Sept chantiers pour un défi énergétique, sept zéros pointés !

Par François Dauphin  |   |  1172  mots
(Crédits : Reuters)
OPINION. Les quatre derniers gouvernements français ont traité la problématique de la transition énergétique au mieux avec incompétence, au pire avec dédain. À quand un sursaut chez nos parlementaires ? Retour sur une décennie d'échecs en la matière. Par François Dauphin, expert international énergie, DXC Technology.

Il y a plus de 13 ans je publiais, dans ces mêmes colonnes, une tribune expliquant que les plans ambitieux de transition énergétique étaient tous basés sur des invariants qu'il convenait donc de favoriser si l'on ne voulait pas se heurter à des déconvenues. Plus d'une décennie est passée et l'analyse des résultats obtenus par les quatre derniers gouvernements français explique, au moins partiellement, l'impasse dans laquelle leur inaction nous a conduits. Reprenons donc le b.a.-ba en matière de transition énergétique.

Le méthane comme mode de chauffage pour les logements reste la norme

La première orientation proposée était de limiter l'usage du méthane à la pétrochimie, à la production d'électricité de pic et aux modes de transport où l'électricité est difficile à mettre en œuvre comme les bateaux ou les avions. Actuellement, l'utilisation du méthane comme mode de chauffage pour les logements est la norme et ce, en totale contradiction avec les orientations idoines. L'usage du méthane dans le transport maritime est marginal. L'utilisation dans le transport aérien inexistant. Pire, aucun plan n'est en place pour favoriser leur développement. Résultat : zéro pointé.

Je proposais ensuite de développer le chauffage des logements par le biais de la géothermie, des pompes à chaleur, du bois et du chauffage solaire, et d'éviter absolument le fuel domestique, le propane et le méthane. En matière de géothermie, il n'y a eu strictement aucun développement en dix ans. Les pompes à chaleur ont représenté 36% des installations en 2017 soit 4% de moins qu'il y a 10 ans.

Dans le même temps, les installations de chauffe-eau solaire ont baissé de 75% ! En matière de chauffage au bois, les ventes étaient de 380.000 appareils en 2017, soit 20% de moins qu'il y a 10 ans. Résultat : zéro pointé.

Des subventions pour une électricité décarbonnée, qui est venue en substitution d'une électricité qui l'était déjà

La troisième orientation visait à développer le véhicule électrique et ce, en facilitant l'acquisition pour les plus démuni(e)s et en priorité les personnes situées dans les zones éloignées des centres-villes par une taxe sur l'essence et le diesel. Le coût du diesel n'a quasiment pas évolué en rapport au pouvoir d'achat depuis 10 ans. Les ventes de véhicules électriques représentent, au dernier trimestre 2018, moins de 2% des ventes alors qu'elles sont de plus de 60% en Norvège. Résultat : zéro pointé.

Le développement de l'usage des pompes à chaleur et celui du véhicule électrique demandaient de développer la production électrique, ce qui présentait plusieurs avantages. Il permettait d'utiliser notre parc électronucléaire décarbonné et pour lequel il convient de constituer les provisions financières nécessaires à son démantèlement. La nécessité de produire une centaine de térawattheures supplémentaires offrait une place aux énergies renouvelables. Celles-ci venaient, à un prix compétitif, en complémentarité et non en substitution du parc existant. Depuis 10 ans, la production française n'a connu aucune progression. Pire, les gouvernements ont dépensé plus de 100 milliards d'euros pour subventionner une électricité décarbonnée qui est venue en substitution d'une électricité qui l'était déjà. Résultat, zéro pointé.

Des gains d'efficacité énergétique insuffisants

En matière d'efficacité énergétique, les résultats se dégradent également. Alors que nous étions sur des gains annuels de 1,7% que je proposais de faire croître à 3% par an, les gains ne sont plus aujourd'hui que de 1,4% suivant les chiffres publiés par l'Ademe en 2017. Pas étonnant puisqu'en matière de rénovation du bâti existant, nous avons atteint moins de 60% des objectifs que les gouvernements s'étaient fixés. Pire, les gouvernements ne cessent de repousser la date d'éradication des logements passoires dont beaucoup sont pourtant en zones défavorisées. Résultat : zéro pointé.

Les deux derniers points concernaient le transport multi-nodal et une politique du logement visant à éviter l'étalement urbain. Concernant le transport, l'actuel gouvernement vient d'annoncer son plan mobilité et un investissement totalement ridicule de 400 millions d'euros (à mettre en comparaison aux 145 milliards dépensés pour le développement des énergies renouvelable). Aucun plan sérieux n'est mis en place pour les zones éloignées des centres-villes.

Enfin, les statistiques montrent une accélération de l'aménagement en zone périurbaine et donc dans des secteurs sans desserte collective puisqu'on ne les finance pas. Nous excluons de nos centres-villes la totalité des populations défavorisées. Résultat : zéro pointé.

Quel bilan !

Constitué de politiques de gribouilles sans aucune vision systémique, le résultat collectif auquel nous arrivons est pitoyable et totalement inexplicable au vue de la qualité des formations d'ingénieurs et d'économistes dont nous disposons. La consanguinité des technocrates du secteur de l'énergie ne peut être niée et l'intervention de lobbies industriels a été mentionnée par plusieurs ministres démissionnaires ; elles ne peuvent, à elles seules, expliquer ce résultat catastrophique.

Le problème du pic pétrolier auquel la société française commence tout juste à être confronté, le changement climatique qui commence à impacter la planète entière et les crises sociales à répétition nous obligent, hélas, à mettre un terme à ce manque évident de gouvernance. Les parlementaires devraient engager, au plus vite, une réflexion visant à mettre en œuvre de vraies réformes structurelles.

À titre d'exemple, et sans que cette liste ne soit exhaustive :

  • responsabilité pénale du Premier ministre en cas de non atteinte des objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre,
  • contrôle des lois de finance par le conseil d'État en vue de vérifier leurs adéquations à nos objectifs en matière de gaz à effet de serre,
  • décentralisation de décisions en matière de politique de maîtrise de la demande et de développement des énergies renouvelables,
  • révision du fonctionnement de l'Ademe en vue d'en faire une vraie Agence pour la maîtrise de l'énergie,
  • mise en place d'une hétérogénéité en matière d'écoles de formation pour les dirigeants des principaux organismes du secteur de l'énergie,
  • réorganisation des autorités concédantes du réseau électrique,
  • séparation des activités de réseaux du groupe EDF, etc.

Les quatre derniers gouvernements français ont traité la problématique de la transition énergétique au mieux avec incompétence, au pire avec dédain. Garder une équipe qui perd n'amènera aux mêmes errements et à la multiplication des gilets qui passeront rapidement du jaune au rouge voir au brun. Espérons que nos parlementaires finissent par ouvrir les yeux et, par là même, la voie à des réformes structurelles permettant de ramener le sourire sur le visage de nos enfants et de toutes ces personnes que l'on a laissé tomber au point qu'ils ont fini par ériger des barricades.