Pologne : pendant le feuilleton politique, les affaires continuent

Par Patrick Edery  |   |  746  mots
Beata Szyldlo, premier ministre polonais, membre du parti Droit et Justice (PiS)
Le parti au pouvoir en Pologne va-t-il être en mesure de mener sa politique? Une feuille de route a été imposée par son prédecesseur, via notamment l'attribution de fonds européens. Par Patrick Edery, PDG de Partenaire Europe

La démocratie a-t-elle encore sa place en Pologne après la victoire du PiS ? Comment les polonais ont-ils pu voter en faveur d'un gouvernement nationaliste prônant des lois liberticides ? Ce gouvernement peut-il légitimement participer aux décisions de l'U.E. ? Telles sont les interrogations des plus hautes instances de l'Union européenne, relayées par les médias du continent qui dépeignent une Pologne morose, sous la coupe d'un dirigeant qui ferait preuve de graves dérives autoritaires.

Une lutte sans merci entre deux courants de Solidarnosc

Nous assistons, de fait et avant tout, à une lutte sans merci entre les deux courants historiques du célèbre mouvement Solidarnosc : les libéraux incarnés par le parti Plateforme civique (PO) et l'aile des conservateurs sociaux (Droit et Justice : PiS) qui vient de reprendre, en deux élections, la présidence de la République et le Parlement à son meilleur ennemi la PO.

Le courant libéral, mauvais perdant?

Ces deux courants sont incarnés respectivement par deux hommes qui se détestent : Donald Tusk, Président du Conseil Européen et fondateur de la PO, et Jaroslaw Kaczynski, Président du PiS. Certains observateurs polonais accusent directement la PO, mauvaise perdante, d'organiser une campagne au niveau européen afin d'enlever toute légitimité au PiS de gouverner et de l'empêcher de mettre en place ses réformes de redistribution des richesses. Il semble que ce soit aussi la perception de nombre de polonais puisqu'au plus fort de la crise avec l'U.E., la PO dégringolait dans les sondages alors que le PiS se renforçait.

Les réformes engagées par le PiS, souvent présentées en Europe comme liberticides, ne sont en réalité pas si extrêmes. Concernant les médias, en Pologne comme dans beaucoup de pays, il est habituel qu'un changement de majorité s'accompagne d'un changement de dirigeants des sociétés à capitaux publics ; d'ailleurs, en France, le choix du dirigeant des chaines publiques par le pouvoir politique n'est pas inconnu. Il en est de même quant à la fusion du parquet et du ministère de la Justice,. La vraie faute (et de taille) du PiS est d'avoir voulu remplacer les juges constitutionnels que son adversaire, la PO, avait nommés légalement, juste avant les résultats des élections. Le PiS souhaitait ainsi réparer ce qu'il considérait comme une injustice.

Gagnants de la mondialisation et laissés pour compte

On a aussi l'habitude de décrire les électeurs du PiS comme nationalistes et intégristes catholiques et ceux de la PO comme laïcs et pro-européens. S'il existe bien une fracture, elle est plutôt entre ceux qui profitent de la mondialisation et les laissés pour compte. Il s'agit de deux « clientèles » aux intérêts divergents représentant chacune environ 30% de l'électorat. Au pays de Lech Walesa, les partis de gauche ayant quasiment disparu, c'est le PiS qui s'est accaparé les laissés pour compte en proposant une nouvelle redistribution des fruits de la croissance exceptionnelle que connait la Pologne depuis 10 ans.

Une feuille de route économique, sous influence européenne

Or ce dernier, qui a été élu haut la main, arrive au pouvoir alors que son adversaire a non seulement cadenassé de nombreuses institutions, mais lui a surtout imposé une véritable feuille de route économique à suivre via les fonds européens.
En effet, c'est la PO qui a négocié, lors de la précédente législature avec l'Europe, la nouvelle période de programmation européenne et qui a mis en place les plans de développement. Ainsi jusqu'en 2020, le PiS n'a que très peu de latitude pour imposer une nouvelle politique économique. De l'avis de nombreux experts, le parti n'a pas les moyens financiers d'une politique plus interventionniste et même s'il arrivait à dégager, par miracle, des marges de manœuvre, « au pire », il ne ferait que donner plus de pouvoir d'achat à certaines catégories de la population.

Paradoxalement, le feuilleton qui se joue actuellement ne fait que renforcer le camp des eurosceptiques, polonais mais aussi britanniques, qui y voient un nouveau déni de démocratie : les polonais se sont exprimés et on met à l'index leur gouvernement qui souhaite appliquer les mesures pour lesquelles il a été démocratiquement élu. En cas d'échec lors de son mandat, le PiS a déjà une excuse toute trouvée.