RGPD : l’Europe enfin stratège dans la bataille de l’économie numérique

Par Nicolas Rieul  |   |  776  mots
RGPD, voici 4 lettres qui, mises bout à bout, forment un acronyme qui va bouleverser prochainement la vie de 500 millions d'européens.  Pourtant, ce dispositif est peu connu du grand public et nombreux sont ceux qui ne veulent pas en entendre parler. Le RGPD, Règlement Général sur la Protection des Données, entrera pourtant en vigueur le 25 mai 2018 et modifiera la façon dont les entreprises numériques traitent les données personnelles des consommateurs en Europe. Par Nicolas Rieul, VP Strategy EMEA, S4M

Le RGPD est critiqué par une grande partie des acteurs économiques concernés, arguant qu'il met à mal une économie numérique en croissance et créatrice d'emplois. C'est en fait tout le contraire. En effet, ce Règlement va faire de toute société qui traite ou stocke des données de citoyens des 28 états membres des mini-forteresses. L'objectif étant de responsabiliser ces entreprises en renforçant la sécurisation et la protection des données personnelles auxquelles elles ont recours. Le RGPD est un élément essentiel d'une stratégie dont les résultats sur l'économie européenne se feront ressentir d'ici 5 à 10 ans.

Un outil puissant de protectionnisme

Si le RGPD avait existé il y a 20 ans, Google, Facebook ou Amazon n'auraient pas pénétré le marché européen aussi facilement, avec des offres déployables sur le vieux continent à peine sorties de leurs garages ou laboratoires à idées aux Etats-Unis. Le délai nécessaire pour qu'ils s'adaptent à la réglementation aurait laissé le temps aux entreprises européennes de développer des services compétitifs. Le même phénomène s'est produit en Chine avec des acteurs comme WeChat ou Alibaba. Certes critiquable sous bien des aspects, le protectionnisme Chinois a pourtant permis l'émergence de champions régionaux, les BAT (Baidu, Alibaba, Tencent). Le RGDP va donner le même type de moyens à l'Union Européenne, avec une puissance inégalée. Signe fort de cette impulsion : Isabelle Falque-Pierrotin, Présidente de la CNIL française et du G29 (groupe des CNIL européennes) vient d'accéder il y a quelques semaines à la présidence de l'ICDPPC (coordination des CNIL mondiales).

S'attaquer aux fondations de l'Intelligence Artificielle : la donnée

En imposant à toutes les sociétés européennes de respecter des normes contraignantes dans la gestion et la sécurisation de leurs données, base de toute innovation technologique et notamment l'Intelligence Artificielle, l'Europe va freiner l'émergence et la pénétration de nouvelles start-ups américaines sur son marché. Trop occupées dans leurs premières années à développer leur activité sur leur marché intérieur, ces start-ups se heurteront à une nouvelle barrière réglementaire : le RGPD. Ce sont donc les fondations de leurs services technologiques, basées sur la donnée, qu'il leur faudra reconstruire avant de pouvoir séduire les utilisateurs européens. Cela laissera le temps aux sociétés européennes de développer des services similaires, pensés dès le départ dans le respect du RGPD et de « l'esprit européen ». Ces acteurs en conformité avec le RGPD, réglementation la plus contraignante du monde, n'auront par ailleurs aucun problème pour intégrer d'autres marchés internationaux. Qui peut le plus, peut le moins !

Une arme défensive contre l'impérialisme américain

En parallèle d'une domination militaire, politique, culturelle et économique, les GAFA renforcent de manière incontestable la domination des Etats Unis sur le terrain des nouvelles des technologies. Le RGPD défend les entreprises européennes en ciblant ce qui est au cœur des services proposés par ces géants américains : les données. Avec des amendes allant jusqu'à 4% du chiffre d'affaire monde en cas de non-respect du RGPD, nous sommes très loin des 150 000 euros d'amende de la CNIL infligés à Facebook en mai dernier.  Cela change totalement la donne et met en péril le fonctionnement même de leur modèle. Le second volet défensif est celui de la fiscalité. L'Union a montré dernièrement sa volonté d'en finir avec les jeux de défiscalisation qui permettent aux GAFA d'échapper à l'impôt au sein de l'Union. La commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, a ainsi de nouveau dénoncé l'hégémonie des mastodontes américains lors du dernier Web Summit, n'hésitant pas à les accuser de « détruire la démocratie » et rappelant sa volonté de les contraindre à payer des impôts en Europe.

Construire l'écosystème qui verra naitre le prochain Mark Zuckerberg en Europe

Ces actions fiscales et réglementaires de protectionnisme sont défensives, de ce fait nous ne sommes pas naïfs au point de croire que l'Europe créera l'écosystème qui verra naitre le nouveau Mark Zuckerberg grâce au RGPD. Toutefois avec un tel dispositif, elle se dote de moyens permettant de voir naître en Europe les futurs géants du web. Alors arrêtons l'Eurobashing et saluons une Union Européenne stratège dans sa vision à long terme de la défense des intérêts économiques de la région.