Taxe carbone : ne nous trompons pas de débat

Par B. Peyrol, B. Leguet et C. Robert  |   |  871  mots
Bénédicte Peyrol, députée LREM, Benoît Leguet, directeur général d'I4CE (Institute for Climate Economics, le think tank sur l'économie de la transition), et Christophe Robert, de la Fondation Abbé-Pierre (FAP). (Crédits : DR)
[OPINION] La taxe carbone n'est acceptable par les citoyens que si elle est perçue comme juste, et efficace d'un point de vue économique et environnemental. Or, en France, alors que l'augmentation de cette taxe commence à susciter nombre d'oppositions, l'indispensable effort de pédagogie sur l'usage des recettes n'est toujours pas fait. Par Bénédicte Peyrol (députée LREM), Benoît Leguet (I4CE), et Christophe Robert (FAP)*.

Après plusieurs échecs, c'est sans grande polémique, sans grande communication gouvernementale que la France a adopté en 2014 une taxe carbone. Et jusqu'à aujourd'hui, cette taxe ne faisait pas débat, ou si peu.

C'était surprenant. Car l'expérience d'autres pays montre que, pour être acceptée, les citoyens doivent être bien informés de ce que le gouvernement fait des revenus issus de cette fiscalité d'un nouveau genre. Et pourtant, tel n'est pas le cas en France.

La taxe carbone n'est acceptable que si elle est perçue comme juste, et efficace d'un point de vue économique et bien entendu environnemental. Les études académiques montrent par exemple qu'utiliser les recettes pour investir dans des projets environnementaux permet d'augmenter l'acceptabilité d'une taxe dont le caractère incitatif est souvent mal compris.

Utilisation des recettes: à chaque pays de trouver le bon consensus

Mais une telle taxe peut également permettre de réduire les taxes sur le revenu ou le travail comme cela a été le cas en Suède dans le cadre d'une grande réforme fiscale. Les pays ou provinces qui ont réussi à instaurer une taxe carbone ambitieuse ont utilisé ses recettes de manières très différentes : la Colombie Britannique a panaché des baisses de taxe avec quelques transferts monétaires directs pour ses citoyens les plus modestes ; la Suisse a fait de même tout en dédiant un tiers des recettes à la réduction des émissions des bâtiments. Au niveau mondial, c'est près de la moitié des recettes carbone qui sont utilisées pour investir dans des infrastructures qui favorisent un développement sobre en carbone.

Les choix d'utilisation des recettes sont importants pour rendre une taxe carbone acceptable, mais c'est à chaque pays de trouver un consensus, un équilibre politique propre à sa situation. Il n'y a pas de solution miracle. Ce qui est clair, par contre, est que les citoyens doivent être consultés en amont sur l'utilisation de ses recettes, le gouvernement doit communiquer clairement ses choix et leur rendre régulièrement des comptes. A l'image de la Colombie-Britannique, dont le ministre des Finances avait conditionné 15% de sa rémunération au fait que l'ensemble de recettes soient redistribuées aux entreprises et aux citoyens.

En France, l'absence de débat laisse la place libre aux multiples craintes

A l'opposé, en France, la taxe carbone et l'usage fait de ses recettes - en grande partie pour baisser les prélèvements sur le travail et soutenir les énergies renouvelables - sortent rarement d'une niche d'experts et de parlementaires. Sans faire polémique. Mais la donne est en train de changer avec la hausse de cette taxe. Son impact n'est plus marginal dans le prix des carburants à la pompe. Et les revenus qu'elle génère sont conséquents : près de 7 milliards en 2017. Ce n'est que le début, la taxe devrait doubler d'ici la fin du quinquennat.

Il n'est donc pas surprenant de voir les oppositions se multiplier. Avec des craintes - compréhensibles - allant du « tout ça c'est pour augmenter les taxes sous couvert d'écologie » à « cela pénalise les territoires ruraux et les ménages modestes ». Le peu d'information sur la taxe carbone à sa création a facilité sa naissance, mais il met à présent en danger sa croissance.

Vers une taxe carbone qui ne punit pas, mais soutient

Il n'est pas trop tard pour changer cela, et nous devons le faire car nous avons besoin de la taxe carbone pour orienter les choix des ménages et des entreprises. Le gouvernement se doit de communiquer plus clairement et de rendre compte régulièrement de ce qu'il fait des recettes actuelles. Mais mieux communiquer sur l'existant ne serait pas suffisant. La responsabilité du gouvernement, celle des parlementaires, des responsables politiques, de la société civile, est de faire des propositions et de débattre ouvertement des différentes options pour utiliser les futurs milliards de la taxe carbone.

Notre conviction est qu'une partie de ces recettes doit permettre de mieux accompagner les territoires et les citoyens, en particulier les plus modestes, dans la transition énergétique, par exemple à travers le « chèque énergie » ou l'aide à la rénovation des passoires thermiques. Une taxe carbone qui ne punit pas mais soutient ceux qui en ont besoin. Mais - même entre nous - nous ne sommes pas nécessairement d'accord sur les montants et les modalités de cet accompagnement. C'est pourquoi nous souhaitons en débattre, c'est pourquoi nous espérons que le gouvernement ouvre un espace politique, organise une concertation large et transparente.

Osons parler d'un Grenelle des recettes carbone, qui nous permettrait de dépasser l'alternative « pour ou contre la taxe carbone », et de nous recentrer sur le débat qui compte vraiment : que faire de ses recettes ? Ce serait, à n'en pas douter, un débat plus utile pour la France et les Français. Ne nous trompons pas de débat.

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(*) Par Bénédicte Peyrol, députée LREM, Benoît Leguet, directeur général d'I4CE (Institute for Climate Economics, le think tank sur l'économie de la transition), et Christophe Robert, de la Fondation Abbé-Pierre (FAP).