Relancer la stratégie nation ETI : faire de la France le champion de la régionalisation de l’économie mondiale

Par Pierre Polette  |   |  749  mots
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OPINION. Au moment où la résilience est le maître-mot des économistes et des investisseurs, il est temps que l’État concentre ses efforts sur les ETI. Derrière cet acronyme se cachent les poumons d’une économie française et européenne performante, créatrice d’emploi, innovante, et, point essentiel, résiliente. Les entreprises de taille intermédiaire sont un atout majeur pour sauter sur le train en marche de la régionalisation de l’économie post Covid et il s’agit de les aider à grandir dans les bonnes conditions si l’on veut qu’elles conservent leur statut de championnes des territoires. Relancer la Stratégie Nation ETI amorcée en 2020 est impératif. Par Pierre Polette, CEO de Talentia

Tout n'est pas CAC 40 ou start-ups. La French Tech a levé 13,5 milliards d'euros l'année dernière, selon le baromètre annuel d'EY. C'est 16% de plus qu'en 2021 et un nouveau record. Les entreprises du CAC 40 ont entamé le bal des résultats annuels avec des chiffres salués dans une année 2022 particulièrement compliquée. La clé de cette résistance de l'économie ? Le talent de dirigeants, d'entrepreneurs et d'équipes, mais également les multiples actions qui foisonnent autour de l'écosystème start-up largement animé par les initiatives gouvernementales, et la place faite aux très grandes entreprises dans les politiques publiques.

Fort de ce constat, le gouvernement devrait s'engager avec la même vigueur pour les ETI qui disposent déjà structurellement de forces incontestables et d'une stabilité attractive pour les investisseurs. Le marché va plus que jamais continuer d'orienter drastiquement ses financements vers des actifs solides, lisibles et profitables.

Un statut de championne des territoires qui n'est pas immuable

Les ETI sont un pilier peu reconnu, voire méconnu, de l'économie européenne et française ; des poumons de l'économie ancrés dans les territoires. Leurs réussites sont locales, avec 66% des sièges sociaux d'ETI se trouvant hors d'Île-de-France et 78% des sites de production en province, et multiples, dans l'industrie manufacturière, dans les services marchands ou la technologie. Les entreprises de taille intermédiaire sont des employeurs de premier plan : elles comptent un quart des effectifs salariés (3,3 millions de salariés) alors même qu'elles représentent moins de 5% des entreprises en France, et elles génèrent près d'un tiers (29,7%) du chiffre d'affaires de l'ensemble des entreprises.

Si elles n'ont pas été épargnées par la crise et que la situation financière de nombreuses entreprises reste préoccupante, notamment en termes de surendettement et de déficit en fonds propres, leurs modèles économiques et leurs structures capitalistiques ont prouvé leur résilience. Les ETI ont maintenu, coûte que coûte, les emplois dans les territoires, et les difficultés conjoncturelles n'ont pas entamé l'esprit de conquête qui les caractérise, notamment à l'international. Les ETI ont donc prouvé leur valeur quant au fait d'être, au même titre que les autres acteurs économiques, soutenues par l'État. Le défi qui s'impose à elles, alors qu'elles n'ont ni le poids politique du CAC 40 ni l'agilité des start-ups, est de se développer en nombre - la France compte moitié moins d'ETI qu'en Allemagne - et de grandir dans de bonnes conditions. Elles doivent non seulement se faire connaître individuellement pour attirer investisseurs, talents et clients, mais elles doivent également développer un écosystème politique et professionnel efficace et pro-actif pour grandir collectivement. Il faut aux ETI des infrastructures, des réglementations et des financements adaptés, il faut leur permettre de réussir la digitalisation de leur modèle et la protection de leurs données ainsi que la poursuite de leurs investissements en faveur d'une croissance durable et solidaire.

L'aubaine de la régionalisation de l'économie mondiale doit être pleinement saisie

De plus, l'État bénéficierait à jouer un rôle conséquent d'accompagnement de la transformation des ETI. Les fragilités des supply chains révélées au moment de la crise sanitaire, la dépendance énergétique apparue dans la guerre en Ukraine et l'urgence climatique ont fait changer de paradigme l'économie mondiale. L'émergence de la régionalisation des équilibres économiques et des chaînes de valeur devient une tendance structurelle et non plus passagère. Les ETI sont la première force de frappe de cette régionalisation, par leur ancrage et leur maillage local. Elles représentent un outil précieux pour la réindustrialisation de l'économie, le développement de l'innovation à travers des partenariats avec le monde de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et, enfin, un formidable levier pour l'emploi des jeunes diplômés.

Relancer le plan stratégique initié en 2020, qui s'est essoufflé au gré de crises conjoncturelles, serait aujourd'hui parfaitement aligné avec les objectifs de l'État dans un contexte de crise économique, sociale et environnementale.

Les ETI sont un instrument clé du redémarrage économique de notre pays. Il est temps que le gouvernement valorise cet actif stratégique à sa juste valeur.

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(1) Champ d'étude concernant l'ensemble des entreprises des secteurs principalement marchands non-agricoles et non financiers. « ETI en France », Insee, 2021