Le Bordelais cherche des solutions pour faire face au réchauffement climatique

Par Nicolas César, à Bordeaux, Objectif Aquitaine  |   |  722  mots
Cette année, le célèbre château Yquem dans le Sauternes, ne sortira pas exceptionnellement de millésime, car les conditions climatiques n'ont pas permis d'obtenir « l'excellence ». Mais, à l'avenir, ce ne sera peut-être plus si exceptionnel : en 2050, la température aura augmenté de 2,4 degrés et la période de maturité des raisins aura de vingt à quarante jours d'avance © CIBV
Les effets du réchauffement climatique se font déjà sentir dans les vignobles. Les vendanges sont plus précoces, les raisins moins acides, les teneurs en alcool plus fortes. C'est désormais une certitude. Demain, les vins français n'auront plus le même goût, qui fait leur typicité, leur prix. Dans le Bordelais, les professionnels devront s'adapter.

Au cours des 50 dernières années, la température moyenne s'est élevée d'environ 1 degré dans les vignobles français. Le cycle de la vigne s'est raccourci et les vendanges ont lieu presque un mois plus tôt. La tendance devrait s'accentuer. Cette année, le célèbre château Yquem dans le Sauternes, ne sortira pas exceptionnellement de millésime, car les conditions climatiques n'ont pas permis d'obtenir « l'excellence ». Mais, à l'avenir, ce ne sera peut-être plus si exceptionnel. En 2050, la température devrait avoir augmenté de 2,4 degrés et la période de maturité des raisins aura de vingt à quarante jours d'avance, selon Jean-Pascal Goutouly, expert de l'INRA et de l'Institut de la vigne et du vin (IVV). Or, le vin doit mûrir lentement et la hausse des températures, conjuguée au manque de pluies, nuit au raisin.
Conséquence : « Les concentrations en sucre sont plus fortes, les vins plus durs, avec un taux d'alcool supérieur, un taux d'acidité réduit, des nuances aromatiques dépréciées », explique Serge Delrot, directeur de l'ISVV (Institut des sciences de la vigne et du vin) à Bordeaux et chercheur à l'Inra. Résultat, le vin perd de son aptitude au vieillissement, donc de sa valeur... A l'export aussi, les choses seront plus compliquées. Plusieurs pays taxent le vin en fonction de son degré d'alcool. Surtout, le consommateur préfère de plus en plus les vins moins alcoolisés, plus digestes.

Désalcooliser les vins

Au regard du poids de la viticulture dans l'économie bordelaise (3,9 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 55 000 emplois directs et indirects dans la région), il y a de quoi s'inquiéter. C'est pourquoi, l'Inra a lancé en France un programme baptisé « vin de qualité à teneur réduite en alcool » (VDQA), rassemblant douze partenaires publics et privés. « Une technique pour désalcooliser de 2°C le vin a déjà été mise au point », révèle Xavier Carreau, président du syndicat des Indications géographiques protégées (IGP) de l'Atlantique. En outre, « nous allons devoir aussi changer nos méthodes de vinification : vendanger plus tôt fin août et laisser fermenter le mou du raisin plus longtemps », avance Gérard César, président du groupe d'études de la vigne et du vin au Sénat et propriétaire du château Charron, dans le Bordelais.

Inéluctable

Comment faire face à ce réchauffement climatique inéluctable ? « A court terme, il faut modifier les pratiques culturales, modifier l'orientation des rangs de vigne, la densité pour diminuer l'exposition au soleil et ne plus effeuiller pour augmenter la teneur en sucres des baies », préconise Serge Delrot. Ce chercheur bordelais coordonne un groupe de travail consacré à l'adaptation de la vigne au changement climatique dans le cadre d'un projet européen KBBE Innovine, qui débute en janvier 2013.
Autre impératif : orienter la sélection génétique vers des clones anciens moins riches en sucres et qui mûrissent moins vite ou encore mettre au point des porte-greffes qui modifient la vigueur à la vigne et donc son aptitude à produire des sucres.

A la recherche du cépage idéal

Mais, ces réponses ne suffiront pas. Et, les viticulteurs auront besoin de l'aide de la recherche. « La zone climatique bordelaise ne sera plus en adéquation avec nos cépages en 2050 », assure Jean-Pascal Goutouly. Le réchauffement climatique pourrait amener la disparition dans le Bordelais du sauvignon blanc et du merlot, cépages plus précoces. Or, ce dernier couvre aujourd'hui les deux tiers des superficies de vignes rouges du Bordelais. Au Chili, par exemple, le réchauffement climatique a conduit à remplacer le merlot par le cabernet sauvignon.
A cet effet, à l'Inra, le laboratoire de Serge Delrot a planté une parcelle contenant 52 cépages greffés sur le même porte-greffe, pour étudier leur comportement : croissance, développement végétatif, phénologie, composition des raisins, et qualité du vin. Les cépages plantés contiennent les cépages bordelais traditionnels et des cépages d'origine méditerranéenne ou sud-européenne qui supportent bien la chaleur (Tempranillo d'Espagne; San Giovese d'Italie; Touriga Nacional du Portugal...). L'idée est d'identifier le cépage qui pourra le mieux s'adapter au changement climatique et... d'éviter une catastrophe économique à la viticulture bordelaise.