Portugal : le péril jeune

Avec une population d'un peu plus de 10,3 millions dont un tiers de retraités, le Portugal a perdu l'an passé 30 000 habitants. Faible natalité persistante et départs massifs des jeunes vers le reste de l'Union européenne fragilisent la stratégie du pays pour sortir de la crise économique. Par Jean-Marc Pasquet, président du Think tank Novo Ideo

A la fin des années 1990, le Portugal connaît un taux de natalité dans l'étiage moyen européen, autour de 1,5 enfant par femme. C'est la période de la croissance florissante, avec 120 000 naissances en 2000. Puis, un cycle décroissant en lien avec l'activité économique erratique de la première moitié des années du nouveau siècle. Avant le décrochage des années de crise, à rebours même du voisin espagnol. Le pic du cataclysme : l'année 2012. Le pays connaît alors une croissance négative de -4% et le taux de natalité le plus faible de l'Union : retour à celui qu'il connaissait à la fin du XIXe siècle.

 2012, annus horribilis

 L'année du départ des jeunes, 10 000 par mois. Une vague comparable aux migrations de la fin des années 1960. Cinquante ans après avoir fui la misère et les guerres coloniales, la jeunesse portugaise fuit l'austérité imposée par Bruxelles et part travailler dans toute l'Europe. A Lisbonne, des burgers restaurants vendent un sandwich avec quelques feuilles de salade, dénommé le « Troïka ». Le plancher de 80 000 naissances est atteint. Traduction directe, la chute de la population scolaire enregistrée sur les premiers cycles. Sur 1,3 million d'élèves, elle serait en moyenne de 8 % à l'horizon 2020. Les régions du Nord verraient même le mouvement de décroissance atteindre 12 %. Seule l'Algarve (Sud) garderait autant d'écoliers.

 Le nouveau gouvernement de coalition de la gauche est aux affaires depuis un an. Il multiplie les pistes de travail. Pour retrouver un chemin démographique plus favorable, des appels du pied auprès de la jeunesse d'Amérique du Sud, frappée par la crise, ou de celle des anciennes colonies dont la conjoncture se retourne. Le Portugal se veut également une terre d'accueil de migrants. Plus qu'il ne reçoit de demandes d'asile d'ailleurs, proches du millier seulement en début d'année. Un objectif de 10 000 personnes a été fixé, devançant les quotas proposés par les autorités européennes. Des villes se mobilisent, en particulier dans des zones de tradition agricole désertées du Nord et du Sud. Pour faciliter leur installation, un accompagnement des personnes est personnalisé sur le plan administratif et de l'apprentissage de la langue. Des actions de sensibilisation ont lieu auprès des populations locales inquiètes. Comme un retour de l'Histoire, il y a aussi cet accord de 2015 qui accorde la nationalité aux descendants de juifs séfarades, expulsés il y a cinq siècles par les rois catholiques. Une liste de 5000 noms « typiques de cette époque » permet de postuler à ce dispositif. Près de 4000 personnes ont tenté leur chance à ce jour.

 Très médiatisée depuis quelques années, l'installation de Français, d'Anglais et de Chinois. Il s'agit de près de 80 % de populations retraitées ou inactives, avec peu d'enfants. Qui plus est, la politique assouplie de golden visas en faveur d'une partie de ces populations a été perturbée à cause d'une affaire de corruption. Elle participe néanmoins à gonfler les « revenus de transferts » qui dynamisent le secteur de la construction. Les rentrées de fiscalités indirectes ont dépassé cette année les prévisions. Les recettes liées au tourisme, près de 11 milliards d'euros, favorisent le retour à la croissance.

 Il reste que le cœur du redémarrage démographique portugais s'est essoufflé. La crise économique et sociale s'est ajoutée à la faiblesse historique des politiques familiales. Malgré des initiatives de territoires qui multiplient par dizaines des « primes » à la naissance et des aides maternelles, l'âge limite du service des prestations est fixé à 16 ans. Une crise morale, profonde, vient encore enkyster ces maux.

