Pourquoi EuropaCity fait débat

Par César Armand  |   |  980  mots
250.000 m2 pour du commerce et de la culture ? Un gâchis écologique pour certains parlementaires, la mort des commerces de proximité d'après des élus locaux. En face, Immochan et le Val-d'Oise défendent le projet de créer 12.000 emplois non-délocalisables.

Le 12 décembre dernier, la députée (FI) de la cinquième circonscription de Seine-Saint-Denis, a priori pas ou peu concernée par le projet de zone commerciale géante Europacity, sur la route de l'aéroport Roissy-CDG, interpelle Nicolas Hulot à l'Assemblée nationale.

Dans la continuité d'une tribune publiée dans Libération quelques jours plutôt, la représentante de Sevran, Tremblay-en-France et Villepinte dénonce « une empreinte carbone équivalente à 170 hypermarchés » sur 300 hectares, alors que l'Île-de-France perd, selon elle, chaque année 1 400 hectares de terres agricoles. Clémentine Autain - puisque c'est elle dont il s'agit - fustige l'inadéquation d'Europacity avec le plan Climat et défend le projet Carma : le groupement de Coopération pour une ambition rurale et métropolitaine agricole.

Préservation des terres agricoles

« J'aimerais qu'elle ait la même critique sur le projet dans sa circonscription, à Villepinte, qui va "bouffer" 240 hectares et 2.000 emplois contre 299 pour la ZAC de Gonesse et 50.000 emplois créés.

C'est de la jalousie et une forme d'hypocrisie. Qu'elle fasse ce projet dans sa circonscription, et non dans celle des autres ! » s'agace David Lebon, directeur du développement Europacity qui rappelle que la ZAC appartient à l'État.

Au Palais Bourbon, c'est Élisabeth Borne, ministre déléguée aux Transports auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, qui réplique à Clémentine Autain :

« Le ministre d'État a, bien entendu, déjà constaté la contradiction entre ce projet et l'objectif de préservation des terres agricoles et de lutte contre l'artificialisation des sols qu'il se fixe dans le cadre de notre politique de transition écologique. »

Elle annonce que Nicolas Hulot souhaite qu'« une réflexion soit conduite pour préciser la position sur le projet et sur les conditions d'un aménagement durable et équilibré du territoire, en lien avec l'ensemble des collectivités concernées ».

Le maire (PS) de Gonesse, Jean-Paul Blazy, ne prend pas de gants :

« Hulot, il est contre [Europacity]. Du côté de Bercy et de l'Élysée, on est pour. Quand Emmanuel Macron était secrétaire général adjoint de l'Élysée, il a reçu X fois Immochan. Le projet a même été approuvé dès 2010 par Nicolas Sarkozy ».

De fait, 250.000 mètres carrés de commerces sont prévus au programme mais certains restent encore à définir. Blazy les presse :

« Plus ils tardent, plus ils prêtent le flanc aux caricatures du centre commercial ».

L'élu local préfère mettre l'accent sur la « culture » car des partenariats, pour 50.000 m2, ont notamment été signés avec le Grand Palais :

« Demain, vous viendrez voir une exposition à Gonesse en empruntant le métro. C'est de l'attractivité. On n'a pas la prétention de dépasser la Tour Eiffel mais on ne peut plus être uniquement des territoires qui se paupérisent. Aujourd'hui, un habitant de Paris vient chez nous seulement pour prendre l'avion ou aller chez Ikea. »

Querelles de chapelle

Élisabeth Borne, toujours au Parlement, confirme :

« C'est surtout au nom de l'attractivité, du développement économique du Grand Paris et de la création d'emplois que les gouvernements précédents ont fait le choix de soutenir ce projet. »

La députée (LRM) de la circonscription, Zivka Park défend la même logique :

« On a besoin d'un projet structurant qui relance une dynamique et qui apporte de l'emploi. »

En revanche, Bruno Beschizza, d'Aulnay-sous-Bois, a voté contre un arrêt de la gare à Europacity :

« En tant que maire et que président de Paris Terre Envol, je suis contre ce projet. »

Le représentant d'Europacity, David Lebon semble las de ces querelles de chapelle :

« Les postures politiques des uns et des autres sont assez savoureuses dans le sens que notre projet est emblématique », sonnant la charge contre Bruno Beschizza.

« Quand il dit "On a fait une étude qui dit qu'il y aura 8.000 destructions d'emplois", il sert ses vues politiques dans sa commune.

Beaucoup de gens, au contraire des élus, nous disent "On a besoin de redorer le blason de nos territoires".»

Le gouvernement, en même temps reproche au projet de s'en prendre aux commerces de proximité, à l'heure où Bercy entend reprendre la main sur la revitalisation des centres-villes. David Lebon balaie cela d'un revers de main :

« Selon une étude demandée aux CCI du 93 et du 95, dans un rayon de quinze kilomètres, 90% du commerce est constitué de kebabs, de tabacs, d'opticiens, de banques et d'agences immobilières. On va créer de la richesse dans un territoire qui n'en crée pas et en faire une destination touristique, ce qui renouvellera le commerce de proximité ».

La présidente (LR) du conseil départemental du Val-d'Oise, Marie-Christine Cavecchi, défend mordicus Europacity :

« 12.000 emplois à la clé, ce n'est pas rien ! »

Et de lister les constructions prévues : des espaces de congrès, de séminaires, une ferme urbaine (« Les enfants n'ont plus l'habitude de voir les animaux ») et surtout des hôtels (« On en manque dans le coin ! »). Le département étant chargé de compétences sociales comme le RSA, la chef de file du 95 argumente :

« C'est notre chance : on a des difficultés sociales, on a des problèmes de formation, de chômage. La population ne veut pas voir passer sous son nez quelque chose d'aussi positif. »

Évidemment, la ligne 17 sera indispensable à la concrétisation d'un tel projet. Selon nos calculs, les entreprises du Val-d'Oise contribuent à 7% au montant total du métro. Sauf que, sans métro, les actionnaires d'Europacity risquent de quitter le navire. Sans parler de ce corridor qui va jusqu'à l'aéroport Charles-de-Gaulle, lequel comptabilise déjà plus de 10 milliards d'euros d'investissement et donc des centaines d'emplois localisés entre le terminal 4, ce centre commercial, et Villepinte. Les cadres du parc des expositions restent d'ailleurs fébriles. Sollicités, ils n'ont pas répondu à nos demandes d'entretien.