"Si nous ne faisons rien, nous aurons un tsunami financier avant 2020" Georges Ugeux

GRAND ENTRETIEN. Spécialiste de la finance internationale, Georges Ugeux publie "La Descente aux enfers de la finance"(*). Cet ancien banquier, qui fut durant sept ans le vice-président du New York Stock Exchange, se montre sévère avec la façon dont les gouvernements, les banques centrales et les banques ont évité soigneusement de tirer tous les enseignements de la crise financière de 2008. Si de sérieuses mesures, qu'il détaille, ne sont pas prises rapidement, il prévoit une nouvelle crise qu'il situe au plus tard en 2020, et qu'il qualifie de « tsunami » car elle sera bien plus sévère que celle de 2008.
Georges Ugeux.
Georges Ugeux. (Crédits : René Clément)

LA TRIBUNE - Dans votre livre, vous prévoyez une nouvelle crise financière au plus tard en 2020, plus sévère encore que celle de 2008. Sur quoi repose votre diagnostic ?

GEORGES UGEUX - En 2008, les banques centrales et les gouvernements avaient été en mesure d'intervenir pour empêcher une crise bancaire qui aurait déstabilisé le système, parce que le problème était circonscrit aux banques et à une compagnie d'assurances américaine, AIG. Aujourd'hui, le phénomène est différent, c'est pour cela que je parle d'un « tsunami ». En effet, durant les dix dernières années, les gouvernements occidentaux ont augmenté leur endettement jusqu'à pratiquement le doubler. Ils ont pu le faire, parce que les banques centrales, qui étaient venues au secours des banques, ont adopté une politique monétaire de taux bas et de rachat d'actifs qui a fait quintupler leurs bilans. Concrètement, l'endettement cumulé de l'Europe, du Japon et des États-Unis, s'élève à 40.000 milliards de dollars, et le montant du bilan des banques centrales atteint 15.000 milliards de dollars. Or, avec le début de la normalisation de la politique monétaire, le risque d'une crise systémique d'une ampleur colossale devient de plus en plus élevé, car elle ne touchera pas seulement le secteur bancaire comme en 2008 mais l'ensemble du secteur public, des entreprises et des banques centrales.

Pourtant, le président de la BCE, Mario Draghi, n'a cessé de marteler que sa politique monétaire n'avait de sens que si les gouvernements menaient des réformes structurelles pour sortir de la spirale de l'endettement...

C'est exact, mais le problème est que l'effet positif de cette politique monétaire accommodante sur l'économie, la croissance et l'investissement s'est émoussé depuis plusieurs années. Si Mario Draghi a raison de dire que les réformes que doivent mener les gouvernements sont vitales, il n'en reste pas moins qu'il a été leur allié objectif en rendant attractifs leurs emprunts grâce à la baisse des taux d'intérêt. Or, cela ne peut pas durer éternellement. Les derniers chiffres du déficit budgétaire américain portant sur le dernier trimestre [aux États-Unis, le trimestre couvre la période du 1er novembre au 31 janvier, Ndlr] font apparaître une hausse de 77% sur un an ! Une telle ampleur nécessite de parler sans compromis car il y a urgence. Depuis 2017, je répète que nous subirons ce tsunami au plus tard en 2020. À l'époque, il était encore possible d'éviter le pire. Aujourd'hui, je constate que non seulement rien n'a été fait, mais qu'au contraire le phénomène s'accélère au regard des chiffres américains.

Comment voyez-vous cette future crise ?

Elle sera violente si un certain nombre de mesures ne sont pas prises. Mais auparavant il faut avoir le courage d'établir un diagnostic. Je peux témoigner qu'il est déjà fait au sein de nombreux gouvernements qui savent à quoi s'en tenir sur les dégâts que causera la crise. Le problème est qu'il n'y a pas de consensus sur les thérapies à adopter. En attendant, je serais partisan de forcer les gouvernants à dire la vérité au public en reconnaissant leur responsabilité. Cette démarche permettrait d'annoncer, même dans un contexte difficile, une série de mesures structurelles qui puissent éviter que l'anticipation des marchés se transforme en explosion. Mais, pour le moment, je ne vois personne ayant le courage politique de tenir un tel discours.

