en être le garant » entend-on déjà un peu partout. Plutôt que de favoriser la concurrence fiscale, saine pour le citoyen, les défenseurs d'une harmonisation fiscale trouvent un nouvel argument. Evidemment, ils oublient de dire que cette harmonisation se fera par le haut... et aura pour conséquence de renforcer encore plus l'évasion fiscale...

« Trop d'impôt tue l'impôt »

La logique, au contraire, voudrait que le système fiscal français soit fortement allégé. A la place, regrettent certains, il favorise les « super-riches », qui ont les moyens de s'entourer des meilleurs conseillers fiscaux afin de jouer de la complexité de notre système. Résultat : « les autres », ceux qui ne disposent pas des mêmes ressources, se retrouvent doublement pénalisés, puisque non contents de ne pouvoir optimiser efficacement, ils subissent par ailleurs une fiscalité sans cesse alourdie.

La pression sur les classes moyennes dites « supérieures » ne s'atténuera pas de sitôt, au vu du premier budget de l'ère Macron. Au menu : remplacement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) ; augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG) ; maintien de la taxe d'habitation pour les 20 % des ménages les plus aisés. Autant de symboles d'une politique qui divisera à coup sûr les Français, qui ne se retrouvent pas sur le pied d'égalité qu'ils souhaiteraient.

La vérité, c'est que si la pression fiscale était moins forte dans l'Hexagone, l'évasion fiscale serait bien moindre. C'est là-dessus que le ministre de l'Economie Bruno Le Maire fait fausse route. Lundi dernier, il déclarait en réaction aux « Paradise Papers » que « l'évasion fiscale ruine le consentement à l'impôt ». Mais n'est-ce pas plutôt l'inégalité devant les taxes et la lourdeur de celles-ci qui fragilise ce consentement ? Avec des impôts trop élevés, la chose est entendue : non seulement nous perdons une recette fiscale importante, mais les investisseurs rebroussent chemin et engagent leur argent autre part, pesant négativement sur notre économie. Une double sanction qu'avait très bien démontrée l'économiste américain Arthur Laffer avec sa fameuse courbe : « Trop d'impôt tue l'impôt » avait-il déduit.

Citoyen-responsable et solidarité nationale retrouvée

C'est en fin de compte toute une philosophie fiscale qui est à revoir. Alors que le nombre de Français ne s'acquittant pas de taxes directes va augmenter, que 2% payent 40% des impôts, ne faudrait-il pas réfléchir à la mise en place d'un prélèvement type « flat-tax », où tout citoyen paierait un impôt direct local et national, mais le plus faible possible ? Chacun serait ainsi citoyen-responsable et participerait concrètement à une solidarité nationale retrouvée. Plutôt que d'être un enfer fiscal, complexe, injuste et confiscatoire, la France devrait penser à devenir un paradis fiscal.

Nous avons besoin de retrouver une situation économique saine, d'attirer les capitaux et les intelligences, et de retrouver la confiance perdue entre les citoyens et le pouvoir politique. Après les "40 Piteuses", symboles de dette, de déficit et de chômage de masse, il est temps de changer de logiciel.