Travail : un code idéal, mais pour qui ?

Par Jean-Emmanuel Ray  |   |  601  mots
Jean-Emmanuel Ray, professeur à l'Ecole de droit de Paris I Sorbonne
[Rencontres économiques d'Aix] La question qui se pose à nous est celle de l'adaptation d'un code du travail salarié à une société où le salariat traditionnel disparaît. Par Jean-Emmanuel Ray

Le débat sur le code du travail en France est mal engagé. Certes, notre code est trop complexe, avec des détails inutiles le rendant illisible. Mais les comparaisons avec un idéal supposé rencontré dans d'autres pays comme l'Allemagne ou la Suisse tournent vite court. Car leur code du travail lui-même, certes beaucoup moins volumineux qu'en France (au niveau fédéral), n'est pas l'unique source régissant les relations entre employeurs et salariés. En amont, le droit international s'impose : il en va ainsi du droit communautaire, mais aussi des nombreuses conventions ratifiées de l'Organisation internationale du travail. Et en aval, les conventions collectives, de branche ou d'entreprise, souvent fort volumineuses, car allant aussi très loin dans la précision : temps de pause, accompagnement de la mobilité... Dites à un employeur allemand que son droit du travail est simple, il vous rira au nez !

Cette réalité ne doit pas évidemment nous empêcher d'avancer. S'il est difficile de s'attaquer au « stock » de droit existant, commençons par éviter toute inflation législative. Surtout, l'heure est à l'assouplissement des règles pour les entreprises : l'idée force, c'est de laisser syndicats et employeurs fixer eux-mêmes ces règles, en dehors de celles d'ordre public (santé, sûreté et sécurité). Avec aujourd'hui des limites : pas question de toucher au smic, ni aux minima salariaux fixés par la branche. On pourrait croire qu'il s'agit là d'une législation en faveur des seuls salariés. Il n'en est rien : en empêchant le dumping salarial interne à la branche, elle protège aussi les chefs d'entreprise contre une concurrence déloyale, et maintient l'attractivité du secteur.

Une solution serait peut-être de s'orienter vers des dérogations à ces minima de branche dans le cadre de corridors, à l'instar de l'Allemagne : si une entreprise voit son chiffre d'affaires chuter de 20 % par exemple, elle pourrait amputer les salaires pour une durée déterminée.

Mais alors, se posent de redoutables problèmes. Quid du respect du contrat individuel entre salarié et employeur ? Ne risque-t-on pas de voir les meilleurs s'en aller, avec une large indemnisation obtenue devant les tribunaux ? De ce point de vue, en cas d'accord de maintien de l'emploi, la loi Macron empêche de facto tout espoir de fort gain en justice.

Mais la vraie question n'est-elle pas celle des profondes transformations de l'emploi ? Car le code « du travail » ne protège pas tous les « travailleurs », mais les seuls travailleurs salariés, et d'autant mieux qu'ils sont employés dans un cadre traditionnel, sous contrat à durée indéterminée. Or révolution numérique aidant, le modèle du salariat industriel, celui de l'homme-machine des manufactures de Ford, organisées par Taylor sur un mode militaro-industriel, est inadapté aux travailleurs du savoir. Pour un webmestre par exemple, le travail n'a plus d'horaires, plus de lieu... Il veut être maître de son temps, et l'idée même d'une obligation de « déconnexion » suscite son incompréhension.

Et ce jeune webmestre offre peut-être déjà ses services sur une plateforme Internet, échappant à une relation de subordination vis-à-vis de son donneur d'ordres. Exit le salariat, et avec lui les protections offertes par le code du travail. Le salariat ne sera plus le grand intégrateur qu'il a été, car le travail salarié pour tous, c'est fini. Bonne ou mauvaise nouvelle ? Les jeunes les plus diplômés n'auront plus à dupliquer le passé. Mais pour les non qualifiés, ce sera beaucoup plus difficile.

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