Trop chère New York !

Par Marie-Aude Panossian, à New York  |   |  1190  mots
Si, globalement, les ouvriers et les employés n'habitent plus Manhattan depuis longtemps, c'est désormais au tour des professions intermédiaires de quitter le borough central de la ville de New York, pour trouver, ailleurs, de meilleures conditions de vie.
Logements à prix prohibitifs, frais de scolarité vertigineux... La classe moyenne new-yorkaise a de moins en moins les moyens de vivre à Manhattan. Contrainte, elle se résout à partir pour s'installer un peu... ou beaucoup plus loin.

C'est généralement à contrecoeur qu'ils se décident au départ. Lassés de s'entasser dans un petit deux-pièces (ou plus rarement trois-pièces), épuisés de devoir se battre pour que leurs enfants aient accès à une bonne école, inquiets de voir leurs salaires stagner tandis que le coût de la vie augmente inexorablement. À Manhattan, la classe moyenne a le blues et se trouve de plus en plus souvent contrainte de partir. Dans les autres boroughs (Brooklyn, Queens, Bronx, Staten Island), plus loin dans l'État de New York ou dans les États contigus (New Jersey, Connecticut). Le mouvement se fait par vagues, en fonction de la situation économique générale et personnelle.

Ainsi, entre 2010 et 2013, 254.000 personnes, dont beaucoup appartenant à la classe moyenne, se sont résolues à quitter l'une des cités les plus chères au monde. Une migration qui inquiète sérieusement les hommes politiques, toutes tendances confondues. Car, comme le rappelait en février 2013 la démocrate Christine C. Quinn, alors présidente du conseil municipal de la ville de New York, dans un rapport intitulé La Classe moyenne se réduit, « la vile de New York a besoin de sa classe moyenne pour se développer et maintenir un équilibre entre les intérêts des riches et des pauvres ». Son existence même permet aux citoyens de garder toute leur confiance en la société, considère par ailleurs le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz, qui sinon se retrouvent minés par les trop grandes inégalités. Alerté par le fait que New York est la ville la plus inégalitaire du pays, le maire Bill de Blasio - et avant lui Michael Bloomberg tente d'apporter des réponses à cette problématique d'autant plus délicate que derrière le terme de « classe moyenne » se cachent des réalités très diverses.

En effet, la catégorie qui aujourd'hui est appauvrie et en voie de disparition dans la métropole pourrait être qualifiée « d'ancienne classe moyenne ». Elle se compose de policiers, enseignants, ouvriers, petits commerçants. Au fur et à mesure, une population très éduquée, diplômée, qualifiée et à hauts salaires s'y substitue.

Comme Boston, Denver ou San Francisco, New York devient le lieu où convergent chaque année des milliers de jeunes extrêmement spécialisés, notamment dans les nouvelles technologies. Ailleurs, ils appartiendraient à la classe supérieure, ici ils font simplement partie de la classe moyenne. Ce n'est évidemment pas à eux que les responsables pensent lorsqu'ils s'alarment du départ d'une partie des New-Yorkais, mais plutôt à ceux qui se retrouvent confrontés à trois problèmes majeurs.

Handicaps

Première difficulté : l'emploi et les salaires. Si la ville a mieux traversé la crise que d'autres municipalités, en une décennie, le paysage professionnel s'est radicalement transformé. Entre 2000 et 2013, la ville a gagné 250.000 postes dont environ 200.000 offrent des rémunérations extrêmement basses dans le domaine de la santé, de la vente au détail, des loisirs et de l'hôtellerie.

Les 50.000 restants correspondent à des métiers très qualifiés dans la finance ou la haute technologie et proposent de gros salaires. Entre ces deux extrêmes, on constate la disparition de milliers de fonctions traditionnellement occupées par la classe moyenne, en particulier dans le public et l'industrie manufacturière qui a longtemps constitué l'âme de la ville. Ce qui explique que le taux de chômage moyen dans ce secteur soit de 6,2% en 2012 contre 2% avant 2008. Et lorsque, par chance, des salariés parviennent à conserver leur activité, la rétribution s'avère souvent insuffisante pour rester à dans The Big Apple.

Or, deuxième handicap, dans le même temps, les prix des logements et de la vie courante ont connu une hausse vertigineuse. En dix ans, les loyers ont augmenté de 75% tandis que les revenus n'ont progressé en moyenne que de 4,8%. Lorsqu'on n'a pas la possibilité d'habiter dans un logement social ou un appartement à loyer dit « maîtrisé ou stabilisé », le tarif peut être majoré tous les ans, sans aucune limite. Résultat : un New-Yorkais dépense entre 30% et 50% de son revenu pour se loger.

Quant à l'achat d'un bien immobilier, la situation n'apparaît pas plus aisée : les prix ont grimpé trois fois plus vite que les salaires et une fiscalité très lourde sous forme de taxes foncières, à la fois de la ville et de l'État de New York, frappe les propriétaires. Parallèlement, le coût de l'électricité, du téléphone, des assurances voitures, du fuel, du parking et même... du lait ne cesse de croître. En principe, un célibataire ou, mieux, un couple parvient encore à régler les factures. Mais la situation devient difficilement tenable lorsque la famille s'élargit.

Les enfants, une forte motivation pour s'exiler

Car, préoccupation supplémentaire, l'arrivée d'un bébé oblige les parents à décupler leurs efforts pour offrir un cadre de vie acceptable à leur progéniture. Et ce n'est évidemment pas un hasard si seuls 17% des habitants de Manhattan ont des enfants, soit moitié moins que dans le reste du pays.

À la difficulté de pouvoir s'agrandir, s'ajoutent les frais liés d'abord à la garde, puis à la scolarité des petits. Peu confiante dans l'éducation publique, souvent à raison, la classe moyenne lui préfère le privé. Mais à l'année, une école primaire peut coûter entre 7.000 et 40.000 dollars, suivant le quartier, la notoriété et le programme proposé. Sans compter les nombreuses et inévitables activités extrascolaires.

Pour répondre à ces défis et endiguer l'exode, Bill de Blasio vient de lancer un plan de construction et de rénovation de logements qui seront accessibles aux plus modestes comme à la classe moyenne.

Avec l'arrivée de 200.000 nouveaux appartements sur dix ans, ce projet permettrait aussi la création de 194.000 emplois dans la construction. Il voudrait aussi ouvrir des classes de prématernelle publiques. Mais on n'y est pas encore, faute de moyens. Alors, en attendant, partir devient la solution. Loin dans les boroughs, car les parties de Brooklyn et Queens qui touchent Manhattan sont déjà hors de leur portée.

À South Bronx où le système scolaire laisse encore à désirer, ou Staten Island sur laquelle les promoteurs commencent à jeter leur dévolu. Mais ce sont surtout les grandes banlieues de Westchester County et Long Island dans l'État de New York, ou celles du New Jersey et du Connecticut qui accueillent le plus de familles. Du coup, certaines de ces (lointaines) banlieues sont en train de devenir branchées grâce à l'arrivée très récente de populations jeunes et hautement éduquées, constate Mitchell Moss, professeur de planification urbaine à New York :

« Ils s'y installent non seulement parce qu'ils y trouvent de bonnes écoles, des maisons spacieuses et de bons transports en commun », mais aussi parce qu'ils peuvent y façonner l'environnement socioculturel. « Une classe sociale inventive est en train de recréer son mode de vie urbain dans les banlieues », affirme le professeur.

Un nouvel eldorado pour la classe moyenne ?