 Saudade sociale

 Ces dernières années, le pays a connu un effondrement de sa croyance en l'avenir, fait de déclassement et teinté de fatalité. Une forme de saudade sociale bien ancrée dans les esprits. Dans son enquête récente réalisée sur 911 personnes, Le Lisbon Institute of Global Mental Health révèle que le taux de prévalence de la maladie mentale a bondi de plus de 10 points entre 2008 et 2015. Il concerne près d'un tiers des portugais désormais, à partir de l'angoisse ou de l'insomnie tenaces. Avec, dans 6,8 % des cas, un trouble mental considéré comme « grave ». Cette proportion a plus que triplé sur cette période.

Plus de 40 % de ces personnes ont déclaré des baisses importantes de revenus. Elles témoignent de difficultés actuelles à faire face à leurs charges courantes. L'étude pointe parmi les publics les plus touchés, les personnes aux niveaux d'instruction les plus faibles ainsi que les seniors. 70 % des personnes concernées déclarent que supporter le coût du transport pour accéder à un centre de soins est une difficulté insupportable, 40% d'entre elles ne reçoivent pas de soins appropriés. Or l'austérité budgétaire porte peu au développement de l'offre sanitaire.

 La nouveauté, c'est la forte hausse de la prévalence chez les 18-34 ans, en âge de se mettre en ménage. Ils sont plus fortement concernés par l'explosion du chômage. Malgré la baisse, récente, celui-ci continue de concerner près d'un quart des moins de 25 ans. Peu favorable à leur émancipation, le mouvement de cohabitation entre parents et enfants est encore accentué par la crise. Le départ du domicile parental dépasse régulièrement l'âge de la trentaine. Dans la capitale ou un demi million d'habitants côtoie une partie de l'année près de 300 000 touristes, les conditions d'installation des familles se sont également tendues.

Dans les quartiers populaires de la Mouraria, des affichettes noir et blanc dessinent une main, avec un euro adossé à une bague. Elle symbolise les prédateurs immobiliers qui s'apprêtent à arracher tout un pâté de maisons aux locaux. Tout proche, sur les pentes pittoresques de l'ancien quartier de pêcheurs Alfama, la colère gronde. Des foules se mobilisent pour éviter l'expulsion de plusieurs générations qui résident ici depuis des décennies pour un loyer très modeste. Quelques magazines titrent sur les contreparties de l'amorce d'un tourisme de masse à l'image de celui qu'a connu il y a vingt ans Barcelone. Malgré l'amorce de la reprise, on relève un regain récent de consommation d'alcool et des drogues notamment chez les jeunes hommes. « Nous n'avons pas d'industrie ici, on est obligé d'accepter des boulots en dessous de nos qualifications ou de partir », se désole André, titulaire d'une licence et secrétaire à l'université.

 En retour bravache sur la morosité surtout présente en-dehors des grandes villes, le très populaire « Président Marcelo » Rebelo de Sousa (droite) veut y croire. Il affiche sa bonhommie aux côtés du Premier Ministre de la coalition de gauche. Insistant sur un « consensus implicite » et le « dépassement des tensions » réussi au sein de l'exécutif, il appelle aujourd'hui à se « projeter sur le moyen et long terme ». Le premier anniversaire de la cohabitation s'ouvre sur un retournement de la natalité. Enfin, une légère croissance en 2015 après la décrue d'une décennie. 3000 naissances de plus, l'amorce d'une reprise. Comme le fruit de la solidité institutionnelle, on a encore surpris Marcelo à la télévision danser avec les enfants dans une cour d'école...

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Commentaire 1
à écrit le 05/12/2016 à 9:39
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"70 % des personnes concernées déclarent que supporter le coût du transport pour accéder à un centre de soins est une difficulté insupportable" Merci l'UE.

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