Voies sur berges : la guerre des chiffres

Chacune dotée de son comité de suivi, la Mairie de Paris et la Région se livrent une lutte acharnée au sujet de l'impact de la piétonnisation des voies en matière de trafic, de temps de parcours et de pollution.
Dominique Pialot
A Paris, la fermeture des voies sur berges, comme ici le 26 octobre 2016, entraîne mécaniquement une augmentation des véhicules sur les voies et rues qui bordent en surplomb les quais de la Seine.

« Nous n'assistons pas à l'effet d'évaporation attendu : les effets de report sont très importants, allant jusqu'à l'A86 ; les nuisances sonores augmentent, et la pollution de l'air s'aggrave. »

C'est ainsi que, le 19 janvier, Valérie Pécresse résumait le troisième rapport d'étape du comité d'évaluation régional de la fermeture de la voie Georges-Pompidou, installé en septembre sous l'autorité du professeur Pierre Carli, médecin chef du Samu de Paris.

Pourtant, trois jours plus tôt, la Ville de Paris notait une nouvelle réduction du trafic sur les principaux axes de report, et des temps de parcours inférieurs à ceux prévus par l'étude d'impact.

« La réduction du trafic sur les axes de report, constatée depuis octobre, se confirme en décembre 2016, indique un communiqué de presse de la Mairie. Elle démontre que les automobilistes qui empruntaient autrefois les quais bas rive droite sont de plus en plus nombreux à adapter leur itinéraire ou leur mode de transport. »

Et la Ville de conclure : « La situation est donc encourageante et cohérente avec les prévisions de l'étude d'impact. »

Des chiffres en Open Data qui n'empêchent par la guerre de diagnostics

Mois après mois, ces déclarations contradictoires rythment le feuilleton dont la piétonnisation de la voie Georges-Pompidou a constitué le premier épisode. Sur l'évolution entre septembre 2015 et septembre 2016, quand la Mairie de Paris notait un allongement de 39% du temps de trajet sur les quais hauts le soir, la Région affichait une augmentation de 74%.

C'est bien connu, on peut faire dire aux chiffres ce que l'on veut. Mais il n'en reste pas moins étonnant d'aboutir à des résultats si divergents à partir de mesures dont une grande partie est commune. En effet, les données concernant le trafic, qu'elles soient utilisées par la Ville de Paris, qui les transmet à la préfecture, ou par la Région, proviennent de capteurs de type boucles électromagnétiques appartenant à la Ville. Installés de façon permanente dans les chaussées, ils alimentent la régulation en temps réel des feux tricolores mais aussi une base de données servant à établir des statistiques. L'Institut d'aménagement et d'urbanisme (IAU), qui les traite pour le compte du comité de suivi régional, les récupère lorsqu'ils sont mis en open data. C'est-à-dire entre un mois et un mois et demi plus tard.

Ainsi, les données commentées le 19 janvier par la Région datent de novembre 2016, quand les analyses de la Ville trois jours plus tôt portent sur ceux de décembre. La Région se penche aussi sur des itinéraires de report tels que le périphérique ou l'A86, pour lesquels les données de circulation sont fournies à l'IAU par l'État et les départements. Quant aux temps de parcours, suivis à la fois par la Ville et par la Région, ils sont établis grâce aux données de GPS embarqués dans les véhicules.

Des méthodes de présentation qui entravent la comparaison

Abstraction faite du décalage dans la récupération des données, des contradictions subsistent entre les rapports présentés par les deux collectivités concernant un même mois. C'est qu'à partir des mêmes données, les deux collectivités ne calculent pas et, surtout, ne présentent pas les mêmes choses. En effet, l'IAU raisonne sur les seuls mardis et jeudis ouvrés, hors vacances scolaires, car ce sont les jours les moins susceptibles de subir de variations.

« C'est comme cela que nous pourrons vraiment comparer 2015 et 2016, repérer compteur par compteur les anomalies (telles que les manifestations, les camps de migrants, les pannes, etc.) susceptibles de biaiser les résultats, exclure les secteurs perturbés par des travaux tels que ceux du tramway, etc. », explique un expert.

