Salaire des patrons : l’autorégulation n’existe pas, il faut légiférer !

Par Benoit Hamon  |   |  847  mots
Si la rémunération d'un grand patron correspondait à un quelconque génie, leur disparition parfois brutale affecterait l'appréciation de l'entreprise. Il n'en est rien. Cette caste de dirigeants ne reviendra jamais d'elle même à la raison. Il faut donc en passer par la loi. Par Benoît Hamon, député PS, ancien ministre

Le débat sur le salaire des grands patrons a opportunément ressurgi avec la publication de la rémunération de Carlos Ghosn. Les rémunérations des patrons du CAC 40 choquent par leurs montants. Elles choquent par l'écart qui existe entre les efforts consentis par les salariés et les gratifications que s'attribuent ces patrons. Elles choquent parce que ces rémunérations des dirigeants semblent échapper aux aléas économiques : on liquide ses stocks options quand l'entreprise va bien ou on profite de son parachute doré quand l'entreprise va mal. Elles choquent car les bons résultats de ces chefs d'entreprise passent toujours sous silence ce qu'ils doivent parfois à l'intervention de la puissance publique dans la bonne santé de leur entreprise.

Un marché des patrons, comme pour les joueurs de foot?

L'argumentation principale du patronat pour défendre ces rémunérations indécentes aux yeux de la majorité des français est inchangée. Il existerait un marché des patrons comme il existe un marché des joueurs de football ou un marché des grands acteurs. Une vedette ça se paye. Ce qui est rare est cher. Carlos Tavares patron de Peugeot est donc comparable à son compatriote Cristiano Ronaldo. Carlos Ghosn est comparable à Antoine Griezmann. Pourquoi ce marché si fermé existerait-il ? Parce que selon les membres du club très fermé des grandes fortunes, la productivité marginale associée aux décisions du dirigeant est extrêmement élevée.

Si ce facteur « patron » est si influent sur la santé économique de l'entreprise et la valeur de son action en bourse, on peut supposer que la disparition d'un grand patron se traduit invariablement par une chute de la valeur de l'entreprise.

 Ces disparitions de patrons qui n'affectent pas la valeur en bourse de l'entreprise

Trois exemples récents semblent démontrer le contraire.

Le premier frappe l'esprit. Il s'agit de la disparition de Steve Jobs. Steve Jobs c'était Apple. Apple c'était Steve Jobs. La marque se confondait avec son créateur et vice versa. En l'espèce, observer l'impact du décès de Steve Jobs sur Apple est particulièrement intéressant quand on sait que la société créée dans un garage de Los Altos en Californie est devenue la première capitalisation boursière au monde. A l'annonce du décès de Steve Jobs, la valeur de l'action Apple perdait 0.23% en clôture du marché à New York. La force et le leadership exercés par les produits phares d'Apple sur leurs marchés respectifs ainsi qu'une liste d'innovation à venir sur les 10 ans ont assis la valeur boursière d'Apple au point qu'elle soit quasi insensible au décès de son fondateur.

Second exemple : en 2006 disparaissait subitement lors d'une sortie en mer, Edouard Michelin. Le patron de la célèbre firme de pneus de Clermont-Ferrand est mort brutalement dans des conditions très différentes de du décès de Steve Jobs dont le cancer était connu depuis longtemps. La mort accidentelle d'Edouard Michelin impacte le cours de l'action de 0.59% au moment de la clôture de la bourse de paris le jour de l'annonce du décès. Ainsi, le décès accidentel du dirigeant a eu un impact léger sur le cours en Bourse. Grâce à une gouvernance stable et à la forte influence de la famille Michelin sur le groupe, l'action n'a que faiblement varié à la baisse.

Enfin le 20 octobre 2014, Christophe De Margerie patron « hors-norme » de Total disparaissait tragiquement lors du crash de son avion en Russie. Après une ouverture en baisse de 2 %, le titre Total a rapidement repris le dessus, affichant un gain de 3 % dans l'après-midi. Le Figaro commentait la nouvelle ainsi « Voilà la meilleure preuve du bien-fondé des organes de gouvernance, organisés pour faire face à une disparition aussi brutale, et de la robustesse de l'entreprise qui demeure l'un des géants de son secteur, quelle que soit l'identité de son pilote ».

 Selon ces trois exemples, la disparition de trois patrons aux compétences et qualités unanimement reconnues n'a eu qu'un impact insignifiant sur la valeur de l'entreprise qu'ils dirigeaient.

Zidane, Messi: de rares génies

 Le génie existe et il peut parfaitement trouver à s'épanouir dans des fonctions de dirigeants d'entreprise. Mais le génie est rare. C'est qui explique qu'en football un Zidane ou un Messi aient été ou soient aussi bien payés. Mais revenons aux grands patrons. Toutes leurs rémunérations sont élevées même quand ils sont défaillants. Et c'est bien aussi cela que les salariés et citoyens leur reprochent. Elles ne distinguent pas vraiment les bons des mauvais. Elles placent en haut de l'échelle sociale une caste de dirigeants dont les revenus augmentent constamment. Constatant l'échec de l'autorégulation qui dans ce domaine relève du mirage tenace, et pour ceux parmi les dirigeants politiques qui y croient encore relève de la crédulité coupable, il est nécessaire de légiférer pour encadrer la rémunération des grands patrons.