Transition numérique : les cinq étapes du déni

A chacune des cinq étapes de la transition numérique d'une filière,il y a de bonnes raisons de se dire "jusqu'ici, tout va bien". Par Nicolas Colin, fondateur de "The Family"

La transition numérique affecte moins les entreprises que les filières. Une filière, rappelons-le, est un ensemble d'entreprises qui travaillent ensemble tout au long d'une chaîne de valeur. Elles sont comme des engrenages qui s'engrènent parfaitement, liées par une culture et des procédures installées et optimisées pendant plusieurs décennies.

Chaque maillon d'une filière correspond à un secteur : des entreprises qui exercent la même activité et se partagent les parts d'un même marché (B2B en amont, B2C en aval). L'édition est un secteur, la librairie est un secteur : toutes les deux appartiennent à la filière du livre. La grande distribution est un secteur, qui appartient à plusieurs filières mais s'inscrit de façon privilégiée dans celle de l'agro-alimentaire. La banque de détail est un secteur, un maillon parmi d'autres de la filière financière. Les chauffeurs de taxi forment un secteur clef de la filière du transport individuel.

Au sein d'une même filière, les secteurs s'engrènent parfaitement les uns dans les autres pour servir des marchés de masse.

Pourquoi la transition numérique affecte-t-elle moins les entreprises que les filières ? Parce que l'activité d'une entreprise n'est pas fondamentalement modifiée par la transition numérique de sa filière : une maison d'édition continue d'éditer ; un libraire, de vendre des livres ; un grand distributeur, de vendre des produits alimentaires ; une banque de détail, de collecter l'épargne et d'accorder des crédits à des particuliers ; un chauffeur de taxi, de conduire ses clients. En revanche, deux choses changent — radicalement :

  • la première, ce sont les relations entre maillons de la filière : à mesure des progrès de la transition numérique de la filière du livre, les relations qu'entretiennent les libraires et les éditeurs ne sont plus les mêmes. Une entreprise numérique s'est immiscée dans la filière : Amazon. Les engrenages commencent à moins bien s'engrener ;
  • la deuxième chose qui change, c'est la répartition de la valeur entre les différents maillons. Même si tous continuent à exercer la même activité, tous doivent céder une partie de leur marge aux nouveaux entrants, les entreprises numériques. La transition numérique déforme la chaîne de valeur et redistribue la valeur entre les entreprises en place, dont l'activité reste inchangée, et les entreprises numériques, qui s'immiscent dans la filière, y déploient de nouveaux modèles d'affaires et y captent une part croissante de la valeur.

Bien sûr, ce n'est pas parce que la transition numérique n'affecte pas les entreprises que celles-ci ne doivent pas changer. Mais il faut être conscient de la nature de ce changement : l'enjeu n'est pas de transformer son organisation ou sa gestion des ressources humaines, mais de redéployer ses ressources pour prendre une position dans la filière, souvent loin de son coeur de métier. Si l'enjeu est de préserver sa quote-part de la valeur, alors l'enjeu est moins la transformation interne que le redéploiement. Il s'agit de préempter les positions vers lesquelles la valeur se déplace du fait de la transition numérique.

Notre étude "La transition numérique au coeur de la stratégie d'entreprise", à télécharger ICI.

Toujours de bonnes raisons de penser que rien ne doit changer

Le problème, pour les entreprises en place, est qu'à chaque étape de la transition numérique, il y a toujours de bonnes raisons de considérer que rien ne doit changer. TheFamily a publié une étude de place intitulée La transition numérique au coeur de la stratégie d'entreprise, en partenariat avec le Groupe Caisse des Dépôts et le Groupe La Poste, qui décompose la transition numérique d'une filière en cinq étapes. Plusieurs mois après, il est temps d'affiner la représentation graphique de ces cinq étapes et expliciter les formules de déni qu'opposent les entreprises en place à chacune de ces étapes.

Avant la transition numérique

Avant d'entamer sa transition numérique, une filière est toujours structurée plus ou moins de la même façon. (A ce sujet, lisez cet autre billet.)

En amont, un maillon banalisé  — les entreprises sont de petite taille, sans cesse mises en concurrences, forcées de baisser leurs prix et donc captant une faible quote-part de la valeur. Songez aux auteurs dans la filière du livre, aux équipementiers dans la filière automobile ou aux entreprises de construction dans la filière du bâtiment.

Bruce Henderson, légendaire fondateur du Boston Consulting Group, a édicté la "rule of three and four".

