Quand l'Urssaf perd tout discernement

Par François Taquet  |   |  678  mots
Les redressements pour travail dissimulé se multiplient, parfois pour des motifs ubuesques: un gérante d'un café réalisant 700 euros de bénéfice annuel redressée par son mari retraité l'aidait de temps à temps à servir les verres. Il faut revoir les rapports entre les cotisants et les Urssaf. Par François Taquet, Professeur de Droit social, avocat,

Il est parfois des informations qui ne peuvent que désespérer les individus même les plus optimistes ! Il y a de cela quelque mois, une mamie de 65 ans gérante d'un petit café près d'Arras (au bénéfice de 700 euros par an) a été jugée par le tribunal correctionnel pour travail dissimulé après un contrôle de l'URSSAF. Son crime : son conjoint âgé de 70 ans l'aidait de temps en temps à servir des verres ! Il n'en fallait pas plus aux inspecteurs zélés pour caractériser le travail illégal. La « mamie bistro » comme on l'appelle déjà, s'est retrouvée en pleurs à la barre du tribunal, entre les dossiers d'agressions sexuelles et de bagarre à coups de tenaille. Certes, le tribunal a relaxé la gérante. Mais l'histoire nous apprend que le lendemain, le procureur faisait appel de la décision !

80% des entreprises sont dans le travail dissimulé sans même le savoir

Le problème est que ce cas est loin d'être isolé. On se souvient ainsi que pour l'URSSAF de Rennes, rapporter son verre au bar d'un bistro équivaut à du travail dissimulé ; de même en est il pour une retraitée qui donne bénévolement un coup de main à son fils pâtissier ! La litanie des délires des URSSAF pourrait être longue à citer ! Mais, en allant plus loin, qui faut mettre en cause dans cet engrenage de l'aberration ? Sans nul doute, et au commencement, il convient de nommer les gouvernements successifs qui depuis 20 ans n'ont de cesse que de renforcer la lutte contre le travail dissimulé, en le banalisant, à tel point qu'aujourd'hui, plus de 80% des entreprises sont dans le travail dissimulé sans même le savoir !

Des redressements multipliés par 10 en 10 ans

On comprend dans ces conditions que les redressements opérés dans le cadre du travail dissimulé aient été multipliés par 10 en 10 ans ! Qui dit mieux ? Ensuite, il convient de citer les inspecteurs en manque de discernement, ainsi les URSSAF qui se piquent, non sans ironie, d'être des partenaires économiques de l'entreprise ! On rappellera également que les URSSAF sont des organismes privés qui gèrent un service public, administrées et contrôlées par des conseils d'administrations composés de représentants des assurés sociaux (dont des représentants du MEDEF et de la CGPME). Alors, pourquoi ces représentants n'ont il pu arrêter de telles folies ? A quoi servent finalement ces institutions si elles ne constituent que des chambres d'enregistrement de la volonté administrative ? Et dans la chaîne du ridicule, il convient d'ajouter en l'espèce, le procureur de la République, qui en faisant appel en ajoute encore à l'absurdité de la situation.

Relaxée au pénal, mais devant payer un redressement devant les juridictions civiles

Mais, l'ubuesque sera à son comble lorsque l'on aura ajouté que même si la « mamie bistro » est relaxée en appel, cela n'empêchera pas l'URSSAF d'exiger le montant du redressement devant les juridictions civiles !
Finalement, cela fait beaucoup de participants à ce mécanisme grotesque. Et le plus aberrant sans doute est qu'aucune institution n'a été dès le départ en mesure d'arrêter ces prétentions stupides de l'URSSAF. Ce qui démontre, une fois de plus, que les règles de dialogue et de concertation avec les cotisants ne fonctionnent pas et doivent être revues. C'était d'ailleurs le sens du rapport effectué récemment par deux députés (Marc Goua et Bernard Gérard) et intitulé « Pour un nouveau mode de relations Urssaf - entreprises ». Finalement, et au-delà des discours creux de nos politiques, c'est à ces petits changements que les chefs d'entreprise verraient qu'il y a quelque chose de modifié dans ce pays ! Alors, à quand le début du changement ?

François Taquet, Professeur de Droit social, avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale, Directeur scientifique du réseau d'avocats GESICA (premier réseau international d'avocats comptant aujourd'hui 2200 avocats répartis au sein de 250 cabinets en France et à l'étranger)