Fusion des départements : "Le besoin d'Alsace est aussi affectif" (Brigitte Klinkert)

Par Olivier Mirguet, à Strasbourg  |   |  1172  mots
Brigitte Klinkert. (Crédits : Conseil départemental du Haut-Rhin)
INTERVIEW. Le projet de loi sur la nouvelle collectivité européenne d'Alsace, qui regroupera les conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, entre dans sa phase de finalisation. Les membres de la commission des lois se rendront dans la région ce jeudi 13 juin, en audition décentralisée, à la rencontre des élus locaux. Le texte sera examiné en commission à l'Assemblée nationale avant cet été. Brigitte Klinkert, présidente (LR) du conseil départemental du Haut-Rhin, explique les enjeux de cette réforme territoriale sur mesure.

Le projet de loi sur la nouvelle collectivité européenne d'Alsace entre dans sa phase de finalisation. Les membres de la commission des lois se rendront dans la région ce jeudi 13 juin, en audition décentralisée, à la rencontre des élus locaux. Le texte sera examiné en commission à l'Assemblée nationale avant cet été.

La future collectivité regroupera les conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Ses contours ont été fixés dès octobre 2018 par l'accord de Matignon, paraphé par Edouard Philippe et les ministres concernés. Ils créent crée une décentralisation à la carte pour la vallée du Rhin : sans toucher aux contours du Grand-Est, qui inclut aussi les anciens territoires de Lorraine et Champagne-Ardenne, la collectivité européenne d'Alsace deviendra chef de file de la coopération transfrontalière, assurera la promotion du bilinguisme et pilotera le développement économique. Elle sera aussi dotée de nouvelles compétences dans le transport, avec la possibilité de créer une écotaxe locale. La collectivité doit être opérationnelle en 2021.

Brigitte Klinkert, présidente Les Républicains du conseil départemental du Haut-Rhin, explique les enjeux du projet.

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LA TRIBUNE - En fusionnant deux départements, vous portez la renaissance d'une Alsace administrative. Dans quel but ?

BRIGITTE KLINKERT - La collectivité européenne d'Alsace n'est pas un département d'Alsace ! Elle va naître du rapprochement du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, elle couvrira le territoire de deux préfectures avec des compétences particulières et spécifiques. Il ne s'agit donc pas d'une simple fusion : pour cela, une loi n'aurait pas été nécessaire.

Quel est l'objectif ?

Nous devenons chef de file de la coopération transfrontalière, en lien avec le traité de coopération franco-allemand d'Aix-la-Chapelle signé cette année par Emmanuel Macron et Angela Merkel. Nous allons agréger d'autres compétences autour de la construction de l'après-Fessenheim, organiser des services publics communs autour de la santé, coordonner la politique et la formation au bilinguisme. La collectivité pourra recruter des intervenants allemands, proposer des heures d'enseignement supplémentaires aux élèves du primaire au secondaire. C'est essentiel pour les jeunes : il faut ouvrir le marché de l'emploi à 360 degrés.

Quels seront vos outils spécifiques pour l'aménagement du territoire ?

La collectivité va prendre en charge le réseau de routes nationales non concédées. Nous voulons mettre fin au scandale de l'autoroute A 35, qui est saturée sur l'axe nord-sud alsacien. Cette situation est due à la mise en place, depuis quelques années, d'un péage pour les poids lourds en transit sur les autoroutes allemandes. Un transfert s'est effectué sur l'autre rive du Rhin. Nous allons étudier les modalités pour mettre en place, nous aussi, une taxation ou une redevance sur le trafic en grand transit. L'accord de Matignon prévoit un tel mécanisme.

De tels outils ne devraient-ils pas être nationaux ?

Je suis défavorable à l'extension du texte alsacien à l'ensemble du territoire. Cela correspondrait à une négation du principe de différenciation que j'ai toujours défendu. Il faut permettre à chaque territoire de construire sa trajectoire en fonction de ses enjeux.

