Privatisation d'Aéroports de Paris  : une occasion manquée  ?

Alors que la privatisation d'ADP est évoquée par un bon nombre d'observateurs, Nicolas Zveguintzoff, directeur de NZ Consulting et conseiller en matière d'aviation civile, aéronautique, gestion, aéroportuaire et navigation aérienne, estime notamment que les aéroports de Roissy-Chales de Gaulle et d'Orly pourraient vivre de manière indépendante.

La France impécunieuse doit vendre quelques pépites industrielles pour se désendetter et tenir l'objectif d'un déficit inférieur à 3%, objectif ambitieux vu les ardoises laissées par les équipes précédentes, comme par exemple l'obligation de recapitaliser toute la filière nucléaire après les déboires d'Areva et EDF. La vente de sa participation dans Aéroports de Paris (ADP) apporterait ainsi plusieurs milliards à l'état, et serait une opération d'autant plus simple à justifier que depuis des années les aéroports ne sont plus considérés par Bruxelles comme des infrastructures de service public et font au contraire partie du secteur marchand : Quand l'état français a mis en vente partielle ADP en 2006, il a prudemment décidé de se limiter à ne pas céder la majorité des titres.

Une loi est nécessaire pour privatiser ADP

En préalable à la vente des 51% restants il faudra une loi permettant de franchir le seuil des 50%, ce qui ne devrait pas poser de problème particulier : bien sûr il y aura de la gesticulation politique, mais on a vu dans le cas des privatisations récentes (Toulouse, puis Nice et Lyon) qu'hormis quelques associations de riverains, peu monteront en première ligne pour s'opposer.

"Monopole naturel"

Comme il a été abondamment démontré par ADP (et le cas de ADP n'est en rien une exception française) la privatisation partielle de ce monopole naturel a eu pour corollaire une forte augmentation des redevances, ce qui est bien compréhensible puisqu'un actionnaire privé attend de son investissement un rendement bien supérieur au taux d'actualisation que l'investisseur public applique aux investissements dans les grands projets d'infrastructure ; ceci se traduit mécaniquement par une augmentation des redevances.

Certes on attend de l'entreprise privée une efficacité supérieure à celle de l'entreprise publique et donc des gains de productivité qui se traduiraient par des réductions des redevances ou pour le moins une certaine modération de leur croissance. Hélas, pour s'assurer une recette maximale lors de la vente d'ADP, l'état a pris soin de veiller à ce que les recettes commerciales ne soient plus partagées équitablement entre l'aéroport et les compagnies aériennes (ce que la profession comprend sous le concept de « caisse unique »), et a mis en place une régulation économique aussi peu contraignante que possible, garantissant que l'essentiel des gains irait à l'aéroport, donc son personnel et ses actionnaires,

C'est ce qui explique l'impressionnante augmentation de la valeur boursière d'ADP depuis la mise sur le marché en 2006, et en effet le moment de vendre est bien choisi.
Maintenant il faudrait peut-être ne pas renouveler le schéma classique de la privatisation « coup de poing » et prendre un peu de recul avant d'agir à nouveau.

Air France mal en point

Air France (AF) est mal en point depuis des années. La compagnie nationale doit cette situation à une pratique managériale plus adaptée au secteur public qu'au secteur concurrentiel, à des syndicats professionnels très intrusifs (ce n'est pas un monopole français : on connait la même situation en Allemagne chez Lufthansa), des taxes exorbitantes qui minent année après année sa rentabilité -un rapport commandé par le ministre de tutelle tous les deux ans en moyenne rappelle de manière lancinante les mêmes conclusions-, à la pression des compagnies asiatiques et celle des low cost européennes.

Mais Air France souffre aussi du monopole d'ADP, qui possède les deux aéroports parisiens de Roissy-Charles de Gaulle et d'Orly (de fait les deux aéroports qui comptent vraiment en France). On peut comparer à la situation en Allemagne, où l'offre aéroportuaire est repartie de manière homogène sans qu'un aéroport soit en situation de monopole. Lufthansa dispose ainsi de deux plaques tournantes : Francfort et Munich.

