Une pharmacie ferme tous les deux jours, à qui la faute ?

Par Xavier Pavie  |   |  768  mots
A continuer à vouloir simplement vendre des boîtes de médicament, sans service à valeur ajoutée, la profession accélère la disparition ds pharmacies. Par Xavier Pavie, professeur, ESSEC business school

Plus d'un millier de pharmacies ont disparu ces dix dernières années et l'Ordre national des pharmaciens a annoncé l'accélération de ce mouvement en 2015. C'est désormais une pharmacie qui ferme tous les deux jours. Faut-il s'en étonner ? Le pharmacien n'a t-il pas abandonné de lui-même son métier ?

 Lorsque l'on sait que la plupart du temps, un patient choisit son officine en fonction de son lieu d'habitation ou de son travail - ce qui n'est pas le cas des autres commerces de proximité comme le boucher, le boulanger ou le poissonnier -, il n'est pas très surprenant que les pharmacies soient sur le déclin.

 Quelle valeur ajoutée?

C'est tout bonnement parce qu'elle ne fait pratiquement que distribuer des boites que la disparition de la pharmacie est inéluctable, et il y a fort à parier que d'ici 10 ans nous n'en n'aurons plus qu'une dizaine de milliers dans notre pays. La question de la différenciation des officines, de leur valeur ajoutée est absente des débats et la question des services est des plus mal posée.

 Il n'y a pas l'ombre d'une différence entre les 22 000 pharmacies encore présentes en France, ce qui contribue à leur disparition. La segmentation est un terme qui leur est étranger, tout autant que le marketing des services. Toutes les officines ont la même configuration physique, elles recrutent les mêmes adjoints, les mêmes préparateurs, et usent des mêmes processus de délivrance de médicaments.

 Un choix par la proximité

Comment les pharmacies sont-elles capables d'adresser par jour entre 150 et 300 clients avec des pathologies, des besoins extrêmement variés ? Il n'y a qu'une seule explication : elles se concentrent sur la prescription et délivrent les boites réclamées. Or aucun service à valeur ajoutée réelle ne se dégage lors d'une délivrance. Rien ne différenciant les pharmacies les unes des autres, le choix se fait dès lors par la proximité.

 Concernant les services : certes, réclamer la possibilité de vaccination est une demande légitime mais elle n'est qu'un détail qui ne fera certainement pas les beaux jours des officines en perte de vitesse. C'est une politique de services qu'il faut désormais promouvoir plus que la vente de produits. Ce n'est pas pour cela aujourd'hui que nous nous rendons dans une officine !

 Valoriser la compétence des pharmaciens

La seule raison de se rendre dans une officine, c'est pour y trouver la santé, le bien-être et des conseils. Si une officine prétend aider au sevrage tabagique, ce n'est certainement pas en vendant des boites de patchs, mais plutôt en organisant un véritable coaching de celui qui est dépendant. Elle ne propose pas un bilan dermatologique pour écouler des crèmes de soin dont l'efficacité est très discutable mais parce que seul un rapport physique avec l'épiderme permet une véritable évaluation des besoins.

 Les pharmacies peuvent continuer à vendre des produits pour retarder leur disparition certaine, mais le seul moyen de leur dessiner un avenir est de valoriser la compétence des pharmaciens, c'est là que réside leur véritable valeur ajoutée.

 Les pharmaciens ont pour eux trois avantages indéniables : l'expérience, la crédibilité et la proximité. Le pharmacien est en effet le seul professionnel de santé disponible quasiment 7 jours sur 7, doté d'une formation et d'un savoir crédible et solide.

 Or à être obsédé par la protection de son monopole, le pharmacien en oublie les opportunités qui s'offrent à lui : la livraison à domicile des médicaments est proposée par La Poste, le suivi de santé par les applications Apple, l'amélioration de la condition physique par Nike ou Runstatic, les commandes via internet par Leclerc, bref aucun pharmacien !

 Une santé ubérisée

Tout comme Uber ne vient pas des taxis, AirBnB n'est pas issu du monde hôtelier et Blablacar n'est pas l'idée d'un loueur de véhicule. La santé est en train de se faire ubériser par des acteurs étrangers au domaine de la santé mais qui, viennent prendre les voies de croissances fondées sur les services que les officines devraient s'accaparer. Seul le pharmacien nous connaît. Nous accepterions volontiers de lui confier nos données de santé, nous savons où il se trouve et quand aller le voir. Au lieu de s'adresser aux gouvernements successifs pour l'aider à le protéger davantage c'est peut-être à ceux qui ont besoin de lui, à ses clients qu'il devrait de s'adresser...

Professeur Xavier Pavie

ESSEC Business School