Peut-on se passer d'huile de palme pour nourrir l'humanité ?

Par Pierre Bois d'Enghien  |   |  796  mots
Pierre Bois d’Enghien.
Les critiques à l'égard de l'huile de palme oublient de prendre en compte les rendements des divers oléagineux. Remplacer le palmier à huile par le soja ou le colza pose plusieurs problèmes, notamment pour répondre à la demande d'une population mondiale croissante. Par Pierre Bois d'Enghien, consultant en agro-industrie et environnement, ingénieur agronome, auditeur principal RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil).

A la suite de la polémique lancée par la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal, Nicolas Hulot s'est entouré d'experts pour signer une tribune dans le Monde dans laquelle il affirme: « La monoculture du palmier à huile menace toujours la vie des grands singes ».

Ce texte à charge contre l'industrie de l'huile de palme prétend que les efforts menés dans le cadre de la certification RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil) sont largement insuffisants. Les auteurs soutiennent qu'il faut cesser les importations d'huile de palme et remplacer celles-ci par des huiles végétales traditionnelles  (colza, tournesol) produites en Europe, de « façon durable et écologique ».

Une huile peut-elle en remplacer une autre?

Sans rentrer dans le détail de ce texte, nous voudrions commenter plus particulièrement un des sous-entendus qui s'y trouve implicitement développé : « peut-on se passer d'huile de palme pour nourrir l'humanité ? » En effet, c'est bien cette question qui est soulevée dans le fond par les auteurs, puisqu'ils laissent entendre que : quels que soient les efforts faits par les industriels, ils ne répondront jamais aux exigences toujours plus extrêmes des écologistes. Aussi, ils en déduisent qu'il vaudrait mieux remplacer l'huile de palme par d'autres huiles. Ce qui laisse croire au lecteur qu'une huile peut en remplacer une autre sur le marché mondial des oléagineux et si on pousse le raisonnement jusqu'au bout, on pourrait tout à fait se passer d'huile de palme.

En 2050, la population mondiale s'élèvera à 9,3 milliards d'individus

Or rappelons quelques chiffres. Tout d'abord l'offre : comparons la productivité et le rendement des oléagineux en compétition. La production moyenne mondiale d'huile de palme est de 4 tonnes par hectare et par an, contre, 0,8 tonnes par hectare et par an pour le colza et 0,4 tonnes par hectare et par an pour le soja.

Ensuite, la demande. En 2050, la FAO a estimé que le nombre d'individus vivant sur la planète atteindrait 9,3 milliards.

Aussi, la production nécessaire en lipides pour satisfaire les besoins, en considérant que la consommation par capita reste inchangée, est évaluée à 150 millions de tonnes d'huile végétale supplémentaires, soit 37 millions d'hectares supplémentaires de palmier.

Pour le soja, il faudrait l'équivalent de la superficie de l'Inde

Si on utilise le soja pour combler ce besoin, alors ce seront 375 millions d'hectares supplémentaires de soja qui devront être emblavés, soit une différence 338 millions d'hectares (à titre de comparaison, c'est l'équivalent de la superficie de l'Inde).

Si on utilise du colza, alors il faudra 187 millions d'hectares supplémentaires, soit une différence de 150 millions d'hectares, ou l'équivalent de la superficie de la Mongolie.

Il apparait donc clairement que le palmier à huile est la culture produisant des huiles végétales, qui occupe le moins d'espace et qui permet de maintenir le plus de forêts et d'espaces naturels !

Ainsi, Hubert Omont, expert du Cirad, affirme dans la revue OCL « Proche de quatre tonnes d'huile par hectare (huile de palme + huile de palmiste), le rendement de la palmeraie est, en moyenne mondiale, dix fois supérieur à celui du soja et quatre fois à celui du colza. Les groupes performants atteignent facilement 6 t/ha sur plusieurs milliers d'hectares, et certaines plantations dépassent même 8 t/ha. Ainsi, pour satisfaire une demande en huile croissante, il faut beaucoup moins de surfaces en palmier qu'en toute autre plante oléagineuse. »

En prenant en considération l'ensemble de ces évaluations, on constate que les solutions proposées par les signataires de la tribune de Nicolas Hulot auraient des conséquences bien plus désastreuses pour l'environnement. Pourquoi ne pas faire confiance alors aux acteurs de l'industrie qui ont déjà fait un travail fantastique pour mettre en place une filière durable ? D'autant plus que maintenant, les opérateurs ont intégré de bonnes pratiques pour que la biodiversité soit préservée dans leurs plantations (rabattage tardif pour maintenir le stock de graines dans le sol, protection des aires à Hautes Valeurs de Conservation comme les forêts ripicoles, les bas-fonds, les escarpements rocheux ).

Rien à voir avec un désert de la biodiversité

Rappelons également qu'une plantation de palmiers à huile abrite une trentaine d'espèces végétales différentes (dont des orchidées) et n'a rien à voir avec le désert de biodiversité que peut représenter une culture de plantes annuelles oléagineuses (tournesol, colza, etc.). Car à moins d'imaginer que nous soyons moins nombreux sur terre, on ne voit pas comment les autres filières seraient capables de fournir la quantité d'oléagineux nécessaire pour nourrir l'humanité tout en utilisant moins de superficie que les cultures d'huile de palme. Comment pourrons-nous parler de cultures durables et responsables, dans ces conditions et en connaissance de cause ?