Au milieu, un maillon fort  — quelques entreprises, devenues grandes, ont combiné plusieurs activités de façon à créer un goulet d'étranglement dans la chaîne de valeur. Ensemble, elles captent l'essentiel de la valeur de la filière et se font concurrence sur un marché très concentré. Comme l'avait observé Bruce Henderson avec la "rule of three and four", trois entreprises placent le marché en situation d'oligopole et la première n'est pas plus de quatre fois plus grande que la troisième. Il s'agit des groupes d'édition dans la filière du livre, des constructeurs automobiles dans la filière automobile, des centraux de réservation dans la filière du taxi ou des promoteurs immobiliers dans celle du bâtiment.

Une filière traditionnelle, dominée par son maillon intermédiaire (oligopolistique) et servant une masse de clients finaux de façon indifférenciée.

En aval, un maillon asservi, dont la fonction ne consiste qu'à vendre au client final dans des conditions largement prescrites par les entreprises qui dominent la filière un peu plus en amont. A l'image des agents d'assurance, des concessionnaires automobiles ou des chauffeurs de taxi affiliés à un central de réservation, les entreprises de l'aval ne distribuent les produits que d'une seule marque. Ou encore, à l'image des cafés et restaurants, elles sont dépendantes de circuits de distribution amont dont les conditions (en particulier les tarifs) ne sont pas négociables. Enfin, comme les libraires, elles sont parfois dans l'impossibilité de moduler le prix des produits vendus. Ces entreprises ne sont donc pas des commerçants mais des passe-plats : comment peut-on prétendre faire du commerce quand on ne dispose d'aucune autonomie, ni sur l'achat ni sur la vente ?

Dans une filière traditionnelle, les clients finaux sont tous traités de la même manière. C'est le propre de l'économie de masse que d'imposer le même produit aux mêmes conditions à tous les clients — et pour ceux qui ne sont pas contents, eh bien c'est le même prix ! Il fallait cela pour faire grandir des entreprises de production de masse : c'est en écoulant de longues séries de produits standardisés sur des marchés de débouchés sécurisés par le système bancaire et la protection sociale qu'elles ont pu atteindre leur maturité et créer plus de valeur ajouté.

Bien sûr, il existe des exceptions à cette modélisation des filières traditionnelles : certaines d'entre elles ont une valeur plus concentrée en amont (l'énergie), d'autres sont plus concentrées en aval (l'agro-alimentaire). Mais trois éléments sont présents dans toutes les filières avant leur transition numérique : i) la maturité et la rigidité des relations entre les différents maillons, ii) la captation de la valeur par le maillon fort, structuré en oligopole et iii) le traitement de masse réservé aux clients finaux (sauf dans la filière du luxe).

Etape 1 — L'irruption numérique

 La première étape de la transition numérique d'une filière s'intitule l'irruption numérique. Elle est marquée par un double bouillonnement : celui des cabinets de conseil et agences de toutes sortes, qui commencent à démarcher leurs clients pour leur vendre du "conseil en transformation digitale" (sic) ; celui, aussi, des entrepreneurs, qui commencent à créer des startups à tous les niveaux de la chaîne de valeur pour essayer de déployer de nouveaux modèles d'affaires partout dans la filière.

L'irruption numérique n'est qu'un bouillonnement à peine perceptible, sans impact sur la filière.

L'irruption numérique n'a aucune conséquence sur la filière. Les entreprises restent parfaitement engrenées les unes dans les autres. Personne ne se sent trop concerné par ce bouillonnement indifférencié, à peine perceptible. A cette étape, la formule du déni relève de l'indifférence : "Nous ne sommes pas concernés". La transition numérique de la filière est un objet intellectuel, un sujet de conversation, une mission de consultant — mais elle n'a aucune conséquence sur la conduite des opérations ou la stratégie des acteurs.

Le déni, étape 1 = "Nous ne sommes pas concernés"

En phase d'irruption numérique, des entreprises numériques commencent à apparaître dans tous les secteurs. La pointe signifie la personnalisation de l'offre.

Sur le schéma ci-contre, les startups sont représentées par des pointes parfaitement affûtées. La différence majeure entre une entreprise traditionnelle et une entreprise numérique est en effet la suivante : la seconde cherche systématiquement à servir son client de façon personnalisée, en épousant et en devançant même ses moindres besoins, tandis que la première ne sait les servir que de façon standardisée, conformément au paradigme de l'économie de masse. A cette étape précoce, il est trop tôt pour que les individus prennent conscience du fait qu'ils peuvent être servis de façon personnalisée : ils restent tous sur la même ligne, passifs et même résignés — des clients indifférenciés aux yeux des entreprises de la filière.

