Transport routier de marchandises, une concurrence déloyale voulue par Bruxelles

Le système de cabotage mis en place sous pression européenne revient à organiser la concurrence déloyale. Par Benoît Prufer, consultant spécialisé sur le secteur, cabinet Weave

Après la polémique en 2013 sur les chauffeurs polonais de Norbert Dentressangle, France 2 remet le sujet du dumping social dans le transport routier sur le devant la scène, avec cette fois les chauffeurs roumains de Geodis. Dans la dernière édition du désormais fameux (et redouté) magazine "Cash investigation", le recours massif à des chauffeurs des pays de l'est pour des opérations de transport en France est pointé du doigt.

 Si Geodis, filiale depuis 2008 du groupe public SNCF, constitue une cible de choix, nombreux sont les acteurs du secteur qui ont recours à ces pratiques pour simplement survivre à une compétition devenue extrêmement féroce, conséquence de la règlementation européenne de 2009 qui a autorisé la pratique du cabotage.

 L'Europe met le "paquet routier"...

 Souhaitant poursuivre la libéralisation du transport routier de marchandises et encadrer un certain nombre de pratiques, l'Europe a en effet adopté en 2009 un ensemble de réglementations dit "paquet routier". Le règlement 1071/2009 établit les "conditions à respecter pour exercer la profession de transporteur par route" et le règlement 1072/2009 établit les "règles communes pour l'accès au marché du transport international de marchandises par route".

 Le cabotage devient désormais possible en Europe sous certaines conditions[1]. Le terme de cabotage désigne le transport de marchandises (chargement, déchargement) entre deux points d'un territoire, réalisé par une entreprise non résidente. C'est un terme issu de la marine, désignant la navigation "de cap en cap".

 L'objectif du cabotage est de permettre l'optimisation du fret routier international en réduisant les voyages à vide. Ainsi, l'Europe envisage, à terme, un cabotage sans limitations, et l'établissement d'un marché européen unique.

 ... et organise une situation de concurrence déloyale au sein de l'UE

 Mais il est très compliqué et couteux de contrôler l'application de ces règles : problèmes de langue, absence de preuves, sous-traitance, entreprises « boîtes aux lettres », ... Dans les faits, on est aujourd'hui très proche d'un marché européen entièrement libéralisé, moyennant quelques tours de passe-passe. Ainsi les chauffeurs français, qui sont les plus chers d'Europe, se retrouvent en concurrence directe avec leurs homologues des pays de l'est, 3 à 4 fois moins chers.

L'ensemble de la filière française est obligé de s'adapter sous peine de disparaitre, avec des effets d'ores et déjà spectaculaires : le pavillon français est passé en quelques années de 50% de l'activité européenne en 1999 à moins de 10% aujourd'hui. C'est un véritable désastre pour la filière, dont nous ne mesurons probablement pas tous les effets !

Respect des règles de sécurité

Les premières victimes sont les chauffeurs français qui voient leurs emplois délocalisés : plus de 21 000 emplois auraient d'ores et déjà été perdus selon le Comité national routier (CNR). Ce sont autant de cotisations non perçues pour un travail réalisé en France.

Par ailleurs, si nous payons de moins en moins cher pour nos transports, le respect des règles de sécurité pose question. En effet les conditions de travail des chauffeurs de l'Est ne cessent de se dégrader face à la pression sur les coûts : temps de conduite non respectés, repos dans des conditions difficiles, ...

Enfin l'équilibre entre les modes de transport s'en trouve bouleversé : avec un coût de la route tiré vers le bas, les frets ferroviaire et fluvial, déjà en proie à de grandes difficultés, perdent encore en compétitivité. Conséquence directe : la part du transport routier ne cesse d'augmenter, avec son lot de nuisances : pollution, saturation des infrastructures routières, nuisances sonores, accidents de la route, ...

 Il est urgent de réagir !

 La situation n'est plus acceptable et il est urgent de réagir, le constat est globalement partagé par l'ensemble des acteurs français. Tout le monde s'accorde aussi sur le fait qu'une réponse nationale à un problème européen ne résoudra rien sur le fond, mais permettra au moins de limiter les effets.

 L'Allemagne, en mettant en place un salaire minimum le 1er janvier 2015, a décidé d'imposer ce salaire au cabotage et au transport international de et vers l'Allemagne. Mais suite aux protestations des pays de l'Est, menées par la Pologne (2nd pavillon européen), la disposition ne s'applique déjà plus pour les chauffeurs en transit.

Dans le sillage de l'Allemagne, la France souhaite imposer le statut de travailleur détaché aux chauffeurs étrangers. Ainsi, ils devraient être payés selon les règles sociales en vigueur en France dès le premier jour, avec notamment une rémunération au SMIC pour les heures circulées sur le territoire. Comme en Allemagne, les chauffeurs en transit ne seront pas concernés. Cette disposition a été intégrée dans la loi Macron, mais le décret d'application annoncé pour décembre 2015 se fait toujours attendre. Sur le papier, cette mesure satisfait les chauffeurs français, mais on peut encore une fois légitimement s'inquiéter de la capacité de l'État à la faire respecter.

L'Europe n'est pas favorable à ce type d'initiative nationale et devrait clarifier sa position dans les prochains mois.

De toute évidence, nous avons besoin d'une véritable harmonisation fiscale et sociale pour espérer rétablir une concurrence saine. Avec des écarts aussi importants que ceux constatés aujourd'hui, la concurrence ne peut être que déloyale et mener inexorablement à un nivellement par le bas de l'ensemble de la filière.

[1] Le cabotage est possible en Europe si les conditions suivantes sont respectées :

  • Réalisation au préalable d'un transport international ;
  • Utilisation du même tracteur pour toutes les opérations ;
  • Délai de 7 jours pour réaliser les opérations de cabotage à compter du déchargement du transport international ;
  • 3 opérations de cabotage maximum dans le pays destinataire du transport international ;
  • 1 opération de cabotage dans les pays de transit.

Sources :

euractiv.fr : La France s'inquiète des dérives du cabotage

Rapport d'information n° 644 (2012-2013) du Sénat : La circulation des mégacamions et le fret routier européen

Legifrance.gouv.fr : Echéancier de mise en application de la loi

francetvinfo.fr : Cash Investigation. Salariés à prix cassé : le grand scandale

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Commentaires 5
à écrit le 08/04/2016 à 9:07
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Merci pour votre article, il faut vraiment que le gouvernement réagisse

à écrit le 08/04/2016 à 9:00
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Il y a plus simple à faire: En cas de cabotage (Transport de point d'arrivée à point d'arrivée sur le térritoire francais perception d'une taxe additionnelle pour compenser l'écart de cout salarial et l'usage de nos infrastructures. Cette taxe sera...

à écrit le 08/04/2016 à 8:37
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Suite 2. Mais les Français sont opposés à toute augmentation du prix de l'énergie. Alors, adieu Air France, le transport routier, la SNCF et d'autres entreprises.

à écrit le 08/04/2016 à 8:28
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Suite. Il s'agirait de mettre une taxe sur l'énergie pour financer les charges sociales (chomage et retraites) progressivement et jusqu'à un certain seuil.

à écrit le 08/04/2016 à 8:22
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On pourrait peut être s'orienter vers une augmentation du prix de l'énergie compensée par une diminution des charges sociales. Cela serait favorable à d'autres secteurs, comme le transport aérien et à toutes les activités en concurrence international...

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