Pourquoi tant de transformations digitales échouent ?

Toutes les entreprises se posent la question de leur transformation digitale, peu à peu l'ensemble des secteurs semblent basculer vers cette approche et en font une question d'avenir, parfois même de survie. Selon une étude de Forrester Consulting, plus de 60% des projets de transformation de l’expérience numérique des entreprises échouent. Par Charles Cuvelliez, Université libre de Bruxelles, École Polytechnique de Bruxelles.
Charles Cuvelliez.
Charles Cuvelliez. (Crédits : DR)

De nombreuses organisations réalisent depuis peu qu'elles ont une mine d'or entre les mains au fur et à mesure qu'elles mettent en place le RGPD. La première étape est l'inventaire et la consolidation des données privées (clients) dans l'entreprise. On les déplace sur des serveurs modernes pour les avoir sous contrôle, pour mieux les protéger, les chiffrer, après avoir procédé à du nettoyage. Ce peut être le point de départ de belles transformations digitales pour des sociétés qui n'y pensaient pas encore... mais une transformation digitale n'est pas un projet comme un autre !

La prise en compte de la psychologie, facteur de réussite

Une transformation digitale est un succès si tout est plus simple (d'usage) avant qu'après, que ce soit pour les clients, les employés ou les fournisseurs de l'organisation. C'est bien plus qu'une lapalissade : c'est un critère sans merci... Si ce n'est pas plus simple, ce ne sera pas utilisé, point barre et c'est bel et bien un échec. Si une transformation digitale n'a pas fonctionné, il faut comprendre pourquoi, et ce n'est pas simple tant les technologies foisonnent pour la soutenir. Elles ont toutes le même défaut : elles ne prennent pas en compte la psychologie, d'après une étude d'Arthur D. Little bien dans l'air du temps de l'économie comportementale. La transformation digitale est une transformation avant tout.

Souvent, elle ne prête pas attention au facteur humain ou, plutôt, considère que l'être humain concerné par ce changement va se comporter rationnellement et y adhérer naturellement. C'est pourquoi, trop fréquemment, les raisons pour lesquelles la transformation est engagée ne sont pas suffisamment communiquées et diffusées. Résultat : les employés n'ont pas conscience du danger du statu quo. Il n'y a pas plus transversal qu'un projet de transformation digitale, mais la perception et les nuances sur la vision poursuivie, la stratégie mise en œuvre et la feuille de route vont différer de département à département, ce qui peut être fatal.

La résistance au changement à tous les niveaux de l'entreprise

Il y a ensuite la résistance au changement car, avec la transformation digitale, on change des manières de faire qui ont toujours bien fonctionné avant. Il s'agit rarement de corriger un dysfonctionnement. Les hauts niveaux hiérarchiques seront encore moins enclins à changer leur façon de faire. Après tout, s'ils sont arrivés à monter, c'est grâce aux anciennes méthodes de travail.

Les employés ne sont pas assez coachés pendant la transition de l'ancien vers le nouveau monde après la transformation digitale. Or, arrêter de faire comme on a toujours fait, c'est déjà dur, et recommencer d'une toute autre manière est encore plus dur. On évite cet écueil en prenant à bord des utilisateurs test à qui on montrera (et demandera de tester) en cours de route ce qu'on développe. Ils servent ensuite d'ambassadeurs (quand ils ont été convaincus). On croit que se fixer comme objectif de déployer, à la fin du projet, la technologie dernier cri va aboutir à son utilisation par les clients ou les employés. La technologie la plus moderne doit aussi s'adapter à l'utilisateur alors qu'on ne l'aura pas consulté, ni pendant le développement ni lors de la configuration.

Une transformation digitale n'est pas un projet classique

On mène trop souvent une transformation digitale à la manière d'un projet classique. C'est ce que démontre Arthur D. Little : on se raccroche au planning initial et aux milestones qu'on doit franchir les uns après les autres méthodiquement à la date planifiée, sauf que tous les problèmes ne sont pas connus à l'avance quand d'autres apparaissent en cours de route. Les militaires le savent bien : "Aucun plan ne survit au premier contact avec l'ennemi."

Une transformation digitale n'est pas un projet comme  les autres. Ces derniers vont mettre l'accent sur ce qui doit être délivré, à quelle date, en respectant le budget, ce qui n'est pas mauvais en soi. Ce qui l'est, c'est quand ces exigences ne sont revalidées.

Aux métriques financières et temporelles qui vont bien à un projet classique, dans le cas d'une transformation digitale, il faut imaginer une métrique d'expérience client/utilisateur. Est-ce que les différentes versions mises en test sont bel et bien utilisées, par quelle proportion des utilisateurs-test ou des employés. Cette métrique est rare. Et, en plus, un employé va se sentir obligé d'utiliser une nouvelle interface, même mal foutue, pression hiérarchique oblige.

Les méthodes agiles, au risque de la superficialité

L'agilité risque de ne pas être d'une grande aide dans une transformation digitale : si on applique ses méthodes comme une liturgie empreinte d'un cérémonial, elles ont l'effet contraire : les équipes les utiliseront superficiellement sans bien comprendre, un peu comme suivre la messe en latin.

L'agilité, c'est autre chose en gestion de projet : c'est diviser ce dernier en entités gérables en parallèle par des équipes autonomes. Si l'une d'entre elles prend du retard, ce n'est pas tout le projet qui s'arrête. Chaque équipe doit au final fournir quelque chose de fonctionnel quand elle a fini... et puis on recommence. Avec les méthodes agiles, on est dans le "Ne (commence pas à) m'explique(r) pas, montre-moi (plutôt)". De cette manière, on s'oblige à se tester, à tester son produit auprès de sa communauté. On évite de se laisser transporter dans le tourbillon de la technologie pour la technologie.

Le danger de manquer l'humain

Autre souci des transformations digitales, pour Arthur D. Little : les spécifications de départ sont souvent trop précises et immuables. Or, elles ne font que décrire aujourd'hui une estimation des besoins d'après-demain. Comment imaginer que, demain, ils n'auront pas évolué. Le pire qui puisse arriver à un projet de transformation digitale, c'est lorsque la solution proposée ne fait que traiter les symptômes des raisons qui amènent l'organisation à la mener.

Les équipes de projet pensent qu'elles ont raison et savent mieux que les utilisateurs (à leur place) ce qui leur plaira. Comme la culture de l'échec est devenue inacceptable, elle empêchera d'apprendre des leçons.

Les projets de transformation digitale deviennent aussi souvent "too big to fail" surtout s'ils sont liés à la carrière ou ambitions d'un membre du comité exécutif. Tant qu'un projet de transformation digitale ne veut voir que son côté technologique, il voile le côté humain, tout aussi essentiel.

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(*) Charles Cuvelliez, Université libre de Bruxelles (professeur visiteur), École Polytechnique de Bruxelles.

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 Pour en savoir plus :

Driving adoption in digital transformation, Greg Smith, Mandeep Dhillon, Raf Postepski, Chandler Hatton, Liam Collis, Arthur D. Little, Mai 2018

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Commentaires 2
à écrit le 12/06/2018 à 10:20
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Normal que certains sont des échecs : les paramètres du début sont «  ignorés » sur des «  problématiques non résolus » se rajoutent dessus de » nouveaux paramètres » ce n’est pas «  l’humain » qui fait coincer le changement, c’est le mode opérati...

à écrit le 12/06/2018 à 8:59
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Cette dérive me semble logique, les médias sous pression de leurs patrons et des politiciens nous inondent de propagande pro-numérique, il faudrait tout digitaliser tout de suite à l'image de l'administration actuelle qui du coup génère le plus gros ...

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