Pourquoi la France et l'Europe doivent maintenir les sanctions contre la Russie

Par Anna Garmash, Bernard Grua, Anastasia Kirilenko, Evan O'Connell et Igor Reshetnyak  |   |  971  mots
Vladimir Poutine
Ce ne sont pas les sanctions européennes contre la Russie qui sont à l'origine des pénuries. Elles ont permis de stopper l'avancée russe en Ukraine. Il faut donc les maintenir. Par Anna Garmash, présidente de Ukraine Action, Bernard Grua, co-fondateur et porte-parole du collectif international "No Mistrals for Putin", Anastasia Kirilenko, journaliste russe, Boris Najman, maître de conférences à l'Université Paris-Est Créteil, Evan O'Connell, analyste en affaires européennes et Igor Reshetnyak, vice-président de Ukraine Action

Après la résolution pro-Poutine votée par l'Assemblée nationale le 28 avril, le Sénat français examinera, ce 8 juin 2016, un texte proposant la levée des sanctions contre la Russie. Il semblerait à ce stade que la résolution sera assez largement approuvée, alors même que les raisons pour ces sanctions (occupation illégale de la Crimée ukrainienne, guerre non-déclarée menée par des troupes russes dans l'Est de l'Ukraine) sont toujours aussi valables et que rien n'a changé.

La résolution, proposée par les très pro-Kremlin Yves Pozzo di Borgo (UDI) et Simon Sutour (socialiste), semble avoir le soutien de la plupart des groupes parlementaires, allant de l'extrême-droite à l'extrême-gauche en passant par les Républicains et l'UDI. Bien qu'elle réaffirme l'attachement français à l'intégrité territoriale de l'Ukraine, elle constate que ces sanctions ont « des conséquences négatives, sur le plan tant économique que politique, pour l'ensemble des parties » et appelle à un « allègement progressif et partiel du régime des sanctions ».

Se fier aux rapports d'ONG

Mais quelle est la réalité ? Contrairement à bien des sénateurs qui trouvent ce texte « équilibré », la vérité est que le conflit dans l'Est de l'Ukraine et l'occupation de la Crimée continuent. Certains essaient de faire oublier la présence de militaires russes en Ukraine ou la persécution des Tatars de Crimée. Voire, ils propagent les mensonges de la propagande russe. Mais ceux qui se fient aux rapports indépendants d'ONG et d'organismes onusiens, plutôt qu'aux manipulations du Kremlin, ont l'obligation morale de s'opposer à ce texte.

La Russie militairement présente en Ukraine

Il y a un fait qu'il est impossible de nier : la Russie est et reste militairement présente en Ukraine. Sans même recourir aux études de divers centres de recherches, qu'il s'agisse de ceux de nos alliés européens ou simplement français, ou encore aux analyses d'informations tirées d'open-source, il suffit de parcourir un rapport de l'OSCE (dont la Russie, l'Ukraine et la France sont membres) tel le rapport du 27 septembre 2015, qui cite la présence d'un système lance-flammes TOS-1 ou encore celui du 16 août 2015, qui décrit un système de brouillage RH-330ZH. Ces deux systèmes fort coûteux n'ont jamais été achetés par l'armée ukrainienne et ne peuvent, par conséquent, que provenir de la Fédération de Russie.

Ensuite, la situation des Tatars de Crimée est documentée par de nombreuses ONG qui ont depuis plus de deux ans alerté l'opinion publique sur les violations flagrantes des Droits de l'Homme dans la péninsule de Crimée. La Russie en tant que force d'occupation en porte l'entière responsabilité. Parmi les derniers coups portés à la population autochtone, notons l'interdiction de l'assemblée populaire des Tatars, un acte condamnée par l'UE. Il n'est pas surprenant de constater que ce fait est omis par le sénateur Pozzo di Borgo, qui a participé à un voyage illégal « à la Potemkine » en Crimée. Pourtant c'est là un fait important pour le sénateur Sutour qui s'était entretenu par le passé avec Réfat Tchoubarov, un des représentants des Tatars de Crimée.

Les sanctions ont pu stopper la progression de Poutine en Ukraine

Dans cette situation où la Russie reste un pays agresseur en Ukraine, on ne peut pas accepter la levée, même partielle, de sanctions. Cela est d'autant plus vrai que, contrairement aux sanctions russes qui visent des populations, les sanctions européennes ciblent exclusivement des individus, comme l'explique l'UE : « Ces mesures ciblées devraient réduire au minimum les conséquences négatives pour les non-responsables de ces politiques et actions, en particulier la population civile locale, et pour ceux exerçant des activités légitimes dans le pays concerné. ». Ce sont, de fait, les contre-sanctions russes, ainsi qu'une augmentation du budget militaire de la Russie, au détriment des secteurs sociaux, qui ont provoqué une pénurie artificielle. Jointe à la chute du rouble, elles ont causé une flambée du prix des produits de consommation courante.

La réalité est que la mise en place de sanctions fut le seul facteur qui a pu arrêter l'avancée de Poutine en Ukraine. Même leur levée partielle risque de nous projeter en arrière, à l'été 2014, quand des Ukrainiens mourraient par centaines chaque semaine. Ces sanctions sont la réponse logique à des actes qui remettaient en question le droit international et la sécurité du continent européen. Le gouvernement russe est encouragé à implémenter les accords de Minsk afin d'assurer la levée des sanctions économiques. Les élus russes - s'ils considèrent être accusés injustement - sont encouragés à lancer un recours auprès des tribunaux européens. En revanche, il n'existe aucun recours juridique pour les Français sous sanction du Kremlin.

L'Europe

L'Europe doit rester unie et forte. Elle doit maintenir les sanctions. Nous ne devons pas oublier que nous ne sommes pas seuls face à Poutine. Les sanctions qui ont été imposées sont européennes. Nous sommes, en conséquence, entourés d'alliés, avec lesquels nous pouvons rechercher, ensemble, des solutions. Car, même si le but du Kremlin dans le court-terme est la levée des sanctions, dans le long-terme ce que cherche Poutine est d'affaiblir et de diviser l'Europe. Est-ce que nos sénateurs souhaitent en être les artisans ?

Anna Garmash, présidente de Ukraine Action

Bernard Grua, citoyen français, co-fondateur et porte-parole du collectif international "No Mistrals for Putin"

Anastasia Kirilenko, journaliste russe

Boris Najman, maître de conférences à l'Université Paris-Est Créteil

Evan O'Connell, analyste en affaires européennes

Igor Reshetnyak, vice-président de Ukraine Action