Pas de transition énergétique réussie sans recours massif au gaz naturel

Par Christophe-Alexandre Paillard  |   |  823  mots
Vue du chantier de Nord Stream 2. (Crédits : Reuters)
OPINION. Même si le gaz naturel est aussi émetteur de gaz à effet de serre, il l'est moins que le pétrole et le charbon. Source d'énergie abondante, relativement bon marché, cela justifie que l'Europe y ait recours, notamment celui en provenance de la Russie, afin d'éviter une transition brutale qui pourrait créer des perturbations économiques, financières et sociales. Par Christophe-Alexandre Paillard, haut fonctionnaire et maître de conférence à Sciences Po Paris.

Le 30 octobre 2019, l'Agence danoise de l'Energie, l'Energistyrelsen, a autorisé la construction de la dernière tranche sous-marine du gazoduc Nord Stream 2, au large de l'île de Bornholm, sur le plateau continental danois, en mer Baltique. Ce gazoduc doit relier le district russe de Kingisepp à la côte allemande de Poméranie. Il est déjà construit à plus de 80%, avec 2.100 kilomètres de conduites sous-marines, et il va dédoubler le gazoduc déjà existant Nord Stream. A son arrivée, le gaz sera distribué par le réseau gazier du marché intérieur européen.

Un projet vital

Ce projet est d'autant plus vital pour ses partenaires que la Russie a besoin d'accroître ses revenus tirés des exportations de matières premières et que l'Allemagne doit proposer à ses consommateurs de nouvelles sources d'approvisionnement, après l'abandon du nucléaire civil décidé en mai 2011 et pour limiter la consommation de charbon, qui couvre encore 38% de la production électrique allemande. Le charbon est largement responsable de la forte croissance des émissions de gaz à effet de serre de notre voisin d'outre-Rhin ces dernières années ; ce qui n'est pas accepté par l'opinion publique allemande, ce qui ne permet pas à ce pays d'afficher un bilan carbone satisfaisant et ce qui fait de l'Allemagne un pays disposant d'un taux d'émission de CO₂ par kWh dix fois supérieur à celui de la France.

En fait, le gazoduc Nord Stream 2 montre que le gaz est nécessaire pour passer d'une société ultra-carbonée à une société post-transition énergétique où les principaux modes de production seraient peu émetteurs de gaz à effet de serre. En 2019, les ressources carbonées continuent d'être dominantes dans le bilan énergétique de la quasi-totalité des états de notre planète, avec 85% des ressources produites, très loin devant les énergies renouvelables et l'énergie nucléaire, expliquant la croissance continue des émissions de gaz à effet de serre. Simple exemple, le secteur des transports, qui représente 30% des besoins pétroliers mondiaux, dépend à 94% des hydrocarbures, et il n'existe pas encore de révolution technologique permettant à ce secteur clef de l'économie mondiale de trouver un substitut crédible et massif aux carburants actuels.

Ce changement a un coût

En réalité, l'enjeu de la transition énergétique de ces prochaines années est d'assurer que le monde dispose toujours de sources d'énergie abondantes et relativement bon marché pour éviter des déséquilibres économiques, financiers et sociaux désastreux qui conduiraient à l'échec de cet objectif planétaire capital que reste la limitation puis la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le monde doit limiter ces émissions et l'impact des changements climatiques qui en découle, mais ce changement a un coût, une temporalité longue et il doit être accepté et acceptable par tous ; une fourniture suffisante de gaz est nécessaire non pas malgré, mais plutôt à cause de l'urgence climatique.

De fait, pour s'attaquer efficacement aux sources les plus polluantes, c'est-à-dire le charbon et le pétrole, le monde ne peut uniquement compter sur les énergies renouvelables ou même sur le nucléaire civil, technologie trop complexe et trop coûteuse pour être adoptée par tous. Il doit pourvoir disposer d'une forme d'énergie moins polluante, qui n'est certes pas un optimum de premier rang en matière d'émissions de gaz à effet de serre, mais qui a le mérite d'être moins polluante que le pétrole ou le charbon, financièrement accessible et relativement abondante du point de vue géologique. Cette source d'énergie s'appelle le gaz naturel et il n'en existe aucune autre à ce jour permettant de remplir ces derniers critères.

Bien qu'étant lui aussi émetteur de gaz à effet de serre, le gaz naturel contient moins de composants mineurs, comme le soufre ou les métaux lourds, que le pétrole et le charbon. Il contient moins de carbone par unité de masse que le pétrole et sa combustion provoque moins d'émissions de gaz à effet de serre. A énergie équivalente, en moyenne, le gaz permet une baisse de 25% de ces émissions par rapport au pétrole et de 50% de CO₂ quand il est utilisé pour la production d'électricité.

Solution de transition

Garantir à long terme la baisse des émissions de gaz à effet de serre et arrêter pour de bon la dégradation continue de l'environnement mondial passe par une substitution croissante du gaz naturel au pétrole et au charbon. Or, comme la production de gaz au sein de l'Union européenne est notoirement et largement insuffisante, de nouvelles importations de gaz seront nécessaires pour de nombreux autres pays européens dans un proche avenir. C'est certes une solution de transition, mais c'est la seule possible pour s'engager de manière réaliste sur la voie d'une transition énergétique réussie et durable.