Quelle réponse française au Brexit ?

Par Laurent Warlouzet  |   |  1135  mots
Le premier ministre britannique, David Cameron, avait promis pendant la campagne de 2015 un référendum sur le maintien de la Grande-Bretagne dans l'UE
Quelles seraient les vraies conséquences d'une sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne? Comment l'anticiper? Par Laurent Warlouzet, Maître de conférences en histoire à l'Université d'Artois

Alors que les négociations battent leur plein à Bruxelles pour dégager un compromis avec David Cameron, la perspective du Brexit, c'est-à-dire d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne suite au prochain référendum, est dorénavant considérée comme une hypothèse crédible. Depuis la fin de l'anne 2015, les sondages président dorénavant un scrutin très indécis, avec une opinion publique partagée en deux camps à peu près égaux. L'après Brexit doit donc être envisagé sérieusement, et avec lui les formes de la future Union Européenne, et la place de la France en son sein.

Le rêve français d'une petite Europe homogène et intégrée

En France, les plus optimistes frétillent à la perspective d'une Union Européenne enfin débarrassée de ceux qui ont toujours été les plus ardents opposants à des projets français anciens comme l'Europe sociale ou la formation d'une politique étrangère commune. Certains rêvent tout haut d'une sortie de nos encombrants cousins britanniques, ainsi de Michel Rocard dans un article du Monde titré : « Amis Anglais, sortez de l'Union européenne mais ne la faites pas mourir ! » (5 juin 2014).

Le rêve français est en fait celui d'une petite Europe homogène et intégrée, dominée par une France ambitieuse. Pourtant, l'histoire montre que cette perspective reste un rêve pieux. Entre 1951 et 1973, les communautés européennes, CECA puis CEE, n'ont compté que six pays mais elles couvraient des domaines assez limités, essentiellement le commerce des marchandises et l'agriculture à partir de 1962. Encore ces deux domaines ont-ils suscité de très nombreux conflits. Certes la RFA et l'Italie, encore sonnées par la défaite une vingtaine d'année plus tôt, ne manifestaient pas leurs réticences de manière trop visibles, ce qui pouvait donner l'impression aux Français qu'ils menaient la barque.

La France peine de plus en plus à "remodeler l'Europe"

En 1973, le Royaume-Uni est entré dans la Communauté européenne et s'est immédiatement singularisé, d'abord par un référendum sur une éventuelle sortie de l'Europe en 1975 (déjà !), et ensuite par une volonté acharnée de renégocier le budget, achevée en 1984, au sommet de Fontainebleau. Juste avant ce sommet, le Président Mitterrand avait envisagé de refonder une nouvelle Communauté européenne à six ou à huit, en associant l'Espagne et le Portugal, mais la RFA ne l'a jamais accepté. Il n'y avait pas d'alternative à la CEE. Au-delà de l'anglophilie traditionnelle des Néerlandais et des Scandinaves, se pose un problème structurel : la domination du couple franco-allemand fait peur, d'où l'intérêt d'un contre-poids britannique. Par la suite, la marge de manœuvre française pour remodeler l'Europe s'est encore amoindrie. Christian Lequesne a montré que la France n'avait jamais trouvé sa place dans la « Nouvelle Europe » née de l'élargissement à l'Est, qui diluait encore son influence.

La fin de l'Europe en cas de Brexit?

Au contraire, les plus pessimistes annoncent déjà une désagrégation de l'Union Européenne en cas de Brexit. A Davos, le 21 janvier 2016 Manuel Valls a évoqué la possibilité d'une « dislocation » de l'Europe si une puissance majeure comme le Royaume-Uni la quittait. Le risque serait en fait que d'autres défections suivent. L'Union en serait réduite à une simple zone de libre-échange, ou, pire à un ensemble de sous-régions concurrentes. Les tensions entre la frugale Europe du Nord et la dispendieuse Europe méditerranéenne se concrétiseraient par des organisations concurrentes, avec une renaissance du projet Nordek en Scandinavie, voire une Mitteleuropa centrée sur l'Allemagne.

Résilience

En fait, cette perspective cataclysmique sous-estime la résilience institutionnelle de l'Union Européenne. Avant l'UE, la CEE a déjà survécu à de nombreuses crises qui remettaient en cause son existence, de la crise de la Chaise vide en 1965 à la crise budgétaire britannique, la fameuse « BBQ » pour « Bloody Budgetary Question », sans parler des évènements plus récents, du « non » français de 2005 à la crise de l'euro,.
Le risque de désagrégation du camp occidental n'est pas plus présent. L'OTAN a toujours eu un périmètre différent de l'ensemble CEE/UE. La Turquie est un membre cardinal de l'Alliance Atlantique mais pas de l'Union Européenne, tandis que cette dernière accueille de nombreux pays neutres, depuis l'Irlande en 1973. Les divisions majeures au moment de la guerre en Irak en 2003 ont montré que les divergences stratégiques n'ont jamais empêché la poursuite de la coopération en matière de gouvernance économique et sociale, qui reste encore aujourd'hui le domaine de compétence majeure de l'Union Européenne.

La force centripète d'un Royaume Uni hors UE

En fait, le vrai risque consiste plutôt en un maintien d'une Europe à 27 assortie d'un statut spécial pour le Royaume-Uni, qui exercerait une force centripète considérable. Il est en effet impossible de prétendre imposer à la puissante Albion un statut similaire à la Suisse ou à la Norvège. Londres négociera un accord ad hoc plus avantageux, grâce aux nombreux relais dont elle dispose au sein de l'Union. Cela poussera certains de ses alliés parmi les plus eurosceptiques à réclamer pour eux aussi un statut particulier, et donc à multiplier les opts-outs, sur l'euro, la coopération policière, la politique migratoire ou d'autres éléments. L'Union s'en trouverait paralysée par des négociations continuelles sur son détricotage, et pas sur son approfondissement. Les exceptions deviendraient la règle.

Un contre projet concret et cohérent pour la zone euro


La France doit donc se préparer à un Brexit sans idéalisme ni catastrophisme. Elle doit anticiper la perspective de multiples opt-out et la contrer en déposant un contre-projet concret et cohérent pour les pays les plus ambitieux de la zone euro. Comme le disait Robert Schuman le 9 mai 1950, il faut faire « porter l'action sur un point limité mais décisif », en l'occurrence ceux qui font sens à l'échelle européenne. On peut penser à des progrès sur la taxe sur les transactions financières ou sur les travailleurs détachés qui pourraient intéresser des pays du cœur de l'Europe. Un renforcement ciblé des institutions de la zone euro pourrait également faire sens. Au contraire, un énième discours creux sur le renforcement de la « gouvernance économique européenne », souvent perçue à l'étranger comme une tentative de soumettre l'Allemagne aux priorités macro-économiques françaises, ne suffira pas. En matière européenne, audace rime avec technicité.

Laurent Warlouzet
Maître de conférences en histoire à l'Université d'Artois, a enseigné à Sciences-po Paris et à la London School of Economics et a publié « Le choix de la CEE par la France ».