Quelles mesures préconisez-vous pour éviter le pire ?

La première, c'est de vendre des actifs. La France peut le faire mais pas tous les pays. La deuxième, c'est de générer des recettes. Là, mon discours est très clair : les entreprises doivent davantage contribuer au budget de l'État. Aujourd'hui, elles ne le font qu'à moins de 10 %, d'autant qu'elles reçoivent sous une forme ou une autre des subsides. Selon moi, leur contribution est nulle, voire négative. Sur le plan de l'équité, c'est inacceptable. Cette situation est liée à la concurrence fiscale extrêmement dommageable qui a cours en Europe. Il est donc temps que les responsables européens se mettent autour d'une table pour réaliser une harmonisation de la fiscalité qui soit tenable à long terme.

Quelques efforts ont déjà été faits...

Oui, les déficits budgétaires ont été réduits de manière substantielle mais pour que cela dure, il faut que chacun contribue. C'est une question d'éthique, la taxation doit être perçue comme équitable par l'ensemble de la population. L'ISF était un mauvais impôt car il taxait le stock. Il faut donc trouver un autre dispositif qui cible les revenus supérieurs à 1 million d'euros par an. On pourrait aussi diminuer les charges sociales, ce qui permettrait d'augmenter l'emploi. Voilà pour les recettes.

Quand aux dépenses publiques, qui représentent 56 % du PIB, un record en Europe, ce n'est pas soutenable. Aujourd'hui, pour des raisons historiques, l'État français détient une centaine de milliards d'euros d'actifs sous forme de participations, qui sont financés par la dette. Or l'État n'a pas besoin d'être actionnaire pour contrôler l'économie et conduire sa politique économique. En France, il y a cette idée qu'un État actionnaire est une protection. Or la plupart des autres États contrôlent leur économie sans être actionnaires. Donc on peut procéder rapidement à une cession d'actifs combinée à une diminution des dépenses. Cela ne peut pas se faire en un jour mais si la tendance est donnée, il sera possible d'éviter une réaction de panique face à une dette dont les montants sont 100 fois ceux de 2008.

Comment jugez-vous l'action d'Emmanuel Macron ? Il a été plutôt timide en matière de réduction des dépenses publiques ?

Une partie de sa timidité repose sur l'assurance que les taux ne vont pas remonter et qu'on peut donc continuer à dépenser 50 milliards d'euros en taux d'intérêt. C'est un mauvais jugement, car les dettes doivent être remboursées et les taux d'intérêt ne resteront pas éternellement négatifs. Lorsqu'ils remonteront, cela fera très mal puisque le stock sera plus élevé. Cela va mettre un ou deux ans, mais n'oubliez pas que les marchés anticipent.

Par ailleurs, cette politique décourage l'épargne et booste les valorisations des marchés actions. Or, contrairement à une idée reçue, l'économie financière et l'économie réelle sont étroitement liées...

Évidemment. Je constate qu'il y a une dichotomie entre les économistes qui parlent de l'économie réelle et les financiers qui parlent de la finance. Or, même si nous avons une croissance soutenue, elle peut entrer en dépression du jour au lendemain en cas de bourrasque financière. On l'a bien vu en 2008, alors que le risque était plus faible contrairement au cocktail potentiellement explosif que nous avons devant nous. Les foyers sont nombreux : l'Italie, les États-Unis, le Japon, la Chine. Mais cela peut aussi venir d'un grain de sable extérieur. Dans la crise de 2008, c'était le crédit hypothécaire dont on avait sous-estimé le risque qu'avait représenté sa titrisation. Un grain de sable qui, en temps normal, serait contrôlable peut donc par contagion déstabiliser la planète financière.

Quel pourrait être ce grain de sable ?

La dette des étudiants aux États-Unis, celle des entreprises d'État en Chine, la stagnation économique au Japon, la récession en Italie. Une Europe déstabilisée par l'Italie se transformera en crise mondiale, parce que l'Asie elle-même sera fragilisée. Il ne faut pas oublier que la crise de 2008 a été une crise transatlantique.

Vous évoquez les États, mais il y a aussi les entreprises...

