Pour une bonne Santé, soignons notre État

Par Aurélien Véron  |   |  1081  mots
(Crédits : Reuters)
OPINION. L'efficacité d'un système de santé repose davantage sur la qualité de la coordination de ses acteurs de soin que sur le niveau de son budget. Par Aurélien Véron.

L'ampleur de la pandémie du Covid19 a surpris presque la planète entière. Personne n'avait jamais envisagé le confinement de la moitié de l'humanité. Tous les Etats ont vu leur modèle de santé et leur capacité logistique durement éprouvés en un temps très court. La France a découvert ses personnels soignants démunis en gants, surblouses et masques. Les lits manquaient ainsi que les médicaments, les tests et les respirateurs artificiels. Tout ceci aurait pu être vite rattrapé avec une organisation réactive, mais pas avec un lourd appareil de planification. Le marché concurrentiel et le système D ont finalement pallié l'inertie des autorités publiques et les carences béantes d'une bureaucratie de la Santé qui a été la meilleure alliée du coronavirus.

L'exemple des Etats-Unis

L'efficacité d'un système de santé repose davantage sur la qualité de la coordination de ses acteurs de soin que sur le niveau de son budget. L'exemple des Etats-Unis l'illustre bien avec 18% de leur PIB consacré à la Santé, de loin le taux le plus élevé au monde. Entre 2001 et 2018, le budget de la Santé a néanmoins progressé 2,5 fois plus vite que le PIB en France à un taux de 3,1% par an. Notre pays investit 11,2% de la création annuelle de richesse dans notre système de Santé, autant que l'Allemagne et bien davantage que les 8,8% de moyenne de l'OCDE. Or, l'excellence reconnue de nos personnels soignants est récompensée par des rémunérations très inférieures aux standards européens. L'encadrement de plus en plus restrictif des tarifs et honoraires pénalise quant à lui les praticiens indépendants (donc leurs clients) et décourage les vocations. Où est donc passé le budget de la santé?

Depuis des décennies, le gouvernement français n'a cessé de renforcer les administrations à la vision principalement comptable. Aux 17.000 emplois du ministère de la Santé (sans compter les consultants) s'ajoutent ceux de la DGS, des 18 ARS, de la HAS, de la DGOS, du HCSP et d'une multitude d'organismes nationaux, régionaux et départementaux couvrant plusieurs fois les mêmes missions de santé. A ceux-là s'ajoutent les 100.000 personnels administratifs de nos hôpitaux. Ces derniers ont évidemment été plongés dans des déficits croissants par cet esprit de planification. Leurs budgets d'investissements ont par conséquent été sabrés ainsi que leurs capacités logistiques.

Comme cela ne suffisait pas, Emmanuel Macron a demandé l'ajout d'un Conseil Scientifique et d'un Comité analyse recherche et expertise pour éclairer le gouvernement sur les décisions à prendre (oubliant au passage MSF, pourtant très en pointe dans la lutte contre les épidémies). Malgré ce constat, des élus de droite veulent très sérieusement « interroger le libéralisme », voire même exiger « d'abandonner la pensée bruxello-budgétaro-néolibérale ». Le coronavirus a manifestement dû contaminer les esprits.

 "Mammouth de la Santé"

La multitude de procédures et de directives de ce « mammouth de la Santé » a freiné ou  bloqué des initiatives vitales : réalisation de tests du Covid19 par des laboratoires de ville, récupération auprès de cliniques vétérinaires de masques respiratoires ou des produits anesthésiques pourtant adaptés aux humains. Ajoutons la liquidation de producteurs historiques de masques par non-respect des commandes promises par l'Etat et le refus de productions françaises de masques par absence d'homologation de la part d'administrations dépassées. Les pharmacies n'ont plus osé commander de masques de peur qu'ils soient réquisitionnés. Enfin, les Ehpad sont les victimes les plus tragiques de cette bureaucratie prétendument au service de notre santé. La protection de ces établissements hébergeant plus de 600.000 personnes âgées ne devait pas rentrer dans leurs procédures.

Le cloisonnement idéologique entre les différents acteurs de soin a toujours été privilégié à une coordination plus performante. Le recours aux cliniques privées a souvent démarré très tard alors que des hôpitaux publics refusaient des patients. Par chance, quelques cliniques et hôpitaux avaient spontanément organisé des partenariats et des médecins de tous horizons faisaient évoluer leurs pratiques en formant des groupes de discussion sur internet.

Dernier aspect non négligeable, la sécurité sociale contribue aussi à cette soviétisation rampante de la Santé en étant un simple guichet payeur. Le seul moyen de la transformer, c'est d'ouvrir ce monopole à la concurrence des mutuelles et assurances privées autour d'un socle de soins jugés nécessaires et universels. Ces dernières promettent d'être plus efficaces dans l'accompagnement de leurs assurés en termes de prévention et de négociations tarifaires satisfaisantes pour tous.

Mobilisation de volontaires et d'entreprises sans coordination de l'Etat

Tandis que les personnels soignants se mobilisaient avec les moyens du bord, le pays est sorti de sa torpeur avec l'annonce de commandes massives par LVMH, vite rejoint par Décathlon (aux masques de plongée adaptés aux respirateurs), Lidl, Michelin (aux masques rechargeables en filtres lavables) et Kering. Des simples enseignants en technologie fabriquant des visières protectrices aux fleurons internationaux, tout notre tissu de volontaires et d'entreprises s'est mobilisé sans aucune coordination de l'Etat. Des biotechs ont lancé des kits de dépistage fiables et rapides. D'autres PME innovantes travaillent sur des purificateurs capables de décontaminer des espaces clos (transports en commun, écoles, commerces...). Air Liquide et d'autres entreprises ont lancé des chaînes de production de respirateurs artificiels. Nos personnels soignants ont finalement obtenu le matériel requis grâce à la réactivité et à la solidarité du monde capitaliste tant décrié par les adeptes du « grand retour de l'Etat ».

Nous devons repenser notre modèle de santé autour des personnels soignants bien mieux rémunérés. Ces moyens supplémentaires seront financés par les économies tirées de la suppression des autorités, agences et services administratifs aussi inutiles qu'irréformables. Médecine ambulatoire, labos de ville, pharmacies, hôpitaux et cliniques privées doivent construire des coopérations régionales dans une organisation décentralisée. C'est ce modèle qui a été le plus réactif dès le démarrage de cette crise.

Décentralisons les pouvoirs et abandonnons le cloisonnement idéologique public/privé. Le vrai retour de l'Etat sera celui d'un Etat plus mince et plus efficace. Libérons enfin le système de Santé de ses carcans pour le rendre à nouveau réactif et performant.