Trump : une hausse des taux d'intérêt qui frapperait aussi l'Europe

Par Propos recueillis par Ivan Best  |   |  1008  mots
Jusqu'où ira Donald Trump dans la mise en oeuvre de son programme: elle provoquerait une forte hausse des taux d'intérêt aux Etats-Unis, qui frapperait l'Europe par ricochet
La mise en œuvre du programme de Donald Trump provoquerait une forte hausse des taux d'intérêt, estime Patrick Artus. L'Europe la subirait par ricochet : de quoi tuer dans l'œuf la petite reprise de la zone euro

Et si Donald Trump, élu contre toute attente 45e président des Etats-Unis, mettait en œuvre son programme ? Quel serait l'effet sur les Etats-Unis, sur le monde ? Une bonne partie du programme paraît impossible à mettre en œuvre. Le protectionnisme généralisé, qui passerait par la sortie des Etats-Unis de l'Organisation mondiale du Commerce, voilà qui paraît peu plausible. Mais d'autres pans des promesses de Donald Trump pourront se traduire, au moins partiellement, dans les faits.

S'agissant de la dépense publique, d'abord. Comme le souligne l'économiste Patrick Artus,

« Trump est est d'accord avec Clinton pour lancer de grands travaux d'infrastructure. Selon des études très précises du Congrès, il faudrait investir 1.800 milliard de dollars pour remettre simplement les infrastructures aux normes. Clinton a cité le chiffre de 500 milliards de dollars de dépenses par an consacrées à cette politique. Trump n'a pas cité de chiffre, mais il semble d'accord.

 Le problème, c'est que les Républicains n'approuvent pas forcément cette politique de dépense publique, à laquelle ils sont par tradition opposés : il y aurait des compromis. En revanche, s'agissant des baisses d'impôts promises, les élus républicains sont pleinement d'accord. L'addition de dépenses supplémentaires et de baisses d'impôts substantielles va provoquer une « explosion du déficit » estime Patrick Artus. « Cette année, le déficit fédéral est proche de 2% du PIB, 500 milliards de dépenses en plus par an c'est trois points de PIB. » Si la hausse du déficit est encore difficile à chiffrer, elle sera substantielle".

Le protectionnisme, jusqu'où?

L'autre volet du programme Trump, c'est le protectionnisme. Les Etats-Unis ont signé l'accord commercial Nafta (qui inclut le Mexique, le Canada...).

 « Trump a dit qu'il en sortirait, je n'y crois pas » souligne Patrick Artus. « Ce n'est pas la culture républicaine, pro free trade. 80% des exportations du Mexique vont vers les Etats-Unis, et pour l'essentiel, il s'agit de l'importation de produits fabriqués par des sous-traitants d'entreprises américaines : elles n'accepteront pas de sitôt une telle remise en cause. On ne va pas leur dire : vous n'avez pas le droit de réimporter. Il y aurait une evée de bouclier de business. On peut détester la finance, mais pas s'asseoir sur l'industrie, contrer Boeing. Si le président de General Motors vient lui expliquer à Trump qu'il va supprimer des dizaines de milliers d'emplois en raison de la sortie du Nafta, le nouveau président va devoir l'écouter ! »

En revanche, avec la Chine des évolutions sont possibles.

« Elle fait du dumping, et cela peut se contrer avec l'accord de l'OMC : en cas de plainte pour dumping, l'OMC peut accepter la mise en place de tarifs douaniers. C'est du protectionnisme légal. Mais l'idée de droits douane généralisés impliquerait une sortie de l'OMC, qui est inimaginable."

Quel frein à l'immigration?

Enfin, Trump s'est engagé sur l'immigration, qu'il veut stopper.

Or les Etats-Unis au plein emploi, souligne Patrick Artus : si on stoppe l'immigration, on aboutit à de vraies tensions sur les salaires. Les deux pays voulant prendre des mesures anti-immigration sont les deux au plein emploi, les Etats-Unis et le Royaume Uni. Ce serait ajouter des tensions à de tensions existant déjà : les salaires tendent à augmenter. Depuis 2014, c'en est fini le la stagnation des salaires qui a duré près de 25 ans. Les salaires des moins qualifiés augmentent aujourd'hui de 6% sur un an, de 3,5% pour le salaire median. C'est une vraie rupture avec une longue période du pouvoir d'achat salarial, voire de baisse pour les rémunérations les plus faibles. Il est vrai qu'en 2014, les 60% d'Américains les moins aisés avaient un pouvoir d'achat inférieur à celui de 1990. Pour les 25% les moins riches, la baisse a été de 8 à 9%. Mais cette période est révolue, et même si, pour les salariés concernés, le rattrapage du pouvoir d'achat perdu est loin d'être atteint, d'un point de vue macro-économique, il y a bien une situation de tension salariale.

Si, en plus, on stoppe l'immigration, on retire 60% de la croissance démographique américaine : faute de population active suffisante, les tensions seront alors extrêmes sur le marché du travail, sur les salaires. La croissance américaine en pâtira lourdement.

Une hausse des taux d'intérêt qui impacterait l'ensemble de la planète

 Imaginons que Trump puisse réaliser tout son programme, que le parti républicain l'accepte. Quel serait le résultat ?

Une hausse très forte des salaires avec l'arrêt de l'immigration, une hausse des prix des importations, une hausse des dépenses publiques. Les conséquences de cet ensemble ? C'est à la fois de l'inflation (via les salaires et les importations), un déficit public énorme (via l'augmentation des dépenses et la baisse des impôts). Tout cela entraînerait une très forte augmentation des taux d'intérêt américains. Certains analystes anticipent des taux d'intérêt à 2,5% fin 2017, si le programme Trump est mis en œuvre, on sera en réalité plus proche de 5%.

Cette hausse des taux serait une très mauvaise nouvelle pour l'Europe, où ils augmenteront aussi : les taux américains contaminent les taux européens. Cela suffirait à tuer dans l'œuf la petite reprise que nous connaissons aujourd'hui en zone euro. La vraie menace, c'est la transmission via les taux d'intérêt à long terme.  La BCE agit certes sur l'ensemble des taux, mais la corrélation avec les Etats-Unis subsiste : sur les emprunts à 10 ans, elle est passée de 60% à 40%. Une augmentation d'un point des taux d'intérêt long américains provoque une hausse de 0,4 point en zone euro. Or l'Europe a besoin de taux bas pour de longs mois encore. En outre, cette augmentation des taux d'intérêt serait aussi catastrophique pour les pays émergents, aussi. Bref, on reviendrait au début des années 80, avec le mix américain connu sous Reagan de fort déficit public et de taux d'intérêt très élevés.