Six idées reçues sur les soft skills

Par Cécile Jarleton et Yannick Petit  |   |  988  mots
(Crédits : DR)
OPINION. Si l'utilisation du terme « soft skills » est relativement récente, ce que désigne ce terme était déjà connu et manié auparavant tant dans les mondes du travail et que dans celui de la recherche, notamment à travers les compétences dites de savoirs-être. Par Cécile Jarleton, doctorante en psychologie du travail pour Le Lab RH ; et Yannick Petit, CEO de Unow.

L'importance de ce concept s'est cependant accrue progressivement depuis une trentaine d'années du fait des mutations profondes qu'ont connues nos économies développées.

Parmi ces mutations, la tertiairisation de l'économie, l'émergence des nouvelles technologies mais aussi l'importance donnée aux relations interpersonnelles entre les salariés mais aussi vis-à-vis des clients. Ces changements ont engendré une demande accrue de compétences émotionnelles, sociales et interpersonnelles (être capable de s'adapter aux émotions d'autrui, de s'identifier à lui, de communiquer sans contrarier, d'influencer...), ainsi que des compétences cognitives élaborées (capacité à résoudre des problèmes, à établir des diagnostics ...), le tout étant désigné par le terme « soft skills ».

Encore mal identifiées, l'intérêt grandissant pour ces compétences ayant trait à l'humain se double de croyances et de contre-vérités. L'occasion de réaliser un tour d'horizon des principales idées reçues sur les soft skills pour mieux les combattre.

« Je n'ai besoin d'aucune connaissance spécifique pour développer mes soft skills »

Les softs skills, comme d'autres compétences, requièrent parfois des connaissances. En effet, être compétent revient à mobiliser et combiner des ressources (dont des connaissances) afin d'effectuer une tâche précise et en vue de produire une performance. Ces connaissances peuvent être d'ordre purement théorique mais ont aussi trait à la connaissance de soi et des autres. Prenons l'exemple de la gestion du stress. Si on peut intuitivement penser qu'il s'agit d'une compétence de type savoir-faire ou savoir-être, elle nécessite pourtant de connaissances. En effet, le fait de savoir que le stress correspond à un faible niveau de peur et que la peur est une émotion nécessaire à la survie de l'être humain (afin d'anticiper les dangers et se défendre le cas échéant) est une connaissance en soi. Aussi, le fait d'avoir connaissance des mécanismes neurologiques sous-jacents au stress peut contribuer à en améliorer sa gestion. Il en va de même pour d'autres émotions telles que la colère, la tristesse, la joie, ou encore le dégoût.

« Je suis extraverti(e), cela fait partie de mes soft skills »

Tout comme la stabilité émotionnelle, la bienveillance, la conscience et l'ouverture d'esprit, l'extraversion n'est pas une soft skill mais un trait de personnalité. Or, les traits de personnalité sont innés et stables dans le temps. À ce titre, ils ne sont pas liés à la performance des individus et il convient donc de les respecter et de les accepter comme un facteur de diversité au sein d'une entreprise.

« En développant ma motivation et mon engagement, je sollicite mes soft skills »

Puisqu'il s'agit d'un état de l'individu à un moment donné ou encore du lien entre un individu et son travail à un instant t, la motivation et l'engagement ne sont pas des soft skills. La motivation décrit les forces internes et/ou externes produisant le déclenchement, la direction, l'intensité et la persistance du comportement. L'engagement est, quant à lui, le pont qui relie l'individu à ses actes comportementaux. Ces concepts dépendent des circonstances, de la personne, de la période et du but à atteindre. Tout comme le bien-être et la satisfaction au travail, il ne s'agit donc pas de compétences mais d'états.

« Je me sens qualifié(e) pour cette mission, mais cela ne fait pas appel à une soft skill »

Se sentir capable de performance vis-à-vis de ses tâches relève du sentiment d'efficacité personnelle (ou d'auto-efficacité) et contribue à déterminer les choix d'activité et d'environnement, l'investissement du sujet dans la poursuite des buts qu'il s'est lui-même fixés, ou encore la persistance de son effort et les réactions émotionnelles qu'il va éprouver dans le cas où il rencontre des obstacles. Le fait de se sentir qualifié(e) et capable de mener à bien une mission peut tout à fait être considéré comme une soft skill.

« L'avenir de l'être humain face aux robots et à l'intelligence artificielle réside dans les soft skills »

Il est vrai que les soft skills, étant souvent vues comme l'apanage des êtres humains, semblent nous prémunir du « remplacement » et de la disparition de certaines missions au profit d'une force de travail non-humaine. Cependant, si la gestion du stress, par exemple, est une compétence fondamentalement humaine, certaines compétences telles que la résolution de problèmes complexes sont d'ores et déjà développées par l'intelligence artificielle (via le deep learning). Il en va de même pour les compétences émotionnelles et interpersonnelles, ou encore pour la créativité.

Et les exemples ne manquent pas ! La peluche bébé phoque robotisée PARO, créé pour donner un support émotionnel aux personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer, est capable d'analyser les émotions des personnes et d'en manifester en retour. Ellie, le premier psychologue virtuel, est quant à lui capable de décrypter le langage corporel d'une personne en analysant ses expressions faciales et gestes ainsi que l'inflexion et l'intonation de sa voix. Enfin, le programme Flow Machines est capable de composer lui-même des titres musicaux. Autant d'innovations prouvant que les machines peuvent parfois être dotées, elles aussi, de soft skills.

« Pas besoin de travailler sur mes soft skills, de toute façon on ne peut pas les évaluer ! »

Les soft skills sont évidemment évaluables. La recherche en sciences sociales fournit d'ailleurs un certain nombre d'outils de mesure et d'évaluation éprouvés et scientifiquement fiables. Ces outils, prenant la forme de questionnaires, sont utilisés depuis des décennies par les chercheurs. À titre d'exemple, pas moins de quatre questionnaires visant à mesurer les compétences émotionnelles ont déjà fait l'objet de publications scientifiques. Or, en raison de la différence des enjeux et des domaines d'application et du manque de dialogue entre les domaines académiques et professionnels, ils ne sont toujours pas largement utilisés au sein des entreprises pour évaluer les soft skills.