Viticulture bordelaise : Touche pas à mon château !

Par Nicolas César, à Bordeaux (Objectif Aquitaine)  |   |  523  mots
© 2009 AFP
Bruxelles envisage d'autoriser les Etats-Unis à apposer la mention « château » sur leurs vins. La filière viticole bordelaise est vent debout et crie à la « distorsion de concurrence » et au « détournement de notoriété ». La France vient d'obtenir un « sursis » avec le report sine die d'un vote prévu sur la question.

« Si jamais Bruxelles venait à accéder à la demande des Américains d'apposer la mention « château » sur leurs bouteilles, nous engagerions des actions en justice ! », lance le président du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB), Georges Haussalter. La filière viticole bordelaise ne cache pas sa colère et son inquiétude. « Ce serait une tromperie pour le consommateur qui associe château à qualité et appellation d'origine contrôlée », s'indigne Laurent Gapenne, président de la Fédération des grands vins de Bordeaux, en pesant ses mots. En effet, la définition américaine de la mention « château » est bien plus « laxiste ». Elle accepte des raisins issus de tout le territoire et jusqu'à 25 % provenant de l'étranger, tandis « qu'en France, l'ensemble des raisins doivent être issus de la propriété. « Le cahier des charges est plus strict et les coûts de production sont plus élevés », insiste Laurent Gapenne, président de la Fédération des grands vins de Bordeaux. En outre, « cela reviendrait à nous dépouiller de notre patrimoine. La région bénéficie de cette mention « château » depuis près de deux siècles », s'indigne François Lévêque, négociant en vins à Bordeaux.
Depuis 2009, les États-Unis demandent à pouvoir exporter vers l'Europe des vins portant l'appellation « château ». L'objectif est de « grignoter » des parts de marché en Europe. L'an dernier, ils ont vendu pour 370 millions d'euros de vins sur le vieux continent. Cet été, la Commission européenne aurait changé d'avis. Pourquoi ? En vérité, il y aurait eu un « deal ». « L'Europe autoriserait les Américains à utiliser le nom « château ». En échange, la France aurait le droit de vendre du vin de table, sans appellation, ni indication géographique, en indiquant simplement le millésime aux Etats-Unis », révèle Laurent Gapenne.
« C'est inacceptable, fulmine Bernard Farges, président du syndicat des Bordeaux et Bordeaux supérieur. Quel est l'intérêt pour les Français ? Ce marché du vin de table ne représente pas grand-chose à l'export ». La mobilisation des viticulteurs français a fait reculer Bruxelles. Mardi, le vote de l'UE a été reporté. Mais, la bataille est loin d'être gagnée. « La France est quelque peu isolée sur cette question au sein de l'Union européenne », reconnaît Stéphane Le Foll, le ministre de l'Agriculture.
Plus généralement, l'Europe entend libéraliser d'ici 2016 un secteur qu'elle a jusque-là beaucoup encadré à travers les droits de plantation et les subventions à l'arrachage. Au nom du libre-échange, elle entend permettre aux producteurs européens de produire plus, pour exporter plus. « Si les Américains obtenaient gain de cause, ce serait un précédent qui ouvrirait la voie aux Chinois pour nous envahir avec leurs vins », s'inquiète Yann Le Goaster, directeur de la Fédération des grands vins de Bordeaux. Laurent Gapenne, quant à lui, redoute lui un « choc » entre les puissantes marques de l'industrie viticole du Chili, d'Argentine, etc., et les « artisans » bordelais, qui entraînerait une baisse générale des prix. L'enjeu est de taille. Les vins de Bordeaux représentent 55 000 emplois.