Réformer en France : pourquoi ça ne marche pas

Par François Béharel  |   |  926  mots
François Béharel, Président du groupe Randstad France
En crise, la Suède et l'Allemagne ont su revoir en profondeur leur modèle social, au service de l'emploi. En France, l'obsession consistant à miser sur le dialogue social pour réformer est un échec. Et si on changeait de méthode, avec une classe politique assumant enfin ses responsabilités ? Par François Béharel, Président du groupe Randstad France

La majorité déchirée. Le camp syndical fracturé entre une organisation réformatrice et les tenants d'une ligne contestataire. Le cortège rituel de grèves et de manifestations. Le tout couronné par le recours à l'article 49.3 pour adopter une loi vidée de son contenu. De façon caricaturale, la loi Travail a exposé au grand jour les difficultés chroniques de la France à se réformer. Pourtant, il n'y a pas de fatalité. Notre pays peut changer. D'autres avant nous l'ont fait. C'est le cas notamment de la Suède et de l'Allemagne. En matière de réforme structurelle, ces deux pays donnent à voir les ingrédients qui font défaut à la France.

La Suède est confrontée au début des années 1990 à une crise bancaire d'une ampleur sans précédent : le chômage explose (de 2 % en 1990 à 11 % en 1993) et la dette publique double (de 42 % du PIB à 84 % en 1996). Le pays va alors réformer en profondeur son système de retraites. Gouvernement et opposition s'entendent pour passer d'un régime à prestations définies à un régime à cotisations définies avec une dose de capitalisation. Même LO, la grande confédération ouvrière du pays, se rallie - certes à contrecoeur - à la réforme. Les résultats sont au rendez-vous. La Suède connaît un taux de croissance annuel moyen de 3 % entre 2000 et 2007 et le chômage retrouve dès 1996 son niveau d'avant-crise.

Dix ans plus tard, c'est l'Allemagne qui fait figure d'homme malade en Europe. Face à la crise qui ronge le marché du travail allemand, le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder fait voter les réformes Hartz, dont la plus importante, Hartz IV, transforme l'assurance-chômage. La priorité est d'inciter au retour à l'emploi en appui sur une indemnisation du chômage moins généreuse. Impopulaires, ces mesures provoquent la colère des puissants syndicats allemands.

Elles bénéficient toutefois du soutien de l'opposition chrétienne-démocrate. Résultat ? Le chômage amorce sa décrue à partir de 2005 - reflux aidé, il est vrai, par la baisse de la population active. Les réformes Hartz, en réalité, ont posé les bases du miracle allemand qui vaut aujourd'hui à l'Allemagne son rang de puissance économique incontestée en Europe.

Bien sûr, ces exemples illustrent le réalisme économique et le courage politique des partis suédois et allemands, prêts à voter des réformes indispensables quand bien même elles pouvaient heurter leur électorat. Plus important encore, ils témoignent d'une méthode qui renvoie la France à ses propres échecs.

Renouveler le personnel politique

À Stockholm comme à Berlin, ces réformes ont été menées et assumées par les politiques. Et non par les syndicats, dont la représentativité et la légitimité sont pourtant incontestables dans ces pays qui sont, pour l'un (la Suède), le berceau de la social-démocratie et, pour l'autre (l'Allemagne), la patrie de l'économie sociale de marché. Que penser alors de l'obsession française consistant à miser sur le dialogue social pour réformer ? Cette méthode, qui vise à rendre coresponsables de notre droit du travail des syndicats en butte à un déficit récurrent de représentativité et de légitimité, est vouée à l'échec. La classe politique, pendant ce temps, n'assume pas toutes ses responsabilités. Une solution, assurément, consisterait à renouveler le personnel politique. C'est d'ailleurs une attente régulièrement formulée par les Français. Pour initier ce renouvellement, il est indispensable de fluidifier les carrières entre le public et le privé. Deux mesures pourraient être prises à cette fin.

La première renvoie à un serpent de mer de la vie politique française : le non-cumul des mandats. Ce sujet tant de fois débattu par la passé alimente de nouveau le débat public. Rien de surprenant tant cette mesure apparaît comme l'outil à même de renouveler une classe politique que l'opinion juge frappée de discrédit. Or, rappelons à ce sujet que la loi de 2014 sur le non-cumul des mandats n'est que partielle, puisqu'elle autorise le cumul d'un mandat national avec une fonction locale non exécutive, manquant ainsi de mettre fin à la carriérisation excessive de la vie politique. En outre, elle n'entrera en vigueur qu'en mars 2017, ce qui peut apparaître aux yeux de l'opinion comme une ultime tentative pour gagner du temps et repousser l'inévitable.

Si le non-cumul des mandats est indispensable, il ne suffit pas. Il faudrait aussi, comme j'ai pu le proposer pour les représentants des salariés, limiter à deux le nombre de mandats successifs des élus, de sorte qu'un député, un sénateur, un élu local ne puisse être réélu qu'une seule fois. Le bénéfice en termes de renouveau me paraît supérieur au coût, à savoir se passer des services d'un élu talentueux, qui pourrait faire carrière.

Permettons ensuite à davantage de salariés de s'engager dans la vie publique. Seuls 16 % des députés peuvent aujourd'hui se prévaloir d'une expérience dans le secteur privé. C'est trop peu ! Sur le modèle du statut de « salarié citoyen » en vigueur dans de très rares entreprises pionnières, un nouveau cadre juridique pourrait être créé, permettant au collaborateur tenté par l'engagement au service de la collectivité de retrouver son emploi et son salaire au terme de son expérience politique. Sans être suffisantes, ces deux mesures pourraient constituer l'amorce d'une modernisation de la vie politique française. Une étape incontournable pour faire les vraies réformes.