Elles ont aussi emprunté à bon marché, mais elles ne l'ont pas fait de manière constructive. Si elles ont procédé à de la consolidation, en réduisant le coût de leur dette, en revanche, elles n'ont pas investi et n'ont pas créé d'emplois. Dès lors, à quoi a servi cet endettement ? La majeure partie est due aux rachats d'actions et aux mégaacquisitions. Par exemple, AB InBev a dû emprunter 50 milliards de dollars pour l'acquisition de SABMiller qui lui a coûté 107 milliards de dollars. Or maintenant, les entreprises doivent diminuer leurs actifs pour honorer leur dette, à l'exemple de General Electric qui a racheté ses actions mais n'a pratiquement plus de fonds propres et supporte une dette de 100 milliards de dollars. Quant aux pays émergents, si les gouvernements sont restés modérés avec une dette représentant 40 % de leur PIB, en revanche, leurs entreprises internationales - qui ont emprunté en devises - courent un risque de change important en cas de dépréciation de leur devise nationale, avec à la clé un risque de faillite et de contagion à l'ensemble de l'économie.

Et le risque du côté des États-Unis ?

Donald Trump a mené une politique de relance sur une économie qui était en plein emploi, provoquant une surchauffe. La baisse des impôts n'a eu aucun effet sur la croissance, mais a propulsé les marchés actions au plus haut. Cette politique a finalement eu pour résultat une augmentation de l'endettement, un accroissement du déficit budgétaire et une balance commerciale déficitaire. En outre, les États-Unis ayant des taux supérieurs à ceux de l'Europe, avec un taux à 10 ans à 3 %, contre 0,5 % pour le dix allemand, c'est une distorsion considérable qui pose un problème.

Pourquoi ?

Le taux à 10 ans vous indique le coût d'un investissement, d'une acquisition. C'est aussi l'horizon de référence pour les compagnies d'assurances, les fonds de pension, etc.

Il y a aussi une différence majeure entre le dollar et l'euro, le billet vert reste la monnaie de référence dans le monde ce qui lui donne un avantage comparatif...

Absolument. Sans cela, les États-Unis seraient dans une situation difficile. Et ils continuent d'en profiter. Néanmoins, avec leurs mesures restrictives, leur indiscipline économique, leur protectionnisme, ils sont en train de créer une forte incitation à emprunter en euros plutôt qu'en dollars. En ce moment, le dollar voit son statut de monnaie de référence s'effriter.

D'ailleurs votre livre est un plaidoyer en faveur de l'euro...

Tout à fait, l'euro permet à un marché de 500 millions de personnes et une part de 80 % de PNB européen de travailler avec une monnaie commune. Cela diminue les frais de change, crée une dynamique de croissance à l'intérieur d'une vaste économie. Imaginez la crise, si chaque pays avait gardé sa devise.

La Grèce serait tombée en faillite, l'Italie le serait, l'Espagne aurait trébuché sur sa peseta. Bref, nous serions dans une instabilité financière considérable. L'euro est donc un facteur de croissance et de stabilité. Et c'est une réussite, puisqu'il représente aujourd'hui 30 % des réserves mondiales. Les banques centrales doivent détenir des euros pour faciliter leurs financements. Et ce qui se passe aux États-Unis est une opportunité pour l'Europe qui a fait preuve de courage et d'unité dans le dossier du Brexit, ou dans l'affaire des sanctions à l'égard de l'Iran. Malgré les difficultés, une nouvelle dynamique européenne se développe, même si l'Europe est une symphonie inachevée. Il est nécessaire d'adopter une politique budgétaire commune et une harmonisation fiscale. C'est un chantier compliqué mais l'UE restera inachevée tant que chaque pays choisira sa fiscalité et son taux d'intérêt.

Emmanuel Macron et ses prédécesseurs l'ont proposé, mais ils ont essuyé le refus de l'Allemagne. Comment faire accepter de telles mesures?

Prenons l'image d'un train. Malgré tous les reproches qu'on lui adresse, l'Allemagne est la locomotive qui nous a permis de tenir le cap dans les difficultés et d'éviter le pire en dépit de taux de croissance faibles. Quant à la France, son rôle est essentiel pour indiquer la direction vers laquelle doit aller le train. Et il est important qu'Emmanuel Macron ait fourni une feuille de route pour l'Europe sur laquelle les pays membres peuvent s'accorder. Pour autant, on ne peut pas demander à l'Allemagne de faire des compromis qui remettent en cause sa croissance et sa force économique. Aucun pays n'accepterait cela. Et puis, on omet souvent de dire que les autres membres de l'UE profitent la locomotive allemande.