Etape 2 — L'éveil de la multitude

 L'étape suivante se caractérise par l'éveil de la multitude. Parmi les nombreuses startups qui se sont lancées en ordre dispersé à l'assaut de la filière, certaines commencent à rencontrer leurs premiers utilisateurs. Le bouillonnement des startups n'est plus indifférencié : de plus gros bouillons commencent à se former là où s'éveille la multitude.

La multitude s'éveille généralement en aval de la chaîne de valeur, sur les marchés grand public, plutôt qu'entre les maillons intermédiaires, où les relations d'entreprise à entreprise sont plus difficiles à défaire. Ce n'est pas un hasard si la plupart des grandes entreprises numériques se sont amorcées et ont grandi sur des marchés B2C : comparativement aux entreprises, les particuliers sont à la fois plus accueillants à l'innovation (les décisions d'achat ne sont pas bureaucratiques) et plus nombreux (ce qui permet d'exercer de plus puissants effets de réseau).

Lorsque la multitude s'éveille, les entreprises en place ne peuvent plus exprimer la même indifférence qu'à l'étape précédente. La traction de quelques startups montre bien que la transition numérique de la filière est engagée. A ce stade, les cabinets de conseil et autres agences ont d'ailleurs redoublé d'efforts, à tel point que toutes les entreprises en place ont lancé en leur sein diverses initiatives qui contribuent à les rassurer : "Nous le faisons déjà". On trouve ici ou là un projet pilote, une direction de l'innovation, un incubateur interne, un produit innovant expérimenté sur un marché lointain, une application mobile, une campagne de marketing viral.

Le déni, étape 2 = "Nous le faisons déjà"

Lorsque la multitude s'éveille, certaines entreprises numériques rentrent en phase de croissance et commencent à déformer la filière en aval.

Dès l'étape 2, la transition numérique commence à déformer la filière. Les entreprises de l'aval, incapables de résister du fait de leur asservissement, commencent à s'affaiblir (les libraires face à Amazon, les chauffeurs de taxi face à Uber). Alors que la multitude s'éveille, les clients finaux cessent d'être une clientèle ou une audience et affirment leur individualité. Ils commencent à réagir et à exiger d'être mieux servis : de moins en moins soumis aux entreprises de la filière, ils interagissent entre eux, se coordonnent, échangent des informations, s'allient contre les entreprises qui les servent mal ; insatisfaits d'être indifférenciés et placés sur la même ligne, ils exigent d'être écoutés, reconnus et servis de façon personnalisée. Aiguillonnée par les entreprises numériques en pleine traction, la masse des clients finaux commence à devenir une multitude. Comme l'avaient prédit les auteurs du légendaire Cluetrain Manifesto, l'économie numérique marginalise les organisations par rapport aux individus et accélère la prise du pouvoir par le consommateur.

Etape 3 — Le rapport de force

 La troisième étape (sur cinq) de la transition numérique se caractérise par l'apparition brutale d'un rapport de force entre les entreprises traditionnelles, habituées à travailler entre elles d'une façon routinière, et les entreprises numériques, qui sont les nouveaux entrants dans la filière. A cette étape, certaines entreprises numériques ont crû de façon si spectaculaire en aval qu'elles commencent à grignoter les marges des entreprises qui dominent le milieu de la chaîne de valeur. C'est le "moment Napster", celui où les puissantes entreprises en place nourrissent encore l'espoir de neutraliser les nouveaux entrants et d'interrompre la transition numérique en cours.

La déformation de la filière provoque une réaction des entreprises en place : elles dénoncent la "concurrence déloyale" et entament un bras de fer avec les entreprises numériques, souvent sur le terrain réglementaire.

Tant que la transition numérique n'affectait que les petites entreprises de l'aval (les libraires, les concessionnaires, les chauffeurs de taxis, les agents d'assurance), la transition numérique ne méritait pas un rapport de force. Mais si les marges des grandes entreprises qui dominent la filière commencent à être affectées, alors il faut commencer à résister. En général, la manière la plus spontanée de résister consiste à se dire que la transition numérique peut encore être contenue. A l'étape 3, la formule du déni nous est très familière : "Allons voir le Ministre". De nouvelles dispositions législatives ou réglementaires, voire la mise en garde de vue de chauffeurs UberPoP, suffiront à rétablir l'ordre et à faire cesser cette "concurrence déloyale".

