Pourquoi le Brexit n'est pas dans l'intérêt de la France

Par Julien Barlan  |   |  970  mots
Malgré les accords arrachés par Londres lors du sommet européen de vendredi, la possibilité d'un Brexit lors du référendum du 23 juin ne s'est pas éloignée, avec des conséquences politiques et économiques fortement négatives à la fois pour la Grande-Bretagne mais aussi par ricochet pour la France. Par Julien Barlan, économiste.

Après l'accord conclu vendredi dernier à Bruxelles entre Londres et ses partenaires européens, l'actualité économique européenne va maintenant être marquée par le référendum à venir, jeudi 23 juin, sur l'appartenance de la Grande Bretagne à l'Union européenne. Le Premier ministre David Cameron, dont le pays bénéficie déjà pourtant de nombreuses dérogations et vient de s'en voir accorder d'autres, réclame plus de souveraineté tandis que ses homologues sont attachés aux règles communes. Or, d'un point de vue économique, Londres bénéficie grandement de son appartenance actuelle à l'UE. Par ailleurs, le Brexit vient s'ajouter à la désormais longue liste de soubresauts mettant graduellement en danger l'existence de l'UE, après la crise financière et notamment le volet grec, et la crise migratoire. Politiquement, le départ de la Grande Bretagne pourrait ouvrir une boite de Pandore à l'issue très incertaine.


Le Royaume-Uni profite déjà d'un rabais sur sa contribution à l'UE

Premièrement, il convient de rappeler qu'au-delà des concessions accordées hier soir par les européens à la Grande Bretagne concernant les travailleurs européens ou la régulation de la place financière de la City, le cas britannique était singulier dans l'UE car le Royaume-Uni ne contribue que partiellement au budget européen et bénéficie d'un « rabais » égal à 66% du surplus entre sa contribution brute et les bénéfices reçus. Ce rabais s'élève aujourd'hui à 3,8 milliards d'euros, coût qui est supporté par les autres membres de l'Union et notamment la France. Par exemple, la contribution française s'élevait en 2011 à 19 milliards d'euros dont 823 millions au titre de la correction britannique, soit plus de 4% de notre contribution !

L'économie britannique dopée par le marché unique

Or, en contrepartie de cette contribution diminuée, la Grande-Bretagne profite de tous les avantages économiques de l'appartenance à l'Union européenne. Le très sérieux Centre for European Reforms notait ainsi dans un rapport de 2014 que depuis son entrée dans l'Union, le Royaume-Uni a augmenté de 55% ses échanges avec les pays membres. De même, le PIB par habitant au Royaume-Uni est estimé à 20% plus élevé que s'il n'avait pas rejoint l'UE. Autre chiffre, le think tank allemand Bertelsmann Stiftung estime que l'isolement commercial du Royaume-Uni lui coûterait entre et un et trois de points de PIB en 2030, soit 313 milliards d'euros. Enfin, le CBI, le Medef britannique, calcule que le maintien dans l'UE représente environ 4 à 5 % du PIB du Royaume-Uni, 73 à 91 milliards d'euros, soit 3 540 euros pour chaque ménage. De manière peu surprenante, 80% de ses entreprises adhérentes souhaitent rester dans l'UE.

 Pas sûr que le jeu en vaille la chandelle

Alors Londres a-t-elle vraiment intérêt à quitter l'Union ? Rien n'est moins sûr lorsque l'on considère que le Royaume-Uni devrait renégocier son adhésion au marché unique et à l'espace économique européen sur la base de traités bilatéraux, par exemple sur le modèle suisse ou islandais. Mais ses partenaires européens pourraient être réticents à offrir au Royaume-Uni sortant des conditions préférentielles. La décision du Brexit se résume ainsi à un choix lourd de conséquence : quel coût économique le Royaume-Uni est-il prêt à payer pour retrouver la totalité de sa souveraineté ? Il n'est pas sûr que le jeu en vaille la chandelle.

Enfin, cette promesse électoraliste de David Cameron d'organiser un référendum est d'autant plus dommageable que pas forcément compréhensible dans un contexte de reprise économique et de plein emploi outre-Manche, où croissance, chômage faible, réforme de la sécurité sociale, recul de la dette, réduction de l'impôt sur les sociétés et baisse de la dépense publique sont au rendez-vous depuis 2010 sous la houlette du Premier ministre.

Vers un démantèlement de l'Europe aux conséquences économiques graves pour la France

Politiquement, comme la menace d'un Grexit à l'été 2015, une sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne pourrait être le premier domino à tomber, marquant le début de la fin d'une construction entamée sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale. Qu'il semble loin le temps où l'idée d'une Union forte, au-delà des égoïsmes nationaux, prédominait. En bout de chaîne, à moins de considérer une construction à plusieurs vitesses avec une « mini union » dont l'efficacité est incertaine, l'espace Schengen pourrait disparaitre sous l'effet conjugué de la crise migratoire et d'un départ de la Grande Bretagne, ce qui marquerait officiellement la fin de l'UE et de ses principes fondamentaux que sont la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux. Évidemment, les conséquences économiques ne seraient pas en reste, notamment pour la France.

Le secteur du tourisme laminé

De récentes études, dont celle de France Stratégie, ont chiffré des pertes annuelles comprises entre un milliard d'euros d'impact immédiat et 13 milliards sur le long terme, soit une perte de 0,5% de point de PIB français. A la vue des taux actuels, cela reviendrait à diviser la croissance française par deux, dans un contexte où justement la croissance manque cruellement pour faire repartir l'emploi. Le secteur du tourisme notamment serait laminé, avec un impact immédiat sur les recettes estimé entre 500 millions et 1 milliard d'euros par an.

Quand on sait que dans le même temps la France est la première destination touristique au monde, les pertes pour l'économie française seraient désastreuses. Quant au travail transfrontalier, objectif justement permis et développé par la construction européenne, il verrait une disparition de 5.000 et 10.000 emplois, soit une perte nette de 150 à 300 millions d'euros par an, et ce sans même prendre en compte les coûts supplémentaires engendrés par le traitement de ces chômeurs supplémentaires.