On peut comparer mieux encore la situation à celle de la Grande Bretagne où le propriétaire British Airport Authority (BAA) disposait du monopole des aéroports londoniens, possédant Heathrow, Gatwick et Stansted (et quatre autres plus au Nord). En 2009 l'autorité de la concurrence (Competition Commission, l'équivalent de la DGCCRF en France) l'a forcé à vendre Gatwick et Stansted pour créer une saine concurrence là où dominait le monopole.

Régulation

De fait, un cadre efficace de régulation économique basé sur des plafonds de redevances et des objectifs de qualité de service contraignants ( mis en place par le Airports Act de 1986 en prévision de la privatisation de BAA en 1987), était amélioré régulièrement depuis sa première mise en œuvre, traduisant une intime connaissance par l'autorité de régulation (Civil Aviation Authority, « CAA », dotée de moyens humains importants et bien au fait de sa mission) des mécanismes économiques régissant les monopoles naturels. C'est le tandem CAA / autorité de la concurrence qui a pu, année
après année, œuvrer pour rendre possible la scission, la limitation des redevances et la qualité de service des aéroports londoniens.

Les résultats acquis à ce jour par une politique constante et résolue sont tels que la CAA a pu décider en 2014 qu'elle n'avait plus besoin de règlementer les redevances de Stansted, les compagnies aériennes y disposant d'un pouvoir de négociation suffisant, et pouvait accepter que s'applique à Gatwick un cadre de régulation réduit. A ce jour, seul Heathrow, plaque tournante internationale ou la capacité piste est insuffisante (deux pistes seulement pour un trafic comparable à celui de Roissy) exige encore une régulation des tarifs : mais quels progrès accomplis pour rendre des degrés de liberté aux compagnies aériennes ! Et quelle différence avec l'approche française, où depuis la privatisation partielle d'ADP le cadre de régulation économique est embryonnaire et semble un copier-coller mal assimilé du modèle britannique ! Il est vrai que la philosophie générale de la régulation économique britannique consiste à susciter la concurrence, tandis que la pratique française de la concession de services publics ne remet pas en cause les équilibres acquis. L'occasion se présente pourtant : les deux plateformes de Roissy et Orly sont loin l'une de l'autre et pourraient vivre indépendamment, développant chacune sa stratégie commerciale propre vis-à- vis des compagnies aériennes.

Revenir sur la limitation d'Orly

Certes Orly est contraint par des textes de circonstances de ne pas dépasser 250.000 mouvements annuels, mais il est toujours temps de revenir sur des décisions datées, et il n'est même pas certain que ceci serait un frein à l'appétit des investisseurs. La concurrence donnerait à Air France de quoi respirer car elle serait en bien meilleure position de négociation et le cadre de régulation économique pourrait être adapté au cas de chaque aéroport.

L'expérience de la concurrence encadrée par une régulation efficace est que la qualité de service s'améliore, que les ressources sont mieux utilisées et que toute la chaine de valeur en profite. Cela signifie qu'elle sera bon pour l'économie régionale et pour l'économie française. On espère donc que la privatisation sera abordée dans une perspective plus large, que Bercy ne se contentera pas de recopier le cahier des charges des privatisations précédentes et au contraire se posera enfin (!) la question de savoir comment obtenir plus d'une privatisation qu'un coup de pouce
budgétaire sans lendemain et inscrira sa réflexion dans le cadre d'une politique industrielle digne de ce nom.

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Commentaire 1
à écrit le 13/09/2017 à 12:15
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A noter qu'aux USA, pourtant supposés être les chantres de la privatisation, les aéroports sont publics et sont considérés comme ne faisant pas partie du secteur marchand.

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