Reforme du Code du Travail : circulez, il n'y a rien à voir

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  953  mots
Peut on attendre deux ans et demi une réforme du marché du travail. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'Essec

Les faiblesses de l'économie française sont bien connues et récurrentes. Dans un contexte structurel de chômage de masse, de perte durable de compétitivité et de déséquilibres extérieurs, les différents gouvernements, et particulièrement celui-ci, persistent dans l'accumulation des déficits publics et l'absence de reformes structurelles. La situation française est encore plus grave si on la compare à l'Allemagne ou l'Angleterre, les deux autres économies majeures de l'Europe. Les anciennes économies malades comme l'Espagne et l'Italie réalisent des progrès enviables en matière de reformes, de gains de compétitivité et de baisse de leur niveau élevé de chômage.

Confusion au sein du gouvernement

Le consensus sur la situation de l'économie du pays se transforme en profondes divergences quant aux causes et aux remèdes possibles. Même le gouvernement actuel a fini par accepter l'idée selon laquelle le pays se distingue des autres par un grave dysfonctionnement du marché du travail, cause principale du chômage élevé, de l'exclusion sociale et de la pauvreté qui en découlent. Un certain nombre de rapports, provenant de contributeurs d'horizons politiques différents, y compris mandatés par le gouvernement (Rapports Institut Montaigne, Terra-Nova, Badinter Lyon-Caen, Combrexelle) ont pointé la nécessité de simplifier et d'assouplir le droit du travail.

En revanche, au sein du gouvernement la confusion règne en matière de préconisations de réformes. On a d'une part les « réformateurs » comme Emmanuel Macron, François Rebsamen ou Manuel Valls qui pointent timidement les rigidités évidentes du marché du travail, et suggèrent, au hasard de discussions, que les 35 heures ou la protection légale excessive associée à la majorité des contrats de travail pèseraient sur l'activité économique. D'autre part, nous avons les « frondeurs », constitués par l'essentiel des autres dirigeants du parti au pouvoir, qui, concédant qu'il serait souhaitable de simplifier le code du travail, posent en préalable la condition de ne toucher en rien à l'essentiel du fonctionnement actuel du marché du travail, notamment les 35 heures, le CDI, les seuils de représentativité, la formation professionnelle, et le salaire minimum.

Une évolution timide... repoussée de deux ans et demi

Le nouveau Ministre du Travail, Myriam El Khomri, vient de communiquer le 4 Novembre une note d'orientation visant selon ses propres termes à « Simplifier, Négocier, Sécuriser » le Code du Travail. Cette note nous indique le processus et les grands principes que la majorité compte suivre : réécriture du Code du Travail avec un peu plus d'autonomie dans les négociations salariales au niveau de l'entreprise, mais aussi un renforcement des syndicats, et cela sans réduire l'ensemble des contraintes légales sur cette négociation, comme la durée légale de travail unique, ou le SMIC. Aucune référence n'est faite au marché du travail dual ni à l'impact du CDI sur la durée du chômage. Plus inquiétant encore, cette évolution timide du code du travail est repoussée à deux ans et demi.

Proximité des élections et poids des syndicats

Ainsi, dans la plus grande tradition de l'absence de courage réformateur, le gouvernement met en avant son « audace » de s'attaquer à un tel sujet et après s'être auto-félicité, il crée un Comité, nomme des « sages » chargés de plancher pour une réforme repoussée aux calendes grecques, c'est-à-dire à l'après l'élection présidentielle. La proximité des élections a eu raison une fois de plus des velléités « réformatrices » du gouvernement qui donne donc rendez-vous aux Français et aux entreprises dans deux ans et demi. On pourra toujours se consoler en observant que c'est cette même proximité des élections qui a amené le gouvernement à renoncer à faire les poches des handicapés possédant une petite épargne.

 Outre la crainte immédiate des élections et des remous au sein de sa propre majorité, il est manifeste que le gouvernement ne compte pas faire quoi que ce soit qui se heurte aux « lignes rouges » posées explicitement par certains syndicats (FO, CGT) dont le pouvoir, comme on le sait, est inversement proportionnel à leur représentativité (en moyenne nationale moins de 8% de l'emploi total). Pourtant ce sont ces mêmes organisations syndicales non-représentatives des employés et encore moins des chômeurs ou des jeunes, qui se voient confier des missions aussi fondamentales que la gestion de l'assurance chômage ou des retraites.

Des systèmes de plus en plus complexes

La note d'orientation a toutefois identifié une solution rapide censée apporter des bénéfices immédiats dans la lutte contre le chômage : le développement de l'enseignement des relations sociales dans les grandes écoles! On pourrait suggérer au ministre qu'il serait plus judicieux d'enseigner les règles élémentaires du fonctionnement d'une économie de marché dans les écoles d'administration qui forment les futurs membres et collaborateurs du gouvernement.

Si nous sommes aujourd'hui dans cette situation dramatique c'est par l'inconséquence et la vanité des gouvernants qui continuent à penser qu'ils savent et peuvent administrer l'économie, et la naïveté des gouvernés qui préfèrent y croire et se dédouaner de leurs responsabilités. Nos gouvernants s'enferment et nous enferment dans des systèmes de plus en plus complexes en ajoutant jour après jour des centaines de pages de règles en tout genres pour corriger les méfaits provoqués par les règles antérieures sans jamais remettre en cause l'édifice. La note du Ministre remarque le fait que « le code du travail s'est stratifié ». Il est bon de le remarquer, il aurait été mieux de passer à l'acte.