Le déni, étape 3 = "Allons voir le Ministre"

Lorsqu'une entreprise numérique atteint la taille critique, un rapport de force s'établit avec les entreprises en place — durci sous la pression des individus, qui s'affirment en multitude.

L'établissement du rapport de force est la conséquence d'un bouleversement systémique. La masse des clients finaux est devenue multitude. L'individu n'est plus seul, mais systématiquement entouré de pairs qui l'assistent dans ses décisions d'achat et élèvent son niveau d'exigence. Désormais habituée à être servie au plus haut niveau de qualité par les entreprises numériques, la multitude commence à exercer une pression irrésistible sur l'aval de la filière. Les entreprises numériques alliées à la multitude exercent de si puissants effets de réseau qu'elles rognent une part significative des marges des entreprises traditionnelles habituées à dominer la filière. Certaines des entreprises de l'amont disparaissent, incapables d'encaisser ce choc. Les autres commencent à se replier en essayant de résister à cette pression venue de l'aval. Rien n'est encore perdu : après tout, il ne s'agit que de vulgaires startups et ces grandes entreprises, si résilientes, en ont vu d'autres.

Etape 4 — L'arrivée des géants

 Le sentiment que rien n'est perdu disparaît à l'étape 4 : d'un seul coup, ce n'est pas seulement à des startups que les entreprises traditionnelles ont affaire, mais à des géants de l'économie numérique. Dans certains cas, la startup qui est parvenue à prendre une solide position en aval est rachetée par Google : du jour au lendemain, ce n'est plus YouTube, petite startup créée par Steve Chen et Chad Hurley, que les entreprises de la filière audiovisuelle ont en face d'elles, mais Google, aujourd'hui la deuxième entreprise du monde en termes de capitalisation boursière, et dont la puissance financière, industrielle et d'influence est sans égale. Dans d'autres cas, la croissance de la startup est telle qu'elle devient elle-même un géant : tel est le cas d'Uber, créée en 2009 et qui a levé depuis lors près de 4,5 milliards de dollars pour financer sa croissance. Uber est un géant surgi de nulle part en seulement... cinq ans !

Le projet de fusion entre Publicis et Omnicom visait à "survivre face aux géants du numérique".

Le rapport de force se retourne donc et inspire aux entreprises une quatrième formule de déni : "Achetons notre principal concurrent". Les entreprises en place qui demeurent, forcément les plus puissantes, cherchent à consolider leur position en orchestrant des fusions et acquisitions : ce faisant, elles espèrent atteindre la taille critique nécessaire pour pouvoir résister à la pression exercée par les entreprises numériques alliées à la multitude. C'est suivant cette logique que le nombre des majors de la musique est passé de cinq à trois (Sony a racheté BMG, puis Universal a racheté EMI) ou que Maurice Lévy et John Wren ont conçu le projet (avorté) de fusion entre Publicis et Omnicom.

Le déni, étape 4 = "Achetons notre principal concurrent"

A l'étape 4, le rapport de force se renverse et devient favorable aux entreprises numériques, devenues des géants.

A l'étape 4 de la transition numérique d'une filière, le secteur constituant historiquement le maillon fort se concentre d'une manière spectaculaire. Seules quelques grandes entreprises, les plus résilientes, parviennent à rester en vie. Elles compensent la baisse de leurs marges par la recherche de la taille critique et de douloureux efforts d'optimisation : à mesure qu'on serre les boulons à tous les étages, les emplois sont détruits en masse — songez aux licenciements massifs dans les secteurs de la presse ou des maisons de disques. Mais rien n'y fait : grâce aux effets de réseau qu'elle exerce, l'entreprise numérique sortie du lot en aval de la filière a fini par s'installer en position dominante. Elle contrôle désormais l'accès à la multitude et opère pour les utilisateurs de ses applications une expérience sans cesse plus fluide et plus personnalisée.

Etape 5 — La remontée de la chaîne

 A ce stade de la transition numérique, l'entreprise numérique dominante se fait l'écho des attentes des utilisateurs : ils veulent mieux, moins cher, sans cesse renouvelé, toujours plus simple, fluide, stimulant, personnalisé. Les entreprises en place, repliées sur l'amont de la filière, font la sourde oreille : "Nous ne changerons rien et continuerons de faire comme nous avons toujours fait. Même si les téléspectateurs souhaitent regarder tous les épisodes d'une série d'un coup (binge watching), nous continuerons de les diffuser au rythme frustrant d'un épisode par semaine. Et les clients des taxis commandés à l'avance auront toujours une course d'approche au compteur + nous ne prenons pas la carte bleue. Si vous n'êtes pas contents, c'est le même prix."

