Rapport Oxfam  : une étude biaisée au service de la démagogie

Par Noel Labelle  |   |  841  mots
(Crédits : Reuters)
OPINION. L'ONG Oxfam continue sa tradition d'arrangement avec la réalité dans sa nouvelle publication 2022 sur les inégalités dans le monde. Ces erreurs ne relèvent pas du débat économique et politique mais de la manipulation de masse. Par Noel Labelle, consultant, expert en information économique.

Comme chaque année, l'ONG Oxfam publie un rapport sur l'aggravation des inégalités dans le monde. L'édition 2022 est intitulée «Les inégalités tuent» et entend dénoncer l'enrichissement historique des milliardaires suite à la pandémie alors que, dans le même temps, la pauvreté se diffuse et s'aggrave partout dans le monde. Comme chaque année, la plupart des médias mainstream reprennent les grandes lignes de ce rapport, sans même l'avoir remis en question. Pourtant, l'ONG britannique est connue pour oser de manière volontaire des raisonnements fallacieux. Plusieurs de ses rapports ont été épinglés par des économistes, pointant des biais méthodologiques.

En 2015, Jacob Davidson, éditorialiste du magazine américain Money, avait bien souligné les nombreuses incohérences de l'édition annuelle sur les inégalités, insistant notamment sur le fait que les analystes d'Oxfam utilisaient une notion erronée du terme «richesse». Erreur reconnue par l'ONG, qui avait défendu son approche en ces termes : «bien que la mesure soit effectivement imparfaite, c'est la meilleure mesure capturant l'étendue de la disparité de la richesse mondiale à notre disposition aujourd'hui.» En clair, la vérité leur importe peu, l'essentiel est de faire accepter par tous les moyens une idée, estimée moralement juste par les auteurs. Remettre en cause leur démonstration ne serait donc pas « bien ». Ce raisonnement est gênant. Présenter des propos volontairement erronés comme une étude économique, que le lecteur pense être basée sur des éléments avérés, tangibles et démontrables, relève purement et simplement de la manipulation.

Confusions démagogiques

Dans l'édition de cette année, les confusions sont encore une fois nombreuses. Oxfam évoque par exemples les hausses spectaculaires que les patrimoines de milliardaires ont connues ces derniers mois. En oubliant de préciser que la plupart de ces patrimoines sont virtuels, puisque sous formes de titres, et qu'ils peuvent connaître des variations importantes, à la hausse comme à la baisse, selon les fluctuations boursières. Autre ambiguïté, fleurant bon la démagogie simpliste : le rapport affirme que depuis le début de la crise sanitaire, la fortune des milliardaires a augmenté de 236 milliards d'euros, somme qui permettrait de quadrupler le budget de l'hôpital public. Encore une fois, les analystes de l'ONG oublient de préciser que la somme pharamineuse avancée n'est qu'un stock virtuel alors que les budgets des hôpitaux reposent sur des flux bien réels devant se renouveler chaque année. Impossible donc de comparer les deux.

Mais le fond de la manœuvre est encore plus dérangeant. Ces biais sont au service d'une cause : multiplier les prétextes permettant de justifier une sur-taxation des riches. L'idée est même clairement signifiée dans la tribune signée par plusieurs millionnaires demandant à être plus taxés. Passons sur la naïveté d'une telle position, ces personnes semblant oublier qu'elles peuvent alléger leur bourse et leur conscience avec un engagement philanthropique personnel. La taxation est un sujet d'ordre politique et chacun doit être libre de pouvoir l'estimer selon ses affinités et compétences. C'est un principe démocratique de base. En intitulant le rapport «Les inégalités tuent», Oxfam joue sur la dimension émotionnelle. La manipulation ne concerne donc plus seulement les chiffres et les définitions économiques. Elle repose aussi sur l'exploitation des émotions dans le but de paralyser la réflexion.

L'émotion comme arme

Les techniques de contrôle émotionnel sont bien identifiées et maitrisées par les spécialistes du marketing. Elles sont généralement très prisées dans les domaines où les notions de liberté de choisir, liberté de penser ou le libre arbitre posent un problème à un groupe de décideurs car elles permettent d'atrophier la faculté d'analyse d'une société par le biais d'émotions soigneusement entretenues. De la sorte, on maintient le public cible dans un ressenti, ce qui affaiblit nettement sa capacité à cogiter. Il s'agit donc d'une arme puissante, malheureusement couramment mise à l'œuvre dans les projets de formatage de la pensée.

L'objectif d'Oxfam est donc bien plus sombre que de servir une idéologie. Il consiste à s'opposer à une conception propre de la réalité en stimulant l'émotion plutôt que la raison. C'est un peu comme si la présente tribune avait, dès les premières lignes, rappelé que l'ONG a été plusieurs fois impliquée dans des scandales sexuels graves en Haïti, au Soudan ou au Libéria. Ou encore, que cet institut, qui milite contre la pauvreté et les inégalités sociales dans le monde, a brutalement supprimé 1.450 emplois en 2020, tout en faisant appel au bénévolat des jeunes sur les réseaux sociaux, alors qu'elle bénéficie de nombreux fonds publics ou qu'elle s'appuie en partie sur la générosité de l'Open Society, du milliardaire George Soros. Ces éléments auraient certainement biaisé la lecture. Mais, au moins, ils sont vrais.