Zone euro : comment faire avancer l'Union budgétaire ? (Xavier Ragot, OFCE)

Par propos recueillis par Ivan Best  |   |  898  mots
Pour Xavier Ragot, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), il est possible de faire avancer de manière pragmatique l'Union budgétaire en Europe, sans réformer les traités. Une perspective indispensable, alors que la politique budgétaire est appelée à jouer un rôle croissant, la seule politique monétaire montrant ses limites

Au vu de l'état de la construction européenne, la perspective d'une union budgétaire que vous évoquez aujourd'hui * ne relève-t-elle pas du vœu pieux ?

L'idée d'une meilleure politique budgétaire dans la zone euro est incontournable. Nous demandons bien trop à politique monétaire de la Banque Centrale Européenne. Cette dernière fait son possible pour relancer l'économie de la zone euro, ce pour quoi elle est injustement critiquée. La coordination des politiques budgétaires pour permettre une croissance soutenable est trop absente du débat public. Le but est double: éviter des politique de hausse d'impôt trop rapides pour les pays très endettés comme la Grèce et pour les pays qui possèdent des marges de manœuvre fiscale, comme l'Allemagne, mais aussi trouver les moyens de stabiliser durablement les dettes publiques, car la période de taux d'intérêt bas ne sera pas éternelle.

Une particularité de la zone euro par rapport aux autres unions monétaires, comme les Etats-Unis ou le Canada, est que les dépenses des États représentent 98% des dépenses totales, alors qu'aux Etats-Unis, elles ne représentent que 46%, le reste étant assuré par un budget fédéral stabilisateur. Dès lors la question de la coordination des budgets nationaux dans la zone euro est centrale. Ce n'est pas une question facile: comment demander aux parlements de voter des budgets nationaux en tenant compte de l'intérêt de la zone euro? Il faut donc faire évoluer les institutions.

Si les stabilisateurs automatiques fonctionnent en Europe, le problème, c'est la partie discrétionnaire des politiques budgétaires ?

Le problème est là, effectivement. Il existe deux types de politique budgétaire : les stabilisateurs automatiques, comme l'assurance chômage, et une partie discrétionnaire décidée chaque année. Ces dernières ont eu un rôle déstabilisateur : elles ont contribué à accélérer la croissance en phase de conjoncture haute, au milieu des années 2000, alors qu'il aurait fallu au contraire être rigoureux et constituer des réserves pour les périodes de basses eaux. Ces politiques ont ensuite freiné fortement l'activité, à coup de restrictions budgétaires en phase de ralentissement, en 2011. Il faudrait éviter d'imposer ainsi des ajustements budgétaires contre-productifs dans des pays en crise. L'exemple le plus flagrant est la Grèce, où le PIB a tellement chuté, bien au-delà de ce qui a été envisagé, que le poids de la dette s'est accru malgré les économies.

Comment mettre en œuvre une telle politique de stabilisation ?

Un point important, ce serait la création d'une Conseil budgétaire européen indépendant, en charge de l'analyse de la cohérence au sein de la zone euro. Il conseillerait la commission européenne et les Etats, surtout en période exceptionnelle, quand la conjoncture est florissante ou au contraire dégradée.

Les Hauts conseils des finances publiques instaurés dans les différents Etats membres de la zone euro analysent les effets des politiques mises en œuvre dans leur pays, mais ne regardent pas la cohérence européenne. Il s'agirait au contraire de considérer globalement la zone euro, d'analyser les interactions entre les politiques budgétaires menées au niveau national, et de proposer des moyens de lutter contre la déflation en période de crise, et de constituer une marge de manœuvre fiscale en période de croissance. Ce Conseil pourrait contribuer à insuffler aussi de la pensée européenne au sein des parlements nationaux.

Y-at-il d'autres moyens de faire avancer l'Europe budgétaire ?

L'autre point fondamental, ce serait la constitution d'une assurance chômage européenne, qui serait un véritable stabilisateur automatique européen. L'idée n'est pas de supprimer les systèmes nationaux, mais plutôt d'instaurer l'équivalent d'une ré-assurance. Quand un pays connait une crise sévère, une assurance chômage directement européenne pourrait indemniser les chômeurs de longue durer, comme cela se fait aux Etats-Unis. Ensuite, il faudrait revoir le MES (Mécanisme européen de solidarité), afin que la restructuration d'une dette d'un pays ne soit plus un drame, et n'entraîne pas des effets de contagion. Enfin il faut une assurance des dépôts européennes pour stabiliser les systèmes bancaires. Si le rôle des économistes est d'étudier la faisabilité de ces propositions, ce que nous faisons dans notre note, il faut qu'elles participent à un débat politique et contribuent au choix citoyen. La faiblesse du débat européen est inquiétante, quelles que soient les orientations privilégiées.

Le gouvernement allemand ne va-t-il pas bloquer de telles orientations?

C'est effectivement une question. Mais ce que nous proposons, ce n'est pas une France en plus grand, comme le veut la caricature des positions françaises, mais un système plus solidaire, dans l'intérêt de tous. Les choses bougent en Europe, avec le Brexit, les migrants... les esprits évoluent. Partout en Europe, la pensée, les réflexions avancent sur les politiques budgétaires, sur la nécessité de mieux les coordonner. Cela peut donner lieu à des changements. Il y a moyen de convaincre nos amis allemands pour qu'ils acceptent des évolutions.

(*) Quelle union budgétaire pour la zone euro ? , notes du Conseil d'Analyse économique, n°29, février 2016