Si les Allemands ne changent pas, la zone euro va vers une nouvelle crise

Par Patrick Artus  |   |  775  mots
Sans changement du niveau d'épargne ou de l'utilisation de l'épargne en Allemagne, la zone euro va vers une nouvelle crise. Une crise à la fois économique et financière. Des solutions existent, pourtant. Par Patrick Artus, directeur des études économiques, Natixis.

La zone euro souffre aujourd'hui d'un excédent d'épargne, d'une insuffisance de la demande intérieure, de la faiblesse des gains de productivité, donc de difficultés à la fois du côté de la demande et du côté de l'offre. L'excédent d'épargne vient presque exclusivement de l'Allemagne, qui conserve un énorme excédent extérieur et qui a un excédent budgétaire. Les autres pays ont une capacité très faible à accroître leurs déficits publics ou à réduire leurs excédents extérieurs. Sans modification de la situation de l'Allemagne, la zone euro conservera une économie en difficulté, avec à la fois insuffisance de la demande et croissance potentielle très faible, et en conséquence une politique monétaire anormalement expansionniste.

Insuffisance de la demande intérieure

La zone euro souffre aujourd'hui d'un excès d'épargne, visible à l'excédent de la balance courante ; qui atteint, en 2015,  3% du Produit Intérieur Brut. De manière équivalente, il y a donc insuffisance de la demande intérieure, due surtout au recul de l'investissement, privé et public. La zone euro souffre aussi de la faiblesse des gains de productivité (à peine ½% par an), donc de la croissance potentielle, dont une partie est due à la faiblesse de l'investissement.

L'investissement des entreprises stagne en effet depuis la crise à un niveau près de un  point de PIB en dessous de celui de 2008; les investissements publics sont passés de 3,6% à 2,7% du Produit Intérieur Brut de la zone euro entre 2008 et 2015. Les difficultés de la zone euro se trouvent donc à la fois du côté de la demande (excès d'épargne) et du côté de l'offre (insuffisance des gains de productivité). Les politiques économiques efficaces doivent donc à la fois redresser la demande intérieure et redresser l'investissement et la productivité.

C'est en Allemagne que les choses se jouent

Mais on s'aperçoit assez vite que les degrés de liberté de politique économique sont en Allemagne. L'Allemagne a un excédent budgétaire et assure largement sa solvabilité budgétaire ; le reste de la zone euro a un déficit public (3,9% du PIB en 2015) et n'assure pas sa solvabilité budgétaire. L'Allemagne a un énorme excédent extérieur, le reste de la zone euro a une balance courante à peu près équilibrée. L'excédent extérieur de 3% du PIB de la zone euro vient donc presque entièrement de l'excédent extérieur de 8% du PIB de l'Allemagne.
Tout ceci montre que seule l'Allemagne dispose des marges de manœuvre pour mener une politique budgétaire plus expansionniste, investir davantage ou épargner moins et réduire son excédent extérieur, et prêter son épargne excédentaire aux autres pays.

La politique monétaire inutilement expansionniste de la BCE

Mais si l'équilibre actuel est maintenu, la zone euro conservera sa situation de croissance faible, à court terme avec l'excès d'épargne et à long terme avec la faiblesse des gains de productivité entretenue par la faiblesse de l'investissement. De plus, la BCE continuera à mener une politique monétaire inutilement expansionniste pour essayer en vain de corriger l'excès d'épargne domestique de la zone euro. Cette politique expansionniste ne peut pas changer le comportement permanent d'épargne des Allemands, ni convaincre l'Allemagne de mener une politique budgétaire expansionniste.

Vers une double crise économique?

Sans modification de l'équilibre actuel, la zone euro se dirige donc vers une double crise: économique, d'une part, avec la faiblesse de la croissance, et financière, d'autre part, avec la politique monétaire anormalement expansionniste de la BCE. Pour éviter cela, on peut imaginer deux solutions concernant l'Allemagne. D'abord, une politique budgétaire expansionniste en Allemagne, qui stimulerait la demande dans toute la zone euro et donnerait, avec une croissance plus forte, des marges de manœuvre budgétaires aux autres pays pour qu'ils soutiennent l'investissement ; mais on connaît la difficulté à mener une politique de déficit public en Allemagne alors qu'il y a plein emploi.

On peut imaginer, ce qui est peut-être plus facile, une canalisation de l'excès d'épargne de l'Allemagne vers le financement d'investissements dans le reste de la zone euro, alors qu'aujourd'hui l'excès d'épargne de l'Allemagne est prêté au Reste du Monde.

On peut souhaiter par exemple l'extension du Plan Juncker du côté des investissements privés, une garantie européenne de Project Bonds, le développement du marché européen des obligations d'entreprise. Il faut recréer la confiance des épargnants allemands dans les actifs financiers qui leur seraient offerts et qui financeraient des investissements dans le reste de l'Europe.