Lorsque la transition numérique est avancée, une impatience se fait jour : impatience des clients, lassés d'être mal servis ; impatience des entreprises numériques, qui décident de prendre les choses en main.

A cette étape, la formule du déni est empreinte à la fois d'arrogance et de désespoir : "De toutes façons, on aura toujours besoin de nous". Toujours besoin des cinéastes pour tourner des films ; toujours besoin des journalistes pour couvrir l'actualité de manière impartiale ; toujours besoin de la SNCF pour faire rouler les trains ; toujours besoin de L'Oréal pour fabriquer des crèmes et des onguents ; toujours besoin des constructeurs automobiles traditionnels pour assembler des voitures. Jusqu'au terme de la transition numérique, il y a toujours de bonnes raisons de nier que celle-ci à l'oeuvre — et qu'elle va, en réalité, disloquer la filière. La seule manière de s'en sortir, pour les entreprises en place, sera de redéployer leur modèle d'affaires et de reprendre des positions là où tout se joue : en aval de la chaîne de valeur, auprès de la multitude.

Le déni, étape 5 = "De toutes façons, on
aura toujours besoin de nous"

L'étape 5 correspond à la maturité numérique de la filière. Celle-ci est dominée par une entreprise numérique, qui a forgé une alliance avec la multitude. Les entreprises traditionnelles, repliées en amont, sont banalisées.

L'étape 5 s'appelle "remontée de la chaîne" car c'est à ce stade que les entreprises numériques, qui dominent la filière en aval, montrent des signes d'impatience et décident d'évincer de la filière les entreprises traditionnelles qui refusent de changer. C'est par impatience et pour prouver qu'on peut faire mieux et moins cher que Netflix commence à produire des séries, qu'Amazon lance une activité d'édition, que Tesla a appris à construire des voitures, que Google commence à déployer de la fibre à Kansas City et à Austin. L'entreprise numérique venue de l'aval capte une part croissante de la valeur et force les entreprises traditionnelles à serrer les boulons se replier toujours plus en amont de la filière.

Au terme de la transition numérique, la concurrence change de nature : non plus pour conquérir des parts de marché, mais pour déployer autour des utilisateurs une boucle de valeur.

Au terme de la transition numérique, la concurrence s'est déplacée et a changé de nature. Nous ne sommes plus dans le paradigme de l'économie de masse, où les entreprises se faisaient concurrence au sein d'un secteur pour se répartir les parts d'un marché. Dans le paradigme de l'économie numérique, les entreprises se font concurrence pour capter la ressource stratégique qui leur permet de continuer à croître : la multitude. Capter cette ressource consiste à déployer autour des individus une boucle de valeur, "où tout prend place dans un tout cohérent, entièrement pensé autour de la qualité de l'expérience utilisateur, et où la valeur d'ensemble est difficile à segmenter". Dans cette boucle de valeur, théorisée par Henri Verdier puis récemment reprise par Bassem Asseh (directeur EMEA de GitHub), l'utilisateur est comme enveloppé, cajolé, dissuadé de regarder ailleurs et de céder aux sirènes des autres entreprises numériques. On devine dans cette boucle de valeur la supériorité du logiciel, annoncée par Marc Andreessen et revendiquée par des entreprises comme Twilio.

Les entreprises numériques qui parviennent à déployer une boucle de valeur s'en servent pour capter les ressources que recèle la multitude et les valoriser dans leur modèle d'affaires.

En d'autres termes, il ne s'agit plus de se disputer les parts d'un marché mais de contrôler les 24 heures de la journée d'un utilisateur — ou les 5 pouces de l'écran de son smartphone. La puissance des entreprises se mesure désormais au périmètre de l'expérience qu'elles créent pour leurs clients, à la solidité de la boucle de valeur qu'elles déploient autour d'eux. Cette boucle de valeur est à la fois un pacte d'alliance avec les clients ("Puisque je trouve ici tout ce dont j'ai besoin, je ne vais pas voir ailleurs") et une manière de capter toutes les ressources que recèlent la multitude (des informations, des données, des services, des biens, des capitaux), en évinçant les autres entreprises numériques qui (très affûtées elles aussi après qu'elles ont disloqué d'autres filières) cherchent à rentrer dans ce périmètre privilégié.

