Pourquoi Oxfam se trompe de combat ?

Par Pierre Tarissi  |   |  961  mots
(Crédits : Reuters)
OPINION. Pour la nième fois, Oxfam s'alarme des « inégalités dans le monde », décriant ces « quelques personnes » qui « possèdent plus que la moitié de l'humanité », ce qui serait selon elle un scandale absolu parce que si ces gens - réputés « cupides » - décidaient de « partager » ou si on les y forçait, tout le monde pourrait vivre prospère et heureux... Par Pierre Tarissi, ingénieur (Arts et Métiers, ESSEC), Business Angel et militant de la Recherche scientifique dans le cadre associatif.

Le discours d'Oxfam sur les inégalités, apparemment « de bon sens », repose sur des chiffres indéniablement exacts, qui lui donnent un air « vrai ». Ces propos reposent également largement sur les droits de l'Homme issus des Evangiles sur le thème : « les riches doivent partager pour donner aux pauvres ».

L'ennui est qu'ils sont totalement absurdes par méconnaissance de - ou refus d'examiner objectivement - ce qu'est exactement « l'argent des riches ». Un « riche » d'aujourd'hui est essentiellement le créateur ou l'actionnaire important d'une grosse entreprise. C'est le cas de toutes les « grandes fortunes » visées par l'étude d'Oxfam : les milliardaires Jeff Bezos, Bernard Arnault, Warren Buffet ou autre Bill Gates.

Capacité de produire des biens et des services qui sont achetés

Pour devenir (et rester) « riche », il faut d'abord être capable de produire
des biens et services que beaucoup de gens veuillent et puissent acheter

Tous ces entrepreneurs se sont « enrichis » pour une seule et unique raison. A un moment dans leur vie, ils se sont mis à produire des biens ou des services. Ils les produisaient avec des caractéristiques telles, et à un prix suffisamment bas pour qu'énormément de gens se soient mis à les leur acheter. Disons par exemple une ampoule électrique qui consomme dix fois moins d'électricité que les autres et dure dix fois plus longtemps, mais vendue deux fois plus cher. Pour produire, les futurs riches ont alors embauché de plus en plus de collaborateurs dans leur entreprise.

L'« argent des riches » n'existe que parce qu'il est en permanence « partagé » trois fois : avec leurs clients, avec leurs salariés et avec leurs associés - les actionnaires. Si l'un de ces trois groupes renonce, il n'y a plus d'entreprise et plus de « riche » !

Que s'est-il alors passé ? Eh bien de nombreux autres gens (des « épargnants ») se sont mis à avoir envie de participer aux affaires de ces entrepreneurs. Ils ont donc acheté des parts de leurs entreprises - disons 10 euros la part. Ces fonds récoltés ont permis de produire plus de biens et services à des coûts de plus en plus bas - le prix de l'ampoule n'est plus que 1,5 fois le prix d'une ampoule ordinaire - et donc d'en faire profiter encore plus de gens. Ces gens se sont tous « enrichis » par l'usage qu'ils ont des biens et services qu'ils achètent parce qu'ils leur apportent un service meilleur et moins cher que ce qu'ils avaient auparavant.

Quand on a beaucoup vendu de biens et service, et alors seulement, les épargnants ont envie d'acheter des parts de l'entreprise ...

C'est ce développement de la production de biens et services qui a continué à attirer des épargnants - qui sont maintenant prêts à acheter les parts (les « actions ») à 15 euros pièce. On peut noter avec intérêt que tout cela s'arrête du jour au lendemain si les clients décident tous ensemble de ne plus acheter les biens et services (les ampoules) produits par l'entreprise. Le prix des parts passe immédiatement à zéro, et tous les employés de l'entreprise sont au chômage. Même punition pour des motifs différents si tous les employés décident brusquement de démissionner ou si les actionnaires décident tous ensemble de vendre leurs actions.

Loin de pointer l'appauvrissement des « pauvres », l'existence de nombreux « riches » démontre au contraire qu'ils peuvent disposer de davantage de biens et services accessibles que les « riches » leur ont vendus avant de devenir « riches » !

Deux paradoxes méconnus

La nature de l'« argent des riches » conduit par ailleurs à deux paradoxes méconnus. D'une part, il n'« existe pas ». En effet, il n'est que la contrevaleur, à l'instant « t », des actions de l'entreprise. Donc il n'est pas « liquide ». La valeur des parts s'effondre instantanément si le « riche » s'efforce de les vendre en masse. En fait, cet argent est « figé à vie » dans le financement de l'entreprise et on ne peut le récupérer que si l'on trouve quelqu'un d'autre qui est d'accord pour investir dans ladite entreprise en rachetant les parts. D'autre part, et pour la même raison, si on essaie de le « partager », on court à l'échec. Les actions ne se « mangent » pas. Elles ne peuvent donc à la rigueur être réparties qu'entre des épargnants - qui ne sont pas censés avoir besoin de cette « redistribution ». Un « pauvre » qui récupère quelques actions cherchera aussitôt à les vendre pour augmenter sa consommation, et leur prix s'effondrera par le fait même de ces ventes.

La France ne manque pas de milliardaires, mais de « nouveaux milliardaires » opérant dans des technologies du XXIe siècle

Six millions de Français n'ont aucun patrimoine

Pour finir de souligner l'absurdité des propos d'Oxfam, précisons qu'il existe en France six millions de citoyens environ qui n'ont aucun patrimoine. Donc, chaque Français moyen est censé posséder « plus » que ces six millions réunis... Et parmi les six millions en question, il y a le jeune diplômé d'HEC qui cherche son premier job...

En France, nous avons un nombre suffisant de très grosses entreprises et de milliardaires. Avec un bémol : ce sont essentiellement des entreprises anciennes, et nous n'avons aucun équivalent des GAFAM ou BATX. En revanche, nous manquons cruellement d'« entreprises de taille intermédiaire »,  comme on dit et surtout d'industrielles : guère plus de 5.000, dont les propriétaires sont des Français « riches », avec un capital compris entre 10 millions d'euros et 1 milliard d'euros. Il n'y a qu'environ 35.000 français dans ces niveaux de patrimoine, et parmi eux ceux qui sont propriétaires - ou gros actionnaires - des 5.000 ETI françaises. Pour la prospérité de tous en France, il nous faudrait trois fois plus des unes et des autres.