Pour progresser, l'Europe doit avancer à plusieurs vitesses

Par Steven Zunz  |   |  701  mots
Il est vain d'imposer à tous les pays européens un carcan unique. Mieux vaut envisager des grands blocs de politique commune auxquels ils pourraient adhérer. Par Steven Zunz, président de Domaines publics

Le Brexit, plus que tout autre enjeu, pose avec acuité la question de l'avenir de la construction européenne, mais il est loin d'être le seul. Crise des migrants aujourd'hui, crise de l'euro hier, il est devenu évident que l'architecture institutionnelle de l'Union Européenne n'est pas à la hauteur des défis auxquels elle est confrontée. Trente ans après la signature de l'Acte Unique en 1986, qui relançait alors un projet européen encalminé dans des années de difficultés économiques et de morosité, il nous faut à notre tour réformer en profondeur les traités fondateurs pour redonner un souffle à l'élan européen. Le Brexit est l'occasion d'ouvrir ce débat.

 Assumer le caractère pluriel de l'Union européenne

Le Traité de Lisbonne, s'il a permis d'améliorer le fonctionnement démocratique d'un espace politique singulier, une fédération de vingt-huit Etats-nations unique au monde, n'a pas véritablement réussi à sortir l'Europe de l'ornière après le traumatisant "Non" à la Constitution assené par la France, un de ses piliers fondateurs. Il faut désormais assumer le caractère pluriel de l'Union Européenne : permettre à chaque État d'y trouver sa place quelle que soient sa destinée et ses aspirations nationales sans donner l'impression d'une intégration politique imposée et inéluctable. Il faut faire l'Europe des cercles.

Une participation libre à des blocs de compétence cohérents

 Concrètement, cela implique d'organiser l'U.E autour de blocs de compétences cohérents auxquels chaque État pourrait décider de participer ou non. Dans un souci d'efficacité, la participation à un bloc imposerait de se plier entièrement aux partages de souveraineté qu'il implique, sans dérogation. Cette organisation aurait l'avantage de la lisibilité politique et démocratique et permettrait de préserver l'unité de la structure en permettant à chaque membre de définir la place qu'il entend y occuper. Il mettrait également fin au système des « opt-out » nationaux qui, s'ils venaient à se généraliser, conduirait l'Union Européenne à la cacophonie et au blocage.

Un premier bloc, non négociable pour quiconque souhaite rester membre de l'Union, pourrait comprendre un volet politique, le respect des droits fondamentaux et du cadre démocratique, ainsi qu'un volet économique centré sur le marché intérieur et le commerce. C'est ce qui forme aujourd'hui le cœur de l'action européenne et demeure relativement incontesté, même par les sceptiques. Un deuxième bloc pourrait être organisé autour de l'euro avec un accroissement de la convergence économique et budgétaire. Un troisième bloc comprendrait l'espace de libre-circulation, la coopération policière et judiciaire, auxquels s'ajouterait la gestion commune des frontières et des migrations. Cela pourrait être un moyen de convaincre les pays encore réticents à l'accueil de réfugiés. Un quatrième bloc jetterait les bases d'une véritable politique étrangère et de défense commune. Ceux-ci ne sont évidemment que des exemples.

 Imposer une intégration uniforme met l'UE en péril

Pourquoi un pays souhaitant accéder aux bénéfices économiques du marché unique devrait se voir imposer une coopération policière ou une monnaie unique ? Les Etats européens conservent des sensibilités différentes sur chaque sujet, fruit de leurs histoires et de leurs tempéraments nationaux. Vouloir les brider pour imposer une intégration uniforme met l'Union Européenne en péril. A l'inverse, pas question de profiter de la liberté de circulation des marchandises prévue par le marché intérieur sans accepter celle des services ou des travailleurs. Il en va évidemment de l'efficacité et de la cohérence des politiques mises en œuvre dans le cadre de chaque « bloc ».

 Cette grande renégociation, qui devrait être soumise au vote populaire dans chaque pays, permettrait de redonner aux peuples européens la maîtrise de leur destin et fixerait de manière claire l'étendue de leur participation à l'Union Européenne. Elle assurerait également aux pays désireux d'avancer vers plus d'intégration la possibilité de le faire. Soixante ans après la signature du Traité de Rome, c'est peut-être la meilleure façon de penser l'Europe du XXIe