Pujadas, Marine Le Pen... et le marketing du buzz

Par Jean-Christophe Gallien  |   |  799  mots
Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris-I La Sorbonne

Marine Le Pen a zappé, elle s'est effacée "Des Paroles et des Actes", mais, depuis cet énorme caillou jeté dans la mare politico-médiatique, ses troupes surfent sans retenue la vague créée. Ils squattent les plateaux des radios et télévisions d'information continue : iTélé, BFMTV, France Info...

La surprise médiatique devient affaire politique et s'invite à la une de tous les médias depuis jeudi soir. Nous ne sommes plus très loin du coup politique.

Un FN reconnaissant devrait d'abord dire un grand merci à la mise en scène, par le PS et Les Républicains, de l'échange téléphonique entre Nicolas Sarkozy et Jean-Christophe Cambadélis pour préparer des actions concertées de pression sur France Télévision et le CSA...

Sur un plateau...

Quelle incroyable erreur tactique ! Marine Le Pen ne pouvait espérer meilleur soutien politique à quelques semaines seulement des régionales. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, il s'agit là de la seconde bourde tactique de ce mois - qui n'est pas fini -, après le cas Morano devenu matière à JT de 20 heures de TF1, largement du fait de son action.

Il faut le rappeler : le FN et surtout Marine Le Pen font vendre ! Du coup, la désinhibition face au FN est presque totale et touche en ligne médias, journalistes, citoyens mais aussi candidats et élus locaux voire nationaux.

Le PS et Les Républicains ne l'ont pas encore très bien compris. Ils devraient actualiser leurs approches de ces différents publics. En particulier de celui des médias.

Marine Le Pen est un très bon produit audiovisuel et surtout doté d'une très forte valeur d'audience personnelle qui propose une solution « bankable » ou immédiatement monétisable pour les médias en quête d'audience à rentabiliser. Et de tels produits sont rares, même sur le terrain politique.

« Des Paroles et des Actes » comme d'autres produits de l'infotainment contemporain recherchent l'audience la plus large et donc la création du plus gros bruit médiatique possible, quasiment à tout prix.

Associés dans le business de l'audience

Marine Le Pen est une « associée » de choix dans le business de l'audience, ce processus marketing qui fonctionne sur l'agrégation, l'association des audiences, qu'elles soient politiques, médiatiques ou autres.

Dans l'espace médiatique, il s'agit le plus souvent d'un deal à trois, et non pas seulement d'un duo "programme + personnalité (ou marque)". On doit y ajouter un troisième acteur : le journaliste ou l'animateur dit vedette dudit programme qui, comme David Pujadas, possède lui aussi une valeur d'audience et doit, comme à la Bourse, la maintenir ou la faire grossir. Il va l'engager lui aussi dans ce deal à la recherche du plus gros buzz.

Tout cela fonctionne en général très correctement. Les 3 audiences s'ajoutent et créent un beau produit médiatique profitable aux 3 acteurs engagés dans le deal. Ne leur reste plus qu'à la marchandiser, réaliser une transaction, chacun dans leur différents marchés respectifs : publicitaires, politiques et médiatiques. Comme dans le cas de Nadine Morano dans le "On n'est pas couché" de Laurent Ruquier où les 3 parties ont reçu ce qu'elles attendaient.

Pas totalement dans un cas impliquant déjà David Pujadas, lequel réalisa, cet été, une interview exclusive de Bachar el Assad et boosta sa valeur d'audience notamment en l'internationalisant, tandis que France2, "événementialisant" son journal, gagnait sa bataille du 20 heures. Seul Assad, qui avait livré son audience globale dans le deal, n'en retira rien, ou presque, pour son propre compte.

Marine Le Pen n'a pas voulu partager son audience

Dans cette « dictature » de la Bourse de l'audience et du buzz, où même les articles de presse, comme les hommes ou femmes politiques, sont désormais notés non pas en fonction de la qualité de leur contenu mais selon le nombre de clics des internautes, le marketing de l'audience et du buzz doit être managé et les deals respectés. Sinon la démarche peut se retourner contre l'envoyeur: bienvenue au bad buzz !

David Pujadas aurait sûrement préféré que Marine Le Pen quitte le plateau en direct - vague médiatique assurée, surtout profitable à son émission et à lui-même.

Mais Marine Le Pen n'a pas voulu partager son audience. Et, dans sa propre recherche de l'événement politico-médiatique, elle a préféré la jouer solo. Et David Pujadas et France Télévision tombèrent dans le piège du buzz et de l'audience à tout prix !
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Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris 1 La Sorbonne, directeur associé de ZENON7 Public Affairs, et président de j c g a, membre de la Society of European Affairs Professionals (SEAP)