Pour une France ambitieuse en Indopacifique

Par Anne Genetet  |   |  987  mots
« Pour les citoyens européens, l'Indopacifique reste un concept géopolitique très éloigné de leur quotidien » (Anne Genetet, députée de la 11e circonscription des Français établis hors de France). (Crédits : DR)
La députée des Français d'Asie et d'Océanie plaide pour que la France engage les « dialogues Marco Polo » et facilite diverses coopérations sectorielles pour agir en « puissance de solutions » dans la région. Par Anne Genetet, députée de la 11e circonscription des Français établis hors de France (Renaissance), secrétaire de la Commission de la défense nationale et des forces armées et présidente de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN.

Depuis vingt ans, le monde connaît un jeu de bascule vers l'Indopacifique. La France a adopté une stratégie régionale en 2018 et encourage l'Union européenne à s'engager également. Le succès de la visite du Premier ministre indien pour la célébration du 14 juillet est un exemple concret de la volonté de renforcer les partenariats stratégiques dans la région, tout comme le déplacement historique du président de la République prévu dans les îles du Pacifique, plaçant ainsi la France au cœur des enjeux mondiaux.

Le pivot asiatique

L'Indopacifique, c'est 60 % de la population mondiale, près de 40 % de la richesse globale et la croissance de demain. Selon le FMI, cette région pourrait atteindre plus de 50 % du PIB mondial d'ici 2040. Les opportunités économiques y sont considérables. La présence de grandes villes et de ports majeurs en fait une plateforme incontournable du commerce international.

Cependant, la Chine, puissance régionale, y a radicalement accéléré la consolidation de son influence et la promotion de son modèle de société depuis l'arrivée de Xi Jinping au pouvoir. Sa stratégie de la « ceinture et la route » vise à développer un maillage de pays alliés ou affidés pour asseoir sa domination. Sa force industrielle, sa capacité d'innovation et ses ressources naturelles donnent à la Chine les atouts nécessaires pour redevenir le « Céleste empire ». Une telle montée en puissance constitue un défi majeur à l'ordre international.

Face à cette ambition hégémonique, les États-Unis font du rééquilibrage asiatique leur priorité depuis l'administration Obama, plaçant ainsi la rivalité sino-américaine au cœur de la recomposition de la géopolitique mondiale. Les initiatives telles que l'alliance AUKUS et la relance du QUAD incarnent ce pivot vers l'Asie qui vise à endiguer l'influence croissante de la Chine et à préserver la stabilité régionale.

La France, puissance régionale

Forte de ses territoires d'Outre-Mer, de sa vaste zone économique exclusive dont 93 % se situe dans la région, de ses 1,65 millions de citoyens à Mayotte, la Réunion, la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et la Polynésie, de sa communauté d'environ 150.000 Français installés en Indopacifique (un nombre qui a triplé en 20 ans) ou encore de sa présence militaire permanente, la France peut et doit jouer un rôle déterminant en Indopacifique.

Elle a déjà établi des liens solides et stables, académiques, culturels, économiques (ce sont plus de 7.000 filiales d'entreprises françaises qui sont présentes en Asie-Océanie), mais aussi technologiques notamment dans le domaine de la transition écologique. Les secteurs de l'agriculture, des transports, de l'énergie, de l'eau ou encore de la sécurité civile offrent des opportunités considérables de coopération. C'est d'ailleurs la démarche du chef de l'État, aussi bien avec le partenariat franco-indien qu'avec son déplacement dans les îles du Pacifique.

Un enjeu européen

Pour les citoyens européens, l'Indopacifique reste un concept géopolitique très éloigné de leur quotidien. Pourtant, les vulnérabilités évidentes des chaînes de valeur mondiales et l'inflation causée par les perturbations du transport maritime rappellent que l'Indopacifique les concerne au plus près.

Ceci justifie pleinement une approche européenne, ce que la France encourage sans relâche. L'Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, plus récemment la République Tchèque ont également exprimé leur engagement dans la région. Ainsi, en y ajoutant la stratégie de l'Union européenne pour une coopération dans l'espace Indopacifique adoptée en 2021, la France et l'Europe peuvent faire valoir leurs atouts en Indopacifique, assis sur leurs valeurs communes et des analyses partagées. Assumons que nous sommes, ensemble, des puissances d'apaisement et de solutions.

Le dialogue, moteur de coopération, rempart à la confrontation

Les initiatives françaises dans cette région sont nombreuses : on peut citer l'Initiative Kiwa, une collaboration entre cinq bailleurs internationaux et des organisations régionales centrée sur la protection de la biodiversité et l'adaptation au changement climatique en Océanie, avec un financement de 41 millions d'euros sur cinq ans. L'Agence Française de Développement opère dans 24 pays de l'Indopacifique, avec un montant d'investissements approchant les 10 milliards d'euros.

La France s'efforce également de quadrupler le nombre d'experts techniques internationaux dans la région, en s'appuyant sur des institutions de recherche renommées telles que le CNRS, l'Institut Pasteur et l'Institut National des Sciences de la Mer. De plus, 96 établissements scolaires enseignent en français dans la région, tandis que 24 bureaux Business France soutiennent les entreprises françaises et attirent des investissements étrangers sur le plan économique.

Pour mettre en valeur ces projets et les faire connaître, la France dispose d'un réseau de 25 ambassades, 14 consulats généraux, 2 bureaux de représentation et 18 attachés de défense accrédités dans 33 pays d'une part et d'autre part d'une présence active au sein de nombreuses instances régionales dont l'Indian Ocean Rim Association ou le 7e symposium naval de l'Océan Indien qu'elle préside pour celles rejointes le plus récemment.

Mais pour consolider son rôle régional de leader européen en Indopacifique, la France manque d'un narratif qui permettrait, en les liant, de donner cohérence à tous ces projets. C'est tout l'objet du concept des « dialogues Marco Polo » que je propose et qui pourrait qualifier chacun de nos engagements dans la région leur conférant ainsi une visibilité qui leur manque cruellement. Parce que le dialogue invite par essence à la coopération et repousse la confrontation, ces « dialogues Marco Polo » traduiraient l'engagement fort de la France, incarneraient la réalité objective d'une France « puissance de solutions », une France qui ouvre le dialogue avec tous les acteurs, et développe des coopérations solides avec pour horizon : une prospérité commune et la construction d'une paix durable.