Mais ce sont aussi les jours qui connaissent la circulation la plus dense, accuse la Ville, qui, pour sa part, raisonne sur cinq jours ouvrés.

Autre différence : les horaires pris en considération pour étudier le pic de circulation du soir varient également, l'IAU travaillant sur la tranche de 18 heures à 19 heures, quand la Ville prend en compte le créneau de 19 heures à 20 heures.

Surtout, quand la Région communique en pourcentage, la Ville présente des allongements du temps global de traversée de quelques minutes seulement et, surtout, en majorité inférieurs à ceux prévus par l'étude d'impact préalable. L'augmentation de 31% en novembre le matin sur le boulevard Saint-Germain correspond ainsi à un allongement de 3 minutes et demie.

La Région défend la qualité de l'air et s'oppose à la réduction de la circulation

Mais c'est avant tout sur la qualité de l'air que la Région concentre ses attaques. Un sujet sur lequel elle rappelle être chef de file et qu'elle affirme prendre « très à coeur », comme en témoigne la multiplication par 13 des moyens dédiés au plan air dans son budget 2017, dont 4 millions d'aides au remplacement des véhicules polluants pour les artisans et commerçants, et autant pour le remplacement des chaudières à bois.

« Il y a eu plus d'embouteillages en novembre 2016, ce qui produit par conséquent plus de pollution », s'alarmait ainsi le professeur Carli le 19 janvier, citant une augmentation de 53% pour le NOx et 49% pour les particules fines sur les quais hauts. « Cette dégradation constitue une tendance préoccupante. Contrairement à l'objectif affiché par la maire de Paris, la fermeture des voies sur berges n'a pas entraîné d'amélioration de la qualité de l'air », a-t-il conclu.

Ces chiffres proviennent des relevés de 13 capteurs implantés le long des quais hauts et du boulevard Saint-Germain, directement concernés par la fermeture, mais ne disent rien de la qualité générale de l'air dans la capitale.

L'impact des conditions météo

Airparif, qui a installé depuis novembre de nouveaux capteurs sur les voies et les quais hauts et en petite couronne, a prévu deux campagnes pour mesurer l'incidence de la fermeture des voies sur berges. La première a été menée de mi-novembre à mi-décembre et la seconde est prévue entre les mois de mai et de juin.

Dans une note du 16 janvier, on peut lire : « Les niveaux mensuels ne montrent aucune tendance claire imputable à la seule fermeture des voies sur berges. Ces variations constatées sur le réseau de stations permanentes d'Airparif traduisent l'effet imbriqué des émissions de polluants et de la météorologie. De ce fait, elles ne peuvent être interprétées directement et uniquement par rapport aux variations de trafic induites par la seule fermeture des voies sur berges. »

L'impact de la météo se traduit notamment par les pics de pollution de décembre, non imputables à la seule piétonnisation, puisqu'ils touchaient toute l'Île-de-France mais aussi les régions de Lyon ou de Londres. Airparif insiste surtout sur le fait qu'il ne sera pas possible de tirer des enseignements valables avant les six mois d'observation prévus, et qu'il faudra tenir compte de la météo et de l'éventuelle évolution des comportements.

Le rapport complet de la première campagne comprenant l'interprétation de l'ensemble de ces résultats en lien avec ceux du trafic sera diffusé en mars 2017, correspondant en principe avec la fin de la période d'observation. Mais le rapport final de l'étude, intégrant la deuxième campagne de mesure en période estivale et la comparaison entre ces deux campagnes, ne sera, lui, disponible qu'en septembre.

Autant dire que le feuilleton n'est pas près de s'achever...

Dominique Pialot

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Commentaires 20
à écrit le 28/01/2017 à 8:21
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Rien de nouveau dans cet univers politique : mensonges , intox et malhonnèteté ! Le Karsher ça urge !

à écrit le 28/01/2017 à 7:37
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? guerre des chiffres ? Domage que ce ne soit pas la guerre du bon sens et du réalisme; Les voix sur berges sont fermées en Juillet/Aout ,depuis des années lors de " paris-plage " ; il n'y a pas besoin d'etre expert pour avoir constaté les emboute...