En quoi, par exemple ?

En matière de stabilité. Grâce à l'Allemagne, notamment ses entreprises, l'Europe s'est considérablement développée en Asie, alors que la France accuse un retard considérable. Aujourd'hui, si j'étais chef d'entreprise, je ne chercherais pas à augmenter mon poids aux États-Unis, voire je le diminuerais, mais j'irais tous azimuts en Asie où vit plus de la moitié de la population mondiale et se réalise la croissance économique mondiale. Ainsi, l'Inde, pays sur lequel je travaille, connaît la plus forte croissance du continent, et je peux témoigner que l'Europe y est mieux reçue que les États-Unis, car elle est considérée comme moins impérialiste. C'est un avantage considérable car tous ces pays asiatiques sont, à différents degrés, nationalistes.

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Les critiques sur l'Allemagne portent sur ses excédents, on lui demande d'investir par exemple dans ses infrastructures...

Les infrastructures en Allemagne ne sont pas moins bonnes qu'en France. En réalité, le rôle que devrait jouer l'Allemagne est celui d'entraîner les entreprises de toute l'Europe. L'excédent de la balance des paiements de la zone euro et même de l'Union européenne par rapport au reste du monde est essentiellement américain, mais certains pays, dont la France, sont déficitaires. Mais cela pose la question sur la façon dont est gérée l'économie française.

Que reprochez-vous?

Il y a d'abord un problème de culture. Étant souvent aux États-Unis, je suis frappé de voir sur TV5 Monde nombre d'émissions qui sont à la gloire du passé, de la royauté, des grands châteaux, des beaux paysages, etc. Il y a une grande complaisance en France quant à son image de grandeur qui ne correspond pas à sa place réelle dans le monde. Cela crée des comportements arrogants qui, quelquefois, compliquent l'obtention du consensus européen.

Le deuxième problème, fondamental, est celui du système d'éducation. Il n'est pas adapté au monde moderne. A la sortie du lycée, les étudiants devraient maîtriser des connaissances en finance, en politique, en géopolitique, sur le climat... Bref, des sujets qui comptent davantage que le passé et permettent d'avoir un meilleur jugement sur le monde. Par exemple, la France n'est pas bilingue. Or, tous les moyens mis pour promouvoir la francophonie ne réussiront jamais à faire du français une langue internationale. C'est bien de connaître l'espagnol et l'allemand, mais l'allemand ne se parle pratiquement nulle part hors du pays, alors que l'anglais vous permet de circuler et de travailler à travers le monde.

Enfin, ce qui me frappe en France, c'est la méfiance à l'égard de la technologie, contrairement à d'autres pays européens, comme l'illustre la faiblesse des réseaux pour accéder à internet.

N'est-ce pas lié à une culture intellectuelle très critique envers la technologie, vue comme une forme d'aliénation...

Je suis moi-même critique à l'égard de certains développements technologiques, mais ce n'est pas une raison pour ne pas disposer des techniques. Il est pénalisant de ne pas en avoir et de ne pas les maîtriser.

Cette critique n'est pas sans révéler une sorte de schizophrénie. On entend un discours alarmiste s'agissant de la lutte contre le réchauffement climatique, mais il n'est pas question pour autant de renoncer à l'usage de la voiture.

Je suis d'accord. Le meilleur exemple en est la COP 21 qui s'est tenue à Paris: la France se veut un modèle, mais elle est en retard par rapport à ce qu'elle doit faire. En ce sens, les Chinois sont plus crédibles que les Français.

Quel regard portez-vous sur le mouvement des "Gilets jaunes" et sur la façon dont Emmanuel Macron gère cette crise?

