"Corruption", "favoritisme", les soupçons s'accumulent dans l'affaire du Grand Stade de Lille

Par Gaëtane Deljurie, à Lille  |   |  895  mots
Le dossier brûlant du Grand Stade couve pourtant depuis des années. En janvier 2011, Eric Darques, un militant anti-corruption, dépose plainte devant le tribunal administratif de Lille, questionnant la différence de prix entre le gagnant Eiffage et son concurrent pourtant moins disant. Dans son argumentaire, Eric Darques estime qu'un faux rapport a été rédigé pour influer sur la décision des élus de la communauté urbaine.
Après la mise en examen de Damien Castelain, président de la métropole lilloise, l'affaire du Grand stade de Lille, qui a débuté en 2011, prend de l'ampleur.

C'est un séisme politique. Après la mise en examen mercredi du président de la métropole lilloise Damien Castelain (sans étiquette) pour des faits présumés de délits de favoritisme et corruption, la désormais « affaire du Grand Stade de Lille » prend de l'ampleur.

L'enquête porte sur les conditions d'attribution du marché du Grand Stade de Lille au groupe Eiffage en février 2008. Parmi les trois concurrents en lice, Eiffage, avec une offre chiffrée à 314 millions, était certes moins cher que Vinci (324 millions) mais beaucoup plus que le consortium Norpac-Bouygues, qui, à 268,5 millions, proposait un prix inférieur de 55,5 millions à celui du vainqueur de la compétition.

Inauguré à l'été 2012, ce Grand Stade de Lille (ensuite rebaptisé "Stade Pierre-Mauroy") est le fruit d'un partenariat public-privé entre une filliale du groupe de BTP Eiffage et la Métropole européenne de Lille (MEL,ex-Communauté urbaine de Lille). Le projet avait été développé sous les auspices de Pierre Mauroy (décédé le 7 juin 2013) puis de Martine Aubry, qui se sont succédé à la présidence de la Communauté urbaine de Lille. Jusqu'ici, Martine Aubry n'a encore jamais été entendue dans cette affaire.

En revanche, outre Damien Castelain, qui a succédé à Martine Aubry à la tête de la Métropole européenne de Lille (MEL), cinq autres personnes ont été entendues dans le cadre de l'enquête : Henri Ségard, ancien maire de Comines et élu communautaire dans le même groupe de Damien Castelain ; Alain Létard, ancien cadre d'Eiffage et mari de la vice-présidente du conseil régional et sénatrice Valérie Létard ; Jean-Luc Vergin, ex-directeur régional d'Eiffage Travaux Publics et le gérant d'une société d'études Francis Pick.

Voyage en Hongrie, livraison de pierres bleues...

Les enquêteurs de la police judiciaire s'interrogent sur un voyage en Hongrie financé par Eiffage en août 2010, à l'occasion du Grand Prix de Formule 1 de Budapest. Un voyage auquel auraient participé Damien Castelain et Henri Ségard ainsi que leurs épouses mais aussi Jean-Luc Vergin (Alain Létard et son épouse Valérie ayant renoncé en dernière minute). Henri Ségard doit aussi être interrogé sur un voyage à Zurich en juin 2008, pour le match de l'Euro France-Roumanie, fait en compagnie de Jean-Luc Vergin.

D'autres soupçons sont venus alimenter l'affaire avec la révélation, par La Voix du Nord, de la livraison de pierres bleues du Hainaut pour la réalisation d'une terrasse à Péronne-en-Mélantois, ville où Damien Castelain est maire et où il réside. Valeur de la livraison : 15.000 euros. Serait-ce un autre cadeau d'Eiffage par Alain Létard à Damien Castelain, comme l'a suggéré aux policiers David Roquet ? Cet ancien directeur des Matériaux Enrobés du Nord (filiale du groupe Eiffage située dans le Pas-de-Calais) avait déjà dévoilé le voyage en Hongrie devant la brigade financière.

Rejeter toute la responsabilité sur Martine Aubry ?

En 2008, lors de l'attribution du marché, Henri Ségard et Damien Castelain, alors à la tête d'un groupe d'élus Métropole Passions Communes, avaient en effet pesé de tout leur poids dans les débats pour soutenir Eiffage. Bien sûr, il est fort probable que les deux élus vont rejeter la responsabilité du choix sur Martine Aubry, alors présidente de LMCU et qui a présidé la délibération finale. C'est cet argument qu'avance l'avocate de Damien Castelain : il n'était à l'époque, que vice-président, renvoyant la décision à feu Pierre Mauroy, président de la communauté urbaine à l'époque du début du projet. Mais c'est oublier que Damien Castelain, en tant que vice-président à l'écologie, pouvait donner le feu vert sur d'importants chantiers d'assainissement ainsi que sur la construction de buttes anti-bruit avec les terres déblayées du Grand Stade.

Une épopée judiciaire

Le dossier brûlant du Grand Stade couve pourtant depuis des années. En janvier 2011, Eric Darques, un militant anti-corruption, dépose plainte devant le tribunal administratif de Lille, questionnant cette différence de prix. Dans son argumentaire, Eric Darques estime qu'un faux rapport a été rédigé pour influer sur la décision des élus de la communauté urbaine.

En effet, un premier rapport donnait la meilleure note au groupe Norpac-Bouygues alors qu'un deuxième rapport, daté du jour du vote (anti-daté selon selon Eric Darques) donnait la préférence à Eiffage. Après de multiples rebonds en justice dont une annulation de prescription en cour d'appel, l'enquête est relancée, notamment grâce à une information judiciaire qui se solde en décembre dernier, quelques jours avant Noël, par deux perquisitions pour « corruption active et passive » et « trafic d'influence » chez Jean-Luc Vergin, Alain Létard et au siège des archives du groupe Eiffage à Mont-Saint-Eloi.

Sur le versant politique, Damien Castelain a d'ores et déjà fait savoir qu'il ne démissionnerait pas de son mandat, pour lequel il a été réélu à une écrasante majorité fin 2015 à l'occasion de l'élargissement de la Métropole. Pour autant, dans le contexte d'année électorale de tous les rebondissements, le séisme politique dans la région est bien réel, puisqu'une bonne douzaine d'élus et de vice-présidents seraient cités dans le dossier. Aujourd'hui, tout le monde semble savoir, mais personne ne parle. Jusqu'à quand ?