Que faire des dettes des pays émergents ?

Par Laurence Daziano  |   |  566  mots
Laurence Daziano.
ANALYSE. La pandémie du Covid-19 pèse sur les pays émergents qui, déjà fortement endettés, subissent une fuite des capitaux, une baisse de leur monnaie et une hausse des taux. Par Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po, membre du conseil scientifique de la Fondation pour l'innovation politique.

La crise économique mondiale due au Covid-19, la récession la plus forte depuis 1945, aura des conséquences majeures sur la trajectoire de croissance des pays émergents. La baisse de la demande mondiale va faire plonger les exportations manufacturières asiatiques, entraînant une chute des matières premières pour les pays producteurs. Le tourisme sera un secteur durablement atteint. La faiblesse des systèmes sociaux et sanitaires entraînera de multiples difficultés pour les classes moyennes émergentes dans cette période. Par exemple, l'Inde, où les dépenses de santé sont les plus faibles au monde (1,28% du PIB), sera profondément touchée par la crise actuelle. Les mécanismes d'aide au développement, portés par les banques multilatérales, auront du mal à jouer un rôle de stabilisateur automatique puisque le secteur privé sera durablement affecté par cette crise.

Des besoins évalués à 2.500 milliards de dollars par le FMI

Le FMI a réalisé une première estimation des besoins des pays émergents et en développement, arrivant à la somme faramineuse de 2.500 milliards de dollars. Les pays occidentaux réussiront à lever de la dette sur les marchés pour financer leurs plans de relance. Mais les pays émergents devront faire face à une envolée des taux d'intérêt et un effet d'éviction au profit des Etats-Unis, de l'Europe, du Japon, voire de la Chine. D'ores et déjà, les pays émergents sont atteints par une fuite des capitaux, une baisse de leur monnaie et une hausse des taux, alors même que l'endettement de ces pays s'est considérablement accru depuis 2008. Les taux d'endettement des pays du Sud ont atteint, avant la crise, le niveau de ceux des années 1990 avant les annulations de dettes des années 2000.

Les pays émergents les plus endettés notamment l'Angola, l'Argentine, l'Ukraine, la Tunisie, la Zambie ou l'Équateur, devront faire face à un « mur » de la dette liée à la hausse des taux et à la baisse de leur devise. Certaines grandes économies émergentes pourraient également être touchées, à l'instar du Brésil, de l'Afrique du Sud ou de l'Inde qui présentent une forte exposition aux chocs extérieurs.

La crise du Covid-19 rappelle les craintes de défauts de paiement de pays émergents, avec de nombreux appels des institutions internationales, notamment le FMI et le Club de Paris, à restructurer les dettes dans un premier temps. Le Liban s'est retrouvé en défaut de paiement, le 9 mars dernier, et l'Argentine a reporté, le 7 avril, le paiement de 10 milliards de dollars à 2021.

Crainte de défaut souverain

Cette crainte de défaut souverain est d'autant plus forte que les États vont devoir faire face à de nombreuses dépenses, immédiates avec la crise sanitaire et le confinement, puis sociales avec le choc de la récession.

Face à cette situation, le G20 a décidé le 15 avril d'un moratoire sur les intérêts de la dette dus en 2020, mais pas d'une annulation de la dette. Le FMI et la Banque mondiale appellent les créanciers à geler les remboursements le temps de la pandémie. Ces premières initiatives sont nécessaires mais ne seront pas suffisantes. L'intérêt des pays occidentaux, et de la Chine devenue une créancière importante, est de maintenir une trajectoire de croissance élevée pour ces pays qui sont également des débouchés industriels et commerciaux.