Bien que pièce maîtresse du modèle d'affaires des entreprises numériques, la multitude n'est pas un actif : elle ne peut faire l'objet d'un titre de propriété ni ne peut être valorisée dans un bilan. En revanche, la boucle de valeur déployée pour faire alliance avec cette multitude est probablement la meilleure manière d'objectiver la valeur et la puissance des entreprises numériques qui dominent aujourd'hui l'économie globale.

 lien vers l'article: https://medium.com/welcome-to-thefamily/les-cinq-%C3%A9tapes-du-d%C3%A9ni-a7a06072c9fc

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Commentaires 14
à écrit le 11/05/2015 à 20:33
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Je constate que beaucoup de personnes amalgament des domaines divers : le numérique dans la société vise avant tout l'atteinte du point optimal dans tous les domaines de la société. En effet, le consommateur est plus avisé, mieux averti, informé plus...

à écrit le 13/04/2015 à 14:35
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Et le gagnant sera celui qui manie le mieux " l'optimisation " fiscale.

à écrit le 13/04/2015 à 13:05
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On ne doit pas vivre dans le même monde. Je constate jour après jour l'augmentation des rentes obligatoires, publiques comme privées. L'expression du "pouvoir consommateur" est une rigolade. Essayez par exemple d'obtenir des informations fiables et o...

le 13/04/2015 à 15:03
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Bonjour, Effectivement, vous voyez le verre à moitié vide plutôt qu'à moitié plein. Quel besoin avez vous de connaitre la qualité du courant que vous recevez du moment ou vous êtes un particulier et qu'il suffit de vous équiper d'un onduleur pour qu...

le 13/04/2015 à 15:04
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On peut aller plus loin. Il existe une maladie, bien française, très répandue dans des entreprises très "numériques", qui se manifeste de la façon suivante: il est IMPOSSIBLE de communiquer avec elles par voie numérique. L'écrit au "service client" s...

le 13/04/2015 à 15:06
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Je tenais à m'excuser pour mes fautes d'orthographes et de grammaire sur mon commentaire précédent, je ne me suis pas relu. C'est inexcusable de ma part.

le 13/04/2015 à 16:05
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Vous avez raison, sauf qu'il s'agit de paramètres déterminants quant à la signature du contrat. Vous répondez d'ailleurs systématiquement à côté. Je me moque par exemple de savoir ce qui est ciblé, cela repose sur l'affirmation péremptoire d'une autr...

le 13/04/2015 à 19:44
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@légère distorsion spatio temporelle... : Je comprends parfaitement votre propos, que je n'avais pas saisi lors de votre premier commentaire. Il est effectivement vrai qu'il y a une maladie généralisée en France qui consiste à mettre des clauses abu...

le 14/04/2015 à 3:38
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Une solution serait non pas de fonder une VIème, qui à mon avis ne verra pas le jour de sitôt, l'UE aura entre temps réduit les états-nations à des chapelles néo-féodales appelées régions, mais de pousser des initiatives de type plateforme collaborat...

le 14/04/2015 à 14:05
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@légère distorsion spatio temporelle... : Ce changement de paradigme est en cours depuis l'avènement des grosses firmes Internet. Mais les entreprises traditionnelles refusent d'abandonner leur business et leur part de marché aussi simplement. L'art...

le 15/04/2015 à 2:05
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C'est une vision assez optimiste. Je vois mille et une opportunités pour le scalping à bon compte de ce genre d'initiative (en termes de marge) via les normes etc. Et je ne suis pas certain de la pertinence générationnelle. Quant au devenir de l'UE, ...

à écrit le 13/04/2015 à 12:54
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Bonjour, LA transition numérique a également pour effet de simplifier les usages et beaucoup de métier et est donc perçue en partie comme la fameuse création destructrice de Schumpeter. Par exemple dans cinq ans il n'y aura plus besoin d'armée d'inf...

à écrit le 13/04/2015 à 10:25
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Réveillez vous, nous ne sommes plus à la fin des années 90, c'était il y a presque 20 ans. Parler de transition numérique en 2015, c'est commettre une énorme bourde, avoir 25 ans de retard, dommage pour nos consultants et personnels politiques qui n...

le 13/04/2015 à 12:18
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@rutabaga la transition serait donc finis pour toi? Plus rien à faire. 20 ans qu'on en parle, mais elle vient en réalité seulement de commencer. Le plus gros est à venir. Donc oui, il faut tjrs en parler. Le principal problème est que l'apparition de...

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