Quand une chemise arrachée fait renouer la France avec le French Bashing

Par Florian Silnicki  |   |  1367  mots
Les dirigeants d'Air France ont oublié les notions élémentaires de la gestion de crise. Les images qui ont tourné ont alimenté à nouveau le french bashing. Par Florian Silnicki, fondateur de l'agence LaFrenchCom'

Depuis plusieurs années, les entreprises soignent la gestion de leur image et de leur réputation lors des moments sensibles de leur vie sociale, notamment lors des PSE, afin d'éviter ou de surmonter les crises potentielles de communication.

Ces dix dernières années, la radicalisation des conflits sociaux avait gravement abimé l'image que les entrepreneurs et les investisseurs étrangers se faisaient de la France et de son environnement économique. La France semblait surmonter cette mauvaise image et les investissements étrangers en France avaient ainsi augmenté de 8% en 2014.

 Le retour du french bashing

Les dernières images du conflit social chez Air-France vont incontestablement renforcer les préjugés. Non seulement Air France a perdu le soutien de l'opinion publique mais les analyses des conversations sur les réseaux sociaux démontrent sans conteste que la France renoue avec le French Bashing. La chemise arrachée agit avec la force du symbole. Cela est aussi confirmé par les unes des sites internet des médias allemands ou espagnols.

Des salariés d'Air France en colère ont en effet malmené, pour ne pas dire, agressé, lundi leur directeur des ressources humaines après avoir envahi le comité central d'entreprise qui discutait de mesures susceptible de redresser la compagnie.

 Des scènes surréalistes

Le DRH, dont le nom est Xavier Broseta, présentait un « plan B » décidé par la filiale d'Air France-KLM à la suite de l'échec des négociations avec les syndicats. Le voir s'enfuir de la salle de réunion au siège d'Air France à Roissy, torse nu après s'être fait arracher sa chemise, est particulièrement désastreux. Quant au directeur d'Air France à Orly se prénommant Pierre Plissonnier, il a lui aussi évacué après que sa chemise lui a été déchirée par des manifestants.

Ces scènes surréalistes qui n'ont pas leur place dans une société du XXIe siècle, interrogent sur la capacité de l'entreprise à gérer la communication sensible autour d'un conflit social. Les comportements du DRH et du Directeur sont révélateurs d'une impréparation absolue à la gestion des crises sociales. Comment comprendre une telle impréparation coupable ? Impérieux dialogue social devrait on dire ici. Comment comprendre une telle non anticipation de la radicalisation du conflit qui aggrave aujourd'hui encore un peu plus le déficit d'image de la compagnie ?

 Air France, une image qui se délite

Confrontée à une crise sociale sans précédent, l'image d'Air France se délite. Jamais la compagnie n'a semblé aussi faible.

Confucius nous apprend qu'une image vaut mille mots. C'est vrai.
Encore plus quand ces images ont une telle force symbolique qu'elles font le tour du monde. Nous autres, Français, passons aux yeux des entrepreneurs et investisseurs étrangers pour de véritables extraterrestres. C'est particulièrement regrettable de leur donner raison. Autant dire que ces images raisonnent chez eux comme des alertes sur les risques à investir dans une société française.

Ces entrepreneurs étrangers évoquent d'ailleurs souvent un parallèle avec les images des séquestrations de patrons relayées par la presse étrangère. Ajoutez à cela la taxe des 75% qui apparaît à leurs yeux comme une spoliation étatique ... dire que cela freine leur enthousiasme à investir dans notre pays est une litote.

 Sortir de la crise extrême

La société que je dirige depuis plusieurs années, LaFrenchCom, exerce des missions de conseil aux dirigeants d'entreprise en matière de communication et de gestion de crise. Intervenant dans tous les domaines de la crise, LaFrenchCom accompagne également de nombreuses entreprises à prévenir et à affronter des crises sociales notamment dans la conduite de leurs plans de sauvegarde de l'emploi.

