Réforme du code du travail : le minimum nécessaire

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  948  mots
Le projet de loi réformant le code du travail aurait pu être vraiment courageux. Il ne s'agit pour l'instant que de petits pas dans la bonne direction. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC

Après avoir attendu le retour de la croissance conjoncturelle que lui promettaient les astres, le désormais célèbre « alignement des planètes », le Président François Hollande a du se rendre à l'évidence. Il n'y aura pas de retour à une croissance suffisante avant 2017 et nul ne sait quand elle adviendra en cette période d'incertitudes mondiales. La problématique du président est donc d'imaginer comment faire baisser le chômage puisque c'est le critère qu'il a lui-même fixé pour rester dans la course présidentielle. La seule option lui restant est de faire comme les autres dirigeants européens confrontés aux mêmes problèmes et de suivre la longue, difficile, impopulaire mais efficace méthode qui a fait ses preuves et que lui recommandent l'OCDE et la BCE.

Le minimum nécessaire pour normaliser le fonctionnement de notre marché du travail

Le projet de loi élaboré par le Ministère du Travail sous la houlette de son nouveau ministre, Myriam El Khomri, la semaine dernière, et proposé au Conseil d'Etat, apporte des solutions que nous pouvons qualifier de minimum nécessaire pour normaliser le fonctionnement de notre marché du travail atone.
Certes cette réforme évite des points cruciaux qui auraient demandé un réel courage politique. Une vraie reforme courageuse aurait mis un terme définitivement au droit des tribunaux Prudhommaux de se prononcer sur la validité d'un licenciement pour motif économique, en remplaçant la sanction à discrétion du juge par une indemnité de départ proportionnelle à l'ancienneté - selon l'exemple de l'Autriche.

Sans cette exigence, la « discrimination » entre CDD (83% des embauches) et CDI serait de facto supprimée, et avec elle les inégalités de traitement des salariés à qualifications égales. Les contraintes juridiques significatives sur les réductions de personnel et notamment l'incertitude liée aux décisions des juges lorsque le licenciement s'impose, expliquent en grande partie la réticence des entreprises françaises à créer des emplois, et leur préférence pour les délocalisations.

L'avant-projet de loi El Khomri se contente d'expliciter un peu plus les motifs acceptables d'un licenciement économique, en maintenant l'approche comptable de la baisse de revenus trimestriels, peu adaptée à la réalité des firmes. En piètre compensation, elle reprend le projet de fixer une limite maximale aux indemnités que le juge peut imposer en cas de licenciement « abusif », ce qui permettra de diminuer le flou actuel dans lequel ces sanctions sont décidées. Selon les calculs de l'OCDE, c'est en grande partie à ce type de réformes sur les licenciements économiques que l'Espagne et l'Italie doivent l'amélioration actuelle de leurs performances en matière de chômage.

Abroger les 35 heures eut été courageux...

Une reforme courageuse aurait également abrogé la durée statutaire hebdomadaire de 35 heures en faveur de négociations de branches ou d'entreprise, débarrassant l'économie française de ce carcan rigide qui pénalise à la fois l'entreprise et les employés. La loi El Khomri se contente d'autoriser une plus grande flexibilité dans la détermination des taux des heures supplémentaires à partir du seuil tabou de 35 heures. Elle permet également une plus grande flexibilité en ce qui concerne la durée hebdomadaire maximale de 48 heures actuellement, en passant par des autorisations administratives.

...de même que prévoir un smic modulable...

Une loi courageuse aurait proposé un SMIC modulable selon la qualification de façon à lutter efficacement contre l'exclusion des jeunes et des non qualifiés du marché du travail.
Une loi courageuse aurait fait en sorte que la voix des chômeurs soit présente dans la négociation salariale au niveau des branches.
Une loi courageuse aurait repensé l'utilité et les missions des nombreux comités de représentation salariale au sein de l'entreprise, au profit de leur action de surveillance du respect des lois et en diminuant leur droit d'ingérence dans la gestion des entreprises. Par la même occasion elle aurait revisité le problème des seuils sociaux, en partie responsables du nombre anormalement élevé en France d'entreprises de moins de 50 employés.

...et la modification des attributions des syndicats

Une loi courageuse aurait modifié les attributions des syndicats dans la gestion des organismes sociaux, puisqu'avec un taux moyen de syndicalisation de 8%, les syndicats officiels ne sont représentatifs que d'eux-mêmes.
Une loi courageuse aurait profondément modifié le cadre de la formation professionnelle, pour qu'enfin elle devienne performante et adaptée aux besoins de l'économie.

De petits pas dans la bonne direction

La loi El Khomri n'aborde pas ces sujets. Mais il faut reconnaitre que les petits pas qu'elle propose marchent dans la bonne direction, même si l'allure est celle d'un escargot, comparable en cela à l'allure et à la détermination des gouvernements de droite précédents.
Deux centrales syndicales ont déjà déclaré leur hostilité aux mesures proposées et mèneront la fronde dans la rue. Une grande partie du PS s'oppose au projet au nom de « l'abandon des valeurs de la gauche ». L'opposition de droite va exprimer des réserves, que cela soit avec ou sans arrières pensées politiciennes. Quand au Front National, il dénonce le démantèlement des droits des travailleurs. Les débats au parlement s'annoncent donc houleux.
Le gouvernement aura fort à faire pour tenir le cap et faire passer cette reforme modeste. Nous l'espérons, indépendamment des manœuvres électorales de François Hollande, mais pour les millions de chômeurs qui peinent à trouver un emploi et pour les entreprises françaises handicapées face à la concurrence mondiale par la rigidité du système.