J'ai un peu suivi le Grand débat. Je suis perplexe mais, dans la culture française, il faut en passer par là pour faire avancer les idées. C'est une approche terriblement intellectuelle. Il est évident que la suppression de l'ISF, qui date du début du mandat, allait donner le sentiment de ne rouler que pour les riches. Comment peut-on commettre de telles erreurs? Certains plaident l'inexpérience... En revanche, je ne comprends pas qu'on en soit à la 20e manifestation. Certes, le droit de manifester existe mais cela ne vous donne pas le droit d'occuper les Champs-Élysées pendant des mois, de casser les vitrines et d'empêcher l'activité des commerces et du tourisme. Aucun pays au monde n'accepterait cela! Un exemple significatif, j'ai un rendez-vous avec un commissaire de la SEC à la Bourse de Londres. Je dois prendre le Talys pour récupérer l'Eurostar à Bruxelles parce que les douaniers français font grève au motif que le Brexit va augmenter leur travail. Or, d'une part, le Brexit n'est pas effectif et, d'autre part, qu'il y ait un Brexit dur ou pas ne change absolument rien puisque la Grande-Bretagne n'est pas dans l'espace Schengen. Ce genre de prise d'otages pose la question de l'autorité en France. Le devoir numéro un d'un État n'est-il pas d'assurer la sécurité des biens et des personnes ? Aux États-Unis, cette situation n'aurait pas duré plus de 3 semaines.

Quelle est votre opinion sur la façon dont se déroule le Brexit?

Le Royaume-Uni l'a très mal géré. Theresa May était elle-même ambivalente puisqu'elle appartenait à un gouvernement qui ne voulait pas du Brexit. En revanche, je tire mon chapeau à Michel Barnier et aux leaders européens pour leur sang-froid, leur intelligence, et aussi leur ouverture d'esprit pour rendre le Brexit le moins difficile possible au Royaume-Uni. Le Brexit, c'est d'abord l'expression d'une crise de leadership politique britannique qui a malheureusement des conséquences pour l'ensemble de l'Europe. Il m'apparaît urgent qu'il se fasse au plus vite pour le retirer des mains des politiciens au profit des acteurs économiques, notamment les entreprises, qui le feront beaucoup mieux, d'autant que le Brexit n'est pas une révolution. Les entreprises britanniques feront payer très cher au parti conservateur la façon dont il a géré cette situation.

Sur le Brexit, les Européens ne se sont pas divisés...

Je dois dire que je me suis trompé. Quand le Brexit l'a emporté, j'avais écrit que ce serait facile pour les Britanniques parce que la possibilité pour les Européens d'avoir un consensus était impensable. Je n'avais pas imaginé alors que l'Europe serait unique et la Grande-Bretagne serait multiple. Personne ne s'y attendait mais dans cette affaire le comportement de l'Europe a grandi son leadership dans le monde.

Et avec le recul, que pensez-vous de la gestion de la crise grecque?

Elle a été très mal gérée. Il a fallu au moins un an pour que l'Europe se rende compte qu'avec une devise comme l'euro, il y avait une obligation de solidarité. Et cela a transformé une crise de 300 milliards d'euros en une crise de 600 milliards d'euros en l'espace de 3 ans, en raison de l'effet boule de neige, des taux d'intérêt à 40%, etc. Cela aurait dû nous amener à nous dire que nous avons besoin d'un mécanisme, le fameux Fonds monétaire européen, afin que l'Europe puisse gérer elle-même des problèmes de ce type. Malheureusement, ce Fonds n'existe toujours pas. Et 10 ans après la crise grecque, on n'a toujours pas mis en place les mécanismes pour gérer la prochaine crise.

Il y a eu tout de même le Mécanisme européen de stabilité ?

Oui, la mobilisation des capitaux est très structurée. Mon problème n'est pas celui-là, c'est celui de la gestion de crise. Pour cela, il nous faut créer un fonds monétaire européen. Si on doit affronter une crise italienne, un tel mécanisme va lourdement manquer.

Dans votre livre, vous mettez l'accent sur la profession de banquier qui, avec la crise de 2008, aurait perdu une certaine culture et éthique. Qu'entendez-vous par là?

