Post-Covid : quel avenir pour la restauration  ?

Par François Blouin et Peter Backman (*)  |   |  952  mots
(Crédits : Reuters)
OPINION. La pandémie de la Covid-19 va provoquer de profonds changements dans le rôle, le modèle économique et le type de consommation de la restauration. Une transformation dont on peut déjà déceler les premières grandes lignes. (*) Par François Blouin, président de Food Service Vision et Peter Backman, consultant en food service.

Dans l'histoire récente, des évènements aussi spectaculaires que des centres-ville désertés et de restaurants fermés durant de longues semaines ont été plutôt rares. Lorsque ce genre d'épisode survient, qui bouleverse le fonctionnement d'un secteur entier de l'économie, on évolue en général entre deux hypothèses : un retour à la situation antérieure dès que les conditions s'y prêtent. Autrement dit, après la Covid, la restauration reprendra sa vie d'avant. Seconde hypothèse : anticiper un changement radical. La restauration va devoir se réinventer de fond en comble. Notre position d'experts de l'ensemble de la filière restauration nous pousse à adopter une position plus équilibrée. Les restaurants vont rouvrir. Les consommateurs continueront d'aller déjeuner ou dîner dans leurs  restaurants favoris. Et l'on ne peut que s'en réjouir.

Mais croire que la pandémie ne provoquera pas de profonds changements dans le rôle, le modèle économique et le type de consommation de la restauration dans les pays développés serait une erreur. Cette industrie encaisse un choc unique dans son histoire, avec deux confinements en l'espace de quelques mois. Cela laissera des traces profondes. Et même si nos observations portent sur deux villes phares en Europe, Paris et Londres, elles s'appliquent tout aussi bien aux autres grandes métropoles du continent ou d'Amérique du Nord.

À quoi servent des restaurants dans des centres-ville désertés ? Trois types de consommateurs fréquentent ces « downtowns » : ceux qui y résident, les locaux ; ceux qui ne font qu'y travailler, les « commuters » (banlieusards) ; ceux qui les visitent, les touristes. Paris intramuros compte un peu plus de 2 millions d'habitants tandis qu'à Londres, 3,6 millions de résidents vivent dans un rayon de moins de cinq kilomètres du centre. Chaque jour, 1 million de personnes se rendent à Londres pour travailler et plus de 2 millions de Franciliens empruntent le RER. Enfin, Paris et Londres accueillent chaque année environ 20 millions de visiteurs, qui dépensent plus de 3 milliards d'euros en repas. Ce sont des flux considérables, qui rythment la vie des métropoles, créent de la valeur et assurent la fréquentation des bars et des restaurants.

Trois tendances de fond

La Covid a rebattu totalement les cartes. Dans les grandes villes, une partie des habitants s'est confinée hors les murs. Selon diverse études, 17% des habitants de la métropole du Grand Paris, soit près d'un million de personnes, ont quitté la région entre le 13 et le 20 mars 2020, lors du premier confinement. Les commuters se sont raréfiés en raison de la généralisation du télétravail et les touristes sont restés chez eux. Que se passera-t-il lorsque la pandémie aura disparu ? On ne peut émettre encore que des hypothèses, mais certaines tendances de fond nous semblent devoir se manifester avec plus d'acuité.

  • Les habitants des métropoles ne vont pas disparaître, même si un certain nombre d'entre eux vont probablement faire le choix d'aller vivre à la campagne ou dans des villes moyennes. Mais il est possible que leurs goûts, leur comportement, leur pouvoir d'achat soient affectés par la crise sanitaire et pour un certain temps.
  • Le nombre de "commuters" (banlieusards) devrait baisser de façon structurelle, car le télétravail s'installera de façon durable dans les pratiques des entreprises et des salariés : à Londres, une étude réalisée en août 2020 révélait que la moitié des plus grandes entreprises britanniques n'avaient pas le projet de rouvrir leurs bureaux des centres-villes après la pandémie.
  • Les touristes reviendront, mais probablement de façon progressive, s'agissant notamment des visiteurs en provenance de Chine ou du Japon, qui resteront sur leur garde un moment s'agissant des conditions sanitaires en Europe ou aux États-Unis. En outre, les villes de patrimoine comme Londres et Paris ont rompu avec le tourisme de masse, au bénéfice d'un « slow tourisme » qui fait de plus en plus d'adeptes dans le monde.

Des conséquences majeures

Quelles conséquences pour les modèles de restauration ? La première concerne la localisation. Les centres-ville des grandes métropoles risquent de devenir de moins en moins porteurs, au profit de sites nouveaux, loin des villes ou dans des villes moyennes. Une remise en cause non négligeable pour une industrie habituée à raisonner en taille de marché potentiel. Le repas « fonctionnel » à table, celui que prend le commuter le matin ou à déjeuner, va tendre à diminuer, au profit de la livraison ou du click & collect, ce qui là encore exige de réviser les modèles économiques. Seule s'en sortira une restauration de proximité, destinée aux « locaux » qui feront le choix de se rendre dans un restaurant parce qu'il propose une offre de très haut de gamme, ou une offre adaptée à leurs nouvelles attentes, en matière de circuit court, de fraicheur des produits, d'authenticité, de qualité d'accueil et de service.

Dans dix ans, l'industrie de la restauration aura probablement beaucoup changé. Certes, il y aura toujours de la restauration rapide, de la restauration assise, des « dark kitchens » et leurs escouades de livreurs, des investisseurs avides de nouvelles idées. Mais il y a fort à parier que les enseignes gagnantes ne soient plus les mêmes, que les produits, les prix, les menus, soient très différents, que l'ensemble de la chaîne du food service se soit transformé, car le choc de la pandémie et des confinements a fait naitre des questions et des attentes nouvelles.

De cette transformation naîtra une restauration profondément renouvelée et encore plus proche des consommateurs.