Tous savent gérer ce type de contentieux notamment sur leurs aspects de communication, interne et externe. Ils se sont tous d'abord formés afin de sortir de la situation de crise extrême et de rupture que constitue un tel évènement. Ils savent ensuite maintenir la capacité du chef d'entreprise à assumer leur rôle de « patron » (préservation de leur image, maintien de leur capacité à faire connaître et justifier leurs décisions, restauration d'un véritable dialogue social). Ici, faire intervenir un porte-parole au lieu de faire intervenir le PDG est une véritable erreur commise par la compagnie dans la gestion de sa communication de crise. Cela ne donne pas l'image d'une organisation mobilisée pour mettre fin au conflit social. Au contraire.

 La communication de crise développe des approches préventives

Le comportement de ces dirigeants d'Air France, immortalisés grâce aux photos de la célèbre agence Reuters, révèle à quel point ils n'ont pas trouvé les ressorts pour sortir très vite de cette situation sociale et faire cesser rapidement le trouble à l'ordre public causé.
Pourtant, toutes les agences de communication de crise ont développé des approches préventives reposant notamment sur des outils psychologiques et de communication (et disons le pour les mauvais esprits, excluant tout usage de technique de combat ou de fuite !) afin de maintenir le lien de communication entre les dirigeants et les salariés.

 Des cadres mal informés

Les photos de ces dirigeants révèlent également que ces cadres n'ont pas ou mal été sensibilisés ou informés sur la réalité d'une telle situation par un négociateur habitué à gérer ce genre de situation sociale sensible. Ils n'avaient pas ici les « clés » psychologiques leur permettant, d'une part, de gérer la situation afin qu'elle ne dégénère pas davantage et, d'autre part, les outils de négociation pour les aider à convaincre leurs « agresseurs » qu'il n'était pas trop tard pour renoncer à leur action violente. Tout consultant en communication de crise sait que le processus de négociation n'était ici pas définitivement perdu et pouvait reprendre normalement. Encore faut-il avoir été formé et l'avoir anticipé.

 Un échec flagrant

Echec du dialogue social, échec de sa stratégie de communication sous contrainte et échec de la mise en œuvre des techniques de négociation en situation de contrainte, autant de fautes commises par Air France.
Nombreuses sont pourtant les techniques et les stratégies de communication à mettre en œuvre par les dirigeants afin de conserver la maîtrise de leur image et celles de leurs entreprises, même pour des dirigeants qui n'auraient pas été habitués à communiquer.

Le constat est sans appel. L'échec est flagrant. Air France n'a pas su réagir. Air France n'a pas su rester maitre de sa communication.
Contrairement à une idée reçue, le délit d'entrave n'est d'ailleurs ici en rien un obstacle à la communication ou à la gestion de cette crise sociale.

 Un kit de communication nécessaire

Reste que le dialogue est central dans un plan social. Les communicants de la compagnie auraient dû expliquer aux dirigeants comment limiter les incursions susceptibles de perturber le dialogue par une communication adaptée. Aujourd'hui, Manuel Valls et ses autres collègues se sentent obligés d'exister, en donnant des bons et des mauvais points aux plans sociaux. C'était à prévoir. Alimentée en information, l'opinion elle aussi devient aussi demandeuse.

A la compagnie revient désormais la charge d'avoir le courage d'ouvrir un dialogue sans tabous avec ses salariés... et de se mettre rapidement à la rédaction d'un kit de communication à fournir à l'ensemble de son middle management.

La compagnie doit transformer cette crise en une opportunité de communication. Son management ne doit pas commettre l'erreur de faire comme si rien ne s'était passé. Il doit au contraire, humblement, rassurer l'interne, les investisseurs déjà inquiets et l'ensemble des parties prenantes et des publics de l'entreprise.

 Un nouveau Continental?

Se préparer pour être en capacité d'éviter ce genre de dérapage lors d'une crise sociale n'est aujourd'hui plus seulement essentielle, c'est un devoir. A Air-France de comprendre que "La répétition fait la réputation" comme le rappelait justement Marcel Bleustein Blanchet ... au risque pour la compagnie de devenir la nouvelle Continental ou Caterpillar dont les conflits sociaux avaient été particulièrement mal gérés et marqué durablement l'opinion publique.