Fondamentalement, la banque et la finance ont tourné le dos aux clients. La banque est une industrie de services. Le jour où les traders sont arrivés, leur objectif était la marge de leurs opérations, et c'est là-dessus que les banques faisaient de l'argent. Maintenant, malheureusement, on est entré dans ce que j'appelle une phase de conformité où, finalement, les banquiers se gorgent d'emprunts d'État parce qu'ils ont une réglementation favorable alors qu'ils devraient s'en méfier. Mais comme c'est conforme, on se contente de ce label-là. Quant au problème éthique, c'est celui du rôle de la finance dans la société qui doit contribuer à la croissance, à l'économie, au bien-être des populations.

Elle ne le fait plus aujourd'hui?

Depuis la crise financière, il n'y a pas eu une augmentation des crédits. Visiblement, ce n'est pas son sujet.

La disruption numérique ne rend-elle pas les banques frileuses en remettant en cause leur modèle?

Oui, mais pour autant, elles ne changent pas un élément crucial de la fonction de banquier qui est la gestion du risque d'intermédiaire. Les méthodes de l'intermédiation peuvent changer mais le risque demeure. Si vous faites du court avec du long, si vous faites des devises avec d'autres devises, si vous faites de l'intermédiation entre des dépôts et des prêts, cela reste de la gestion de risque. Or, ce qui est inquiétant c'est qu'en ne parlant que du numérique, on oublie la gestion de risque. Or celui-ci s'est accru, et on ferait bien d'y accorder plus d'attention.

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(*) "La Descente aux enfers de la finance", par Georges Ugeux, préface de Jean-Claude Trichet, Éditions Odile Jacob (mars 2019), 336 pages, 23,90 euros.

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Commentaires 46
à écrit le 29/05/2019 à 15:30
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Ce monsieur passe allègrement sur les raisons profondes de la crise de 2008 et ses incidences sur l'augmentation de la dette des Etats. Bref, un discours convenu des libéraux. Ceci étant, je suis d'accord avec sa vision à l'aube de 2020 sur la crise ...

à écrit le 19/04/2019 à 8:26
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Entretien très intéressant, même quand on ne partage pas la sensibilité de M. Ugeux. Espérons que son avertissement soit lu et écouté en haut lieu, il le mérite.

à écrit le 17/04/2019 à 12:03
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Excellent article très accessible qui devrait permettre un vrai débat : à faire lire aux classes économiques tant qu'il en reste.

à écrit le 17/04/2019 à 1:25
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Bref , Rien de bien neuf!!! ce monsieur écrit un livre ( qu'il vend bien cher ) pour décrire une possibilité bien connue des dérapages du Capitalisme, et/ou une de ses possibles crise de croissance trop gourmande...encore un livre qu'on peut ne pas a...

à écrit le 16/04/2019 à 2:10
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Donc l'auteur nous dit que la crise financière va arriver, et préconise comme remède tous ceux qui nous conduisent justement à ces crises financières à répétition : vente des actifs, libéralisation de l'économie, conservation d'un euro qui déséquilib...

à écrit le 15/04/2019 à 12:31
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Tsunami prévisible dans la finance. On peut constater, qu'en général le monde de la finance est incapable de comprendre les bases marketing concrètes du terrain de l'économie réelle et tout particulièrement quand il s'agit d'exploiter des aspects ...

à écrit le 15/04/2019 à 12:13
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On peut aussi considérer que la crise n'aura pas lieu avant plusieurs années, car les banques centrales semblent décidées à créer de la monnaie en abondance et sans limite, empêchant toute remontée des taux et repoussant le problème à plus tard.....E...

à écrit le 15/04/2019 à 11:32
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"l'euro permet à un marché de 500 millions de personnes et une part de 80 % de PNB européen de travailler avec une monnaie commune. Cela diminue les frais de change, crée une dynamique de croissance à l'intérieur d'une vaste économie" : le problème e...

à écrit le 15/04/2019 à 10:21
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On fait dire n'importe quoi a une situation donnée quand on manipule les causes et les conséquences! On pourrai aussi bien dire que c'est l'existence de l'euro qui est cause de la crise... imposant une politique aux États! Ceux ci n'étant pas propri...

à écrit le 15/04/2019 à 7:58
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Une fois de plus on encense l'euro : "Imaginez la crise, si chaque pays avait gardé sa devise." Oui, imaginons que la Grèce ait gardé sa monnaie et la France le franc... Ces pays auraient-ils continué à emprunter plus que de raison ? Probablement, n...

le 19/04/2019 à 8:30
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Sans l'euro (et les JO à Athènes), il n'y aurait probablement pas eu de crise grecque de cette ampleur.

