Pourquoi les jeunes votent FN

Par Pierre Bentata  |   |  822  mots
C'est surtout parce que les partis traditionnels sont incapables d'articuler un discours et une offre politique en faveur de la jeunesse que nombre de jeunes votent Front national. Par Pierre Bentata, professeur à l'ESC Troyes et président de Rinzen Conseil*

C'est officiel, le 30 mai, l'UMP est devenu « Les Républicains ». Mais comme il ne suffit pas de rebaptiser un parti pour résoudre ses problèmes, ce sera donc aux Républicains qu'il incombera de relever un défi majeur, à savoir ramener les jeunes sympathisants de droite dans son giron. En effet, depuis quelques années, ils sont de plus en plus nombreux à rejoindre les rangs du Front National.
Et pourtant, ces mêmes jeunes sont globalement favorables à l'immigration (67 % d'entre eux) et au multiculturalisme (57%). Plus étonnant encore, ils se méfient des Etats et des institutions nationales (seuls 25% ont confiance en l'Etat), leur préférant les organismes internationaux et particulièrement l'Union Européenne, l'OMC et les grandes ONG. Pour paraphraser les conclusions du rapport de la Fondapol, leur pays les inquiète mais l'époque les rassure. Ainsi, les jeunes français sont séduits par le FN mais apprécient et plébiscitent tout ce que ce parti dénonce !
Comment expliquer un tel paradoxe ?

Un sentiment mêlé d'excitation et de crainte

L'explication se trouve dans les tendances lourdes qui façonnent l'avenir. Les développements technologiques vont améliorer notre quotidien et allonger notre espérance de vie dans des proportions inespérées ; l'émergence de nouvelles puissances économiques s'accompagne d'un élan démocratique nouveau dans la plupart des pays en développement ; l'économie globalisée aplanit le monde et homogénéise les modes de vie, calqués - quoi qu'on en dise - sur la culture occidentale. Si ces évolutions ont de quoi raviver l'optimisme des jeunes, ces derniers ne sont pas dupes et savent que pour profiter de ces bouleversements il est nécessaire de s'y préparer aujourd'hui.

Avant de bénéficier à l'ensemble de la société, les innovations provoqueront une vague de chômage sans précédent. De même, la croissance des pays émergents accroitra la concurrence mondiale et l'allongement de la durée de vie impliquera de réformer nos systèmes de santé et de retraite alors même que l'endettement public réduit les marges de manœuvres de l'Etat. Aussi, le changement s'accompagne toujours d'un sentiment mêlé d'excitation et de crainte. Face à cela, il n'y a que deux attitudes possibles : un volontarisme déterminé et confiant ou le repli empreint de pessimisme et de la certitude que demain ne peut être que pire qu'aujourd'hui.

Le choix du repli empreint de pessimisme

En choisissant le Front National, les jeunes ont clairement choisi la seconde alternative. En effet, le FN, c'est la Venise du XVIe siècle qui refuse de s'ouvrir aux populations du Nord de l'Europe en pleine croissance. C'est Londres à la fin du XIXe, limitant la vitesse de ses transports par peur de ne plus maîtriser sa technologie. Le FN, c'est le refus du changement et la tentative désespérée de maintenir le statu quo en dépit des réalités. En un mot, le FN est l'incarnation même du repli. Repli identitaire pour se protéger contre une culture devenue mondiale et plus globalement contre l'Autre ; repli économique par peur de la concurrence ; repli national aussi face à l'incapacité des gouvernements européens à proposer une vision de long terme.

Le choix du FN par défaut d'offre politique pour les jeunes

Mais alors, les jeunes sont-ils des Don Quichotte terrifiés par la réalité ? A bien y regarder, il semblerait plutôt qu'ils n'aient pas le choix. En effet, si le FN incarne la nostalgie des romantiques réfractaires au changement, aucune voix ne s'élève pour rassembler les modernes. A gauche comme à droite, et au-delà des querelles d'hommes, il n'y a pas encore de projet qui offre une vision de la France de demain. Aucune offre politique ne semble prendre en considération les attentes de cette jeunesse, comme si, pour le moment, personne n'avait pris conscience des évolutions fondamentales qui s'opèrent et qui transformeront notre pays.

Le désert programmatique des partis traditionnels

En d'autres termes, c'est le désert programmatique des partis traditionnels qui pousse les jeunes dans les bras du Front National. A cet égard, le devoir d'écouter les jeunes et de bâtir un projet commun incombe en premier lieu à la droite, qu'on l'appelle UMP ou Républicains, car c'est une évidence, elle sera au pouvoir dans deux ans, à moins de se suicider dans une guerre interne.
Les hommes politiques de droite doivent donc prendre leurs responsabilités. Le vote actuel des jeunes le leur impose. Il est plus que temps pour eux de s'effacer derrière un programme ambitieux, volontariste et clairement innovant ; mais qu'ils se rassurent, ils ne sont pas seuls. S'ils l'acceptent, ils pourront se reposer sur les jeunes et le bâtir ensemble. C'est tout ce que demande cette jeunesse, encore faut-il l'écouter.

*cabinet de conseil expert en analyse économique et économétrie