Les Alsaciens ont mal digéré leur intégration dans le Grand-Est. Voulez-vous sortir de cette Région ?

Dans un récent sondage, 67% des Alsaciens se sont déclarés favorables à la sortie du Grand-Est. 83% des habitants du Bas-Rhin et du Haut-Rhin souhaitent une collectivité spécifique à l'Alsace. L'Alsace n'existe plus en tant que collectivité, mais le besoin d'Alsace est réel. Avec mon collègue Frédéric Bierry, président du conseil départemental du Bas-Rhin, nous avons porté la voix des Alsaciens auprès du président de la République dès octobre 2017. Il nous a répondu qu'on pourrait construire ensemble une collectivité spécifique pour l'Alsace, mais sans sortir du Grand-Est. Nous avons accepté cette voie car sinon nous prenions le risque de la disparition définitive de l'Alsace.

Quel est l'intérêt des élus pour ce projet ?

Nous ne faisons pas ce projet pour nous, les élus, mais parce que la disparition de l'Alsace en tant que collectivité pénalise les jeunes, les entreprises, les agriculteurs et nos partenaires transfrontaliers. Nous ne voulons pas laisser cette question aux extrémistes, qui ont voulu s'emparer du sujet et ont été présents dans tous les cantons lors des dernières élections départementales.

La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim est l'un des principaux enjeux économiques pour l'Alsace. Comment allez-vous l'aborder ?

Je plaide pour que la construction de l'après-Fessenheim soit franco-allemande. Nous sommes déjà signataires d'un pacte de territoire avec nos voisins. L'un des projets phares, c'est la liaison ferroviaire transfrontalière entre Colmar et Freiburg. Cette liaison a déjà existé, mais le pont sur le Rhin a été détruit à la fin de la seconde guerre mondiale. Il s'agit de le reconstruire, c'est le seul pont sur le Rhin non reconstruit. Il y a un aspect symbolique fort mais aussi économique dans ce projet évalué entre 250 millions d'euros et 275 millions d'euros. J'aimerais y voir circuler des trains à hydrogène ! Colmar-Fribourg fait partie des "Missing Links", les liens manquants transfrontaliers identifiés par la Commission européenne. Les Allemands attendent avec impatience la naissance de la collectivité européenne d'Alsace pour trouver un partenaire stratège et en même temps en proximité.

Quel sera le mode de gouvernance de la nouvelle collectivité ?

Le mode d'élection en mars 2021 restera inchangé, dans les cantons, pour garantir la proximité. Nous tenons également aux binômes qui assurent la parité. L'assemblée aura un président ou une présidente, et quinze vice-présidents. la question du siège ne constitue pas un problème. Depuis l'intégration de l'Alsace dans le Grand-Est, il existe une grande solidarité entre les Bas-Rhinois et les Haut-Rhinois. Nous ne voulons pas reproduire la centralisation à l'échelle de l'Alsace. Strasbourg et Colmar resteront les préfectures. Nos hémicycles sont assez grands pour permettre à nos 80 élus de siéger en plénière. Il faudra aussi compter avec Mulhouse, la deuxième ville alsacienne en termes de population, Sélestat, Saint-Louis, Haguenau... L'assemblée pourra siéger occasionnellement dans ces villes, voire ailleurs.

Quelles sont les prochaines échéances ?

Le projet de loi sera discuté le 18 juin en commission des lois à l'Assemblée nationale et sera examinée par l'Assemblée en séance à partir du 24 juin. La collectivité européenne d'Alsace naîtra le 1er janvier 2021. En attendant, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin commencent à rapprocher leurs politiques. Il y aura des transferts de moyens humains et financiers de la part de l'État. Des éléments sont à mettre en place très rapidement dans le domaine de l'attractivité. Les deux départements ont d'ores et déjà repris la stratégie de marketing territorial avec sa "Marque Alsace", et coordonnent leurs politiques touristiques.

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Propos recueillis par Olivier Mirguet,
correspondant de la région Grand-Est pour La Tribune