Porte-avions chinois  : la France est-elle toujours dans le coup  ?

Par Noé Hirsch  |   |  1027  mots
Le premier porte-avions chinois. Depuis Pékin en a lancé un deuxième, le Shandong. (Crédits : Reuters)
OPINION. La mise en service d'un deuxième porte-avion chinois s'inscrit dans la volonté de Pékin d'imposer sa domination en mer de Chine au détriment des autres pays de la région, dont la France, notamment avec la zone économique exclusive de la Nouvelle-Calédonie. Pour peser Paris doit disposer d'un nouveau porte-avion qui dépendra de la décision d'Emmanuel Macron de valider dans le courant de l'année le plan de succession du Charles de Gaulle, et du nombre d'unité à construire. Par Noé Hirsch, analyste dans le secteur de la Défense et fondateur fondé d'East is Red, une newsletter professionnelle sur la Chine.

Le 17 décembre dernier, la livraison d'un second porte-avion, baptisé Shandong, à la marine chinoise, le premier de fabrication entièrement nationale, marquait un nouvelle avancée dans la volonté chinoise de développer une marine capable d'asseoir sa suprématie régionale en étendant sa capacité de projection en haute mer.

Si sa mise en service a fait grand bruit dans la presse chinoise, le nouveau porte-avion, équipé d'un simple STOBAR (dispositif permettant de faire décoller les aéronefs grâce à un tremplin), fait pâle figure face à son concurrent le Charles de Gaulle (équipé d'une catapulte - dite CATOBAR, qui fonctionne à vapeur), sans parler de l'USS Gerald R. Ford (le CVN-78), le nouveau porte-avion américain livré en 2017 et dont le premier déploiement est prévu pour cette année. Ce dernier est doté d'une toute nouvelle catapulte électromagnétique (EMALS), qui permet de projeter à moindre coût énergétique à une fréquence plus importante. Le Gerald R. Ford vient par ailleurs d'entamer une série de tests à la mer dans l'objectif de certifier la compatibilité du pont d'envol aux différents aéronefs, du drone à l'avion de chasse, qui seront amenés à opérer à partir de sa catapulte.

La Chine réalise des progrès technologiques

Face à la montée en puissance américaine, que vaut la réponse de Pékin ? De conception inférieure aux standards de cette nouvelle décennie, le nouveau porte-avion chinois ne sera opérationnel qu'une fois doté d'un groupe aérien : cette ultime phase ne sera achevée, selon les estimations, qu'entre 2022 et 2023.

Ainsi, en l'état, l'entrée en service du Shandong n'est pas en mesure de renverser la donne régionale. Ce n'est qu'une étape. En 2011, le gouvernement chinois allouait 70 millions d'euros à la recherche de catapultage électromagnétique. Un certain nombre d'instituts de recherche chinois annonçaient dès 2015 progresser sur le développement de technologies permettant d'obtenir un système EMALS, que certains observateurs le placent déjà sur le futur porte-avion chinois, en construction depuis au moins 2017 (chantier naval de Jiangnan Changxin, près de Shanghai), et probablement mis à flot courant 2022. Que ces spéculations se vérifient ou non, elles illustrent néanmoins la volonté chinoise de construire une flotte capable de rivaliser avec la marine américaine et ses alliés dans la région. Une ambition par ailleurs largement servie par une propagande intensive à la gloire de la marine sur le territoire, et l'exhumation d'événements historiques grossis, à l'instar de la fameuse expédition de l'amiral Zheng He au 16e siècle.

« Guerre inévitable »

Consciente, comme l'énonçait Sir Walter Raleigh, que la domination mondiale repose sur le commerce, que commande le contrôle des mers, la Chine cherche à protéger ses « routes de la soie maritimes », ainsi que l'approvisionnement en matière première du pays (80% du pétrole chinois importé transite par la mer, en particulier à travers le détroit de Malacca). Mais elle veut également imposer son contrôle sur la mer de Chine, une zone turbulente, peuplée d'îlots, de récifs et d'atolls que chevauchent les revendications de la plupart des acteurs de la région. Pékin, qui y convoite les ressources halieutiques et énergétiques, se montre insatiable : son tracé de revendication dit « en langue de buffle » y englobe sans partage la quasi-totalité des terres émergées, au préjudice des pays riverains (Japon, Vietnam, Philippines...). Cette intransigeance, qui vise également à sécuriser un espace pour les sous-marins lanceurs l'engins (SNLE) chinois, menace gravement la paix régionale au point que le Global Times, porte-parole de l'aile gauche du gouvernement de Pékin, n'hésitait pas à publier : « en mer de Chine, la guerre est inévitable ».

La France concernée ?

Les troubles en mer de Chine impactent déjà les zones économiques exclusives françaises, en particulier celle de Nouvelle-Calédonie, régulièrement pillée par les pêcheurs de diverses nationalités repoussés des zones contestées par la marine chinoise, voire par des « pêcheurs patriotiques » chinois (bateaux civils pratiquant des activités de pêche illégales et/ou servant à repousser les garde-côtes en les assaillant en masse). Selon le capitaine de Corvette Axelle Letouzé, dans ce contexte, « si la ZEE calédonienne est déjà l'objet de leurs convoitises, il est probable que d'autres ZEE françaises, comme celles de la Réunion ou de la Polynésie, le deviennent également à terme ». Par ailleurs, l'absence de coopération internationale en mer de Chine empêche la mise en œuvre de cadre écologique, et les actions incontrôlées des pêcheurs mettent gravement en danger le récif corallien.

Mais la nécessité d'une présence militaire française crédible dans la région ne se réduit pas à la défense des ZEE nationales. La Chine viole le droit international de la mer par une politique du fait accompli et une militarisation des récifs contestés (quitte à les agrandir, au détriment de l'environnement) ; elle boycotte également les décisions de justice qui lui sont défavorables, comme celle de la Cour permanente d'arbitrage de La Haye de 2016 donnant raison aux Philippines sur la question de souveraineté des îles Paracels et Spratley. Enfin, sa flotte ambitionne d'inclure au moins 3 porte-avions supplémentaire dans les dix ans. Au regard des volontés d'expansion de Pékin, et de son manque d'égard vis-à-vis de la souveraineté des Etats et du droit international, il semble indispensable de disposer des outils de possibilité d'un rapport de force, à commencer par la question du porte-avion, premier moyen de projection de puissance.

Emmanuel Macron validera dans le courant de l'année le plan de succession du Charles de Gaulle, et se prononcera sur le nombre d'unité à construire. Il est presque certain que le(s) nouveau(x) porte-avions français seront eux aussi doté(s) d'EMALS, la question est donc : nous doterons-nous d'une disponibilité opérationnelle permanente en construisant deux porte-avions capables de se relayer dans l'année (un sistership) ? Où nous préparons-nous à entériner notre impuissance dans cette région du monde ?