à écrit le 27/01/2017 à 20:44
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Il est indéniable que cette fermeture des quais a provoqué beaucoup d'encombrements et d'importants retards y compris pour les autobus.

à écrit le 27/01/2017 à 20:35
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La Mairie de Paris et sa virago peuvent fausser tous les chiffres qu'ils veulent, ils n'enlèveront pas la pollution supplémentaire qu'ils ont créée, par leurs décisions idéologiques et malfaisantes. Ces méthodes, dignes de la Corée du Nord, sont dépl...

à écrit le 27/01/2017 à 15:54
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Visiblement les Francilliens sont toujours aussi enragés de rouler avec leur voiture quelque soit la pollution et les temps d'attente dans les embouteillages. Et si on mettait le périf en sens unique entrées à gauche sorties à droite, 6 voies pour r...

le 27/01/2017 à 18:03
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d'apres Airparif lui meme la pollution diminue depuis des années ... mais principalement grâce au progress technique car il n'y a aucune acceleration depuis l'ère Delanoe Hidalgo. Ensuite toujours d'apres certaines disponibles sur Sciences et Avenir ...

à écrit le 27/01/2017 à 14:48
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nous avons adapté notre comportement, nous n'allons plus du tout faire des courses à Paris, ni au resto pendant ces courses.

à écrit le 27/01/2017 à 14:20
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A terme, le centre de Paris comme beaucoup de villes de province , va devenir piétonnier. Les vélos et véhicules électriques seront autorisés. Le problème , c'est la transition , on interdit une rue , puis une autre , résultat embouteillages et poll...

à écrit le 27/01/2017 à 13:58
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Bref une gueguerre idéologique qui se transforme en querelle de clocher, qu'ils soient hommes ou femmes les politiciens sont des cas désespérés. C'est beau de n'avoir pas de soucis de la sorte.

le 28/01/2017 à 9:48
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Ce qui interpelle, c'est que tout cela est hyper politisé et donc loin des préoccupations immédiates des citoyens qui voudraient que toutes décisions soient prises en transparence et sur des considérations objectives. On en est très loin...

à écrit le 27/01/2017 à 13:41
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J'ai circulé dans Paris vers minuit il y a quelques jours : au delà de l'odeur épouvantable de pollution j'ai été surpris de la non synchronisation des feux la nuit avec parfois les feux qui passent au rouge...sans qu'il y ait de véhicule dans la ru...

le 27/01/2017 à 15:12
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il faut savoir qu'à Paris, les contrôleurs de carrefour ont été définis selon un cahier des charges unique qui n'est utilisé nulle part ailleurs en France. Jusqu'il y a 20 ans, ils ne pouvaient pas prendre en compte la détection par boucle magnétique...

le 27/01/2017 à 18:08
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je me faissouvent la meme Remarque sur les feux de signalization ... ce qui fait que meme a 4h du matin on est parfois pris dans des "mini bouchons"'. le comble de l'intelligence !

le 27/01/2017 à 20:36
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Que faites vous à minuit dans une caisse qui pollue et qui fait du bruit pendant notre sommeil. Faut pas pousser non plus non mais.

à écrit le 27/01/2017 à 13:18
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Hors de Paris toutes ces vieilles voitures pourries qui roulent dans la capitale et qui pollues a n'en plus finir Mais il n'y a pas que les voitures qui pollues

à écrit le 27/01/2017 à 11:24
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Les islamo gauchistes sont à pied d'oeuvre pour censurer tout propos en contradiction avec leurs protecteurs parisiens.

à écrit le 27/01/2017 à 9:18
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On s'en fou dans 5 ans il n'y aura plus toutes ces voitures polluantes de toute manière !

le 27/01/2017 à 10:18
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C'est la mairie de Paris qui essaie de faire peuple?

le 27/01/2017 à 10:56
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On ne connaît pas l'impact de notre propre pollution car nous sommes sans cesse pollués dans le ciel de France par l'Allemagne et l'Europe du Nord et l'Est. Il est possible qu'il soit très faible, ce qui nous laisse très dubitatif face aux résultats ...

à écrit le 27/01/2017 à 8:27
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La logique voudrait que si l'on organise des embouteillages, on ne réduit pas la pollution, non?

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