à écrit le 15/04/2019 à 6:11
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Il est bon de rappeler les evidences, notamment, le niveau de la dette du pays France. Toute creance se doit d'etre payee, un jour ou l'autre. Ceci dit, il est difficile de croire a une "prise de conscience" des decideurs, l'homme est par essence eg...

à écrit le 15/04/2019 à 2:31
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Article de tres bonne qualite. Les evidences citees devraient ouvrir les yeux de bcp de francais enfermes dans leur hexagone. Le mur est desormais tout proche.

à écrit le 14/04/2019 à 13:47
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Un sujet particulièrement censuré dans les commentaires semblerait il! Mais il est vrai que c'est une période difficile pour les médias!

à écrit le 14/04/2019 à 13:46
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Il y a une solution mais l’Europe le fera jamais : C’est comme faire les équipes de foot au mondial , pas à l’aveuglette ou par tirage ... Mais faire trois groupes européens et par niveau de PIB. 1) fondateurs 2) intermédiaire 3) jeune Europe Ai...

à écrit le 14/04/2019 à 13:10
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Quand on vie au dessus des ses moyens il n'y a que 2 solutions : 1 = TU DEVIENS ESCLAVES DE TON CREANCIER ou 2 = TU FAIS FAILLITE ! C'est pas très compliqué, notre choix est le 1 Pas très compliqué !

à écrit le 14/04/2019 à 12:22
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L’auteur nous dit « Imaginez la crise, si chaque pays avait gardé sa devise. La Grèce serait tombée en faillite, l'Italie le serait, l'Espagne aurait trébuché sur sa peseta. Bref, nous serions dans une instabilité financière considérable. L'euro est ...

le 14/04/2019 à 13:05
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100% D'accord ! C'est juste tellement évident, ça fait du bien de vous lire.

le 14/04/2019 à 20:25
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Je suis ravi de lire un commentaire aussi pertinent ! Ça manquait ! L’€ est trop cher pour les pays sud de la zone. Le déséquilibre Target 2 en est témoin. Avec une austérité allemande toute protestante, cela a généré une crise humaine sans commune m...

le 15/04/2019 à 12:31
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@ Aegean Merci pour votre appréciation, il est rare de partager sur le fond. Pour poursuivre sur votre analyse que je partage. L’EURO est à l’origine des problèmes que nous rencontrons et je partage complètement avec vous sur les politiques économiq...

à écrit le 14/04/2019 à 11:37
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À la prochaine crise, notre pays sera balayé. La France n'a aucune marge de manoeuvre contrairement à l'Allemagne. Les politiques n'ont rien fait pour renforcer le pays.

à écrit le 14/04/2019 à 10:11
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Réponse à la troisième question: (...) "à quoi sans tenir" (...) ce serait plutôt "à quoi s'en tenir".

à écrit le 14/04/2019 à 10:03
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Cet expert se trompe sur la procédure pour sortir de la crise massive qui s’annonce.

à écrit le 14/04/2019 à 9:15
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la politique d'argent gratuit pour tous, ca a amene 2008 via les subprimes effectivement on n'a pas appris la lecon, les banques pretent aux etats et aux entrerises/menages pas solvables, sauf qu'on n'a ppelle pas ca subprimes, on appelle ca ' quant...

à écrit le 14/04/2019 à 9:14
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Pas de remise en "cause", ce qui permet de décréter que les "conséquences" n'ont pas suivies! L'UE de Bruxelles et l'euro en sont un exemple!

à écrit le 14/04/2019 à 9:03
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Sans remise en "cause", les "conséquences" sont responsables! On veut nous faire croire qu'il n'y a pas d'autre alternative surtout démocratique!

à écrit le 14/04/2019 à 8:12
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Pas de remise en "cause", ce qui permet de décréter que les "conséquences" n'ont pas suivies! L'UE de Bruxelles et l'euro en sont un exemple!

à écrit le 13/04/2019 à 22:32
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La dernière crise financière a engendré un endettement colossal et une protection des banques au nom de la logique "to big to fail". Certes, elles ont remboursé leurs emprunts mais le coût économique et social de la crise est resté à la charge des Et...

à écrit le 13/04/2019 à 20:35
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Et une histoire belge de plus .

à écrit le 13/04/2019 à 20:30
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Vu que personne ne sait prédire un tremblement de terre et donc un tsunami : Ces propos n'engagent que ceux qui le croient soit NOBODY .Et rendez vous fin 2020. donc personne .

à écrit le 13/04/2019 à 17:45
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Paul Jorion est également pessimiste (Blog), il avance le chiffre de deux voire trois générations. En particulier il rappelle que nous sommes sur une surconsommation de notre planète et cite le chiffre de 1,6. En outre, il pense qu'il faudrait brutal...

à écrit le 13/04/2019 à 17:44
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Vive les crises. Les crises ne sont pas des problèmes mais des solutions aux problèmes pré-existants , vouloir les repousser par des stratagèmes, des fonds monetaires, de soutien, un interventionnisme accru ce n'est que faire gonfler encore le sac a ...

à écrit le 13/04/2019 à 17:17
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Haro sur les conséquences; les causes n'en sont pas responsables! L'exemple type en est l'UE de Bruxelles et l'euro qui ne sont pas "réformable"! C'est elles qui imposent la réforme!

à écrit le 13/04/2019 à 15:26
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Je suis surpris de lire le chapitre concernant la participation des entreprise dans le financement de l'état. Le rôle de l'entreprise n'est pas là. L' état se finance sur l'activité marchande. Le conseil donné par l'auteur n'est pas approprié p...

le 14/04/2019 à 8:34
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S'il n'y avait que cette bêtise à relever dans les dires de cet éminent monsieur...

à écrit le 13/04/2019 à 14:46
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"savent à quoi sans tenir" ça craint...

à écrit le 13/04/2019 à 14:14
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que de pipeau. de la part d'un garçon qui a travaillé pour la finance US, notamment au moment de la gigantesque bulle Internet américaine (poudre aux yeux numérique US que l'on retrouve aujourd'hui...). la France n'est pas un pays de technologie et ...

le 15/04/2019 à 2:36
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A GFX. Ce ne sont pas les stats qui vous aideront quand vous serez force d'admettre la realite du pays France.

à écrit le 13/04/2019 à 12:56
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Pas de remise en "cause", ce qui permet de décréter que les "conséquences" n'ont pas suivies! L'UE de Bruxelles et l'euro en sont un exemple!

à écrit le 13/04/2019 à 12:46
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Merci de casser le morceau sur la France arrogante, tournée vers le passé, avec un système éducatif mal adapté, et technophobe : nos chères élites se gardent bien de le faire. La France où, par exemple, on croit toujours que les robots détruisent de...

le 13/04/2019 à 15:07
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c'est étonnant. sur l'article concernant le record d'intentions d'embauche, tu t'en prends aux déclinistes. et sur cet article, tu dénigres et t'efforces de faire de la désinformation. la France ne s'est pas appauvrie. elle est plus équilibrée/dével...

à écrit le 13/04/2019 à 11:14
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"il faut une harmonisation de la fiscalité", ce qui implique de répartir les charges sociales, chomage et retraites, sur le travail (cotisations sociales) et sur la consommation (TVA sociale ou impot sur l'énergie). Il faut respecter l'équité avec un...

à écrit le 13/04/2019 à 10:19
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LE problème de la finance, à savoir de la rente à savoir gagner beaucoup de fric sans rien foutre c'est que cela aliène les humains et que ceux-ci à force d'entasser dans les paradis fiscaux sont devenus totalement dégénérés pour la plupart. Et l...

à écrit le 13/04/2019 à 9:37
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J'ai arrêté la lecture à sa critique des Gilets jaunes. Ce monsieur ne comprend pas la marche du monde. Son pronostic a donc toutes les chances de ne pas de réaliser.

à écrit le 13/04/2019 à 8:57
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L'auteur oublie d'évoquer le role de l'énergie et surtout de la relation entre cout du travail et prix de l'énergie. Voir la note n°6 du CAE. Qui le comprendra??

le 13/04/2019 